Le coût politique élevé des expulsions d’espions du Kremlin en Europe

C’est particulièrement vrai dans les pays membres de l’Union qui ont des liens plus étroits avec la Russie et où l’opinion publique est souvent plus favorable à Moscou. [Shutterstock/Ultraskrip]

La guerre en Ukraine a exposé au grand jour les liens des États membres de l’UE avec la Russie, les expulsions diplomatiques accompagnées d’accusations d’espionnage constituant l’élément le plus évident pour les illustrer.

C’est particulièrement vrai dans les pays membres de l’Union qui ont des liens plus étroits avec la Russie et où l’opinion publique est souvent plus favorable à Moscou.

Toutefois, certains signes indiquent que les agences de renseignement européennes se défendent et que la tentative de la Russie de contrôler le récit parmi les siens s’essouffle.

Les mois de mars et avril ont été marqués par une série d’expulsions de diplomates russes accusés d’espionnage dans les pays de l’UE. Si la tendance est retombée dans la plupart des pays, les membres de l’UE qui entretiennent des liens étroits avec le Kremlin continuent d’expulser des agents présumés.

La Bulgarie a déclaré «  personæ non gratæ  », mardi (28 juin), un nombre record de 70 diplomates russes pour activité non compatible avec leur statut de diplomate.

Il n’est pas surprenant qu’un tel nombre provienne d’un pays de l’UE où, aux côtés de la Slovaquie, près de la moitié des personnes interrogées dans le cadre d’un récent sondage ont déclaré ne pas considérer la Russie comme le responsable de la guerre en Ukraine. Rien qu’en mars, Bratislava a expulsé 38 diplomates accusés d’espionnage.

Toutefois, la décision du Premier ministre déchu Kiril Petkov semble avoir un coût politique intérieur élevé.

Les expulsions de cette semaine sont une raison suffisante pour que Kornelia Ninova, leader du parti socialiste bulgare russophile et vice-ministre et ministre de l’Économie du gouvernement déchu, annonce qu’elle suspendra les négociations de formation du gouvernement avec le groupe «  Nous continuons le changement  » de M. Petkov.

Mme Ninova estime qu’il est «  inacceptable  » que M. Petkov décide seul de cette expulsion, qui touche deux tiers des employés de la mission diplomatique russe en Bulgarie.

Le cabinet de M. Petkov a perdu le pouvoir la semaine dernière à la suite d’une motion de censure soutenue par la coalition au pouvoir qui s’est effondrée. M. Petkov tente à présent de former un nouveau gouvernement au sein de ce parlement avec le soutien du Parti socialiste bulgare (BSP), de la formation Bulgarie démocratique et de députés indépendants.

La Russie compte 118 personnes dans sa mission diplomatique en Bulgarie, tandis que l’ambassade bulgare à Moscou en compte moins de dix. Le gouvernement a justifié la décision d’expulser les diplomates par un rapport portant sur l’espionnage de l’Agence d’État pour la sécurité nationale et sur le principe de réciprocité des missions diplomatiques.

Le parti de Mme Ninova reprendra néanmoins les négociations ministérielles avec le parti «  Nous continuons le changement  » de M. Petkov dans le cas où l’actuel Premier ministre n’occuperait pas cette fonction dans un éventuel prochain gouvernement.

S’il échoue, la crise politique bulgare s’aggravera et des élections anticipées pourraient se profiler à l’horizon de septembre, renforçant ainsi l’incertitude politique. Les analystes prévoient que les nationalistes pro-russes du parti bulgare Renaissance sont également susceptibles de compter beaucoup plus de députés dans le prochain parlement.

Andrei Gyurov, le chef du groupe parlementaire «  Nous continuons le changement  », a commenté que la décision du Premier ministre d’expulser les diplomates était «  tout à fait normale  ».

«  Nous espérons que le BSP reconsidérera sa décision. Vous pouvez constater que la formation d’un gouvernement au cours de cette législature est également une priorité pour les citoyens bulgares  », a déclaré M. Gyurov.

La décision du BSP rapproche le pays non seulement des élections, mais aussi de la menace d’une situation de plus en plus incontrôlable et de chaos, a déclaré le co-leader de Bulgarie démocratique, Hristo Ivanov.

«  J’espère que le Premier ministre a pris la décision d’expulser des diplomates russes sur la base d’informations solides et fiables et qu’il l’a bien réfléchie, tant en termes de portée que de conséquences  », a commenté le président Roumen Radev, qui se trouvait mercredi (29 juin) à Madrid pour le sommet de l’OTAN.

Bons baisers de Varsovie

Parallèlement, des signes indiquent que les services de renseignement des États membres, en particulier dans les pays d’Europe de l’Est qui sont depuis longtemps méfiants à l’égard de la Russie, intensifient leurs propres efforts.

Des conversations entre des soldats russes stationnés en Ukraine, qui ont été interceptées par l’agence de renseignement polonaise, montrent que leur moral est extrêmement bas.

Cela a été confirmé par Stanisław Żaryn, porte-parole du ministre coordinateur des Services spéciaux, qui a parlé à l’Agence de presse polonaise du fossé entre la propagande officielle russe concernant une «  opération militaire spéciale  » en Ukraine et la réalité parmi les soldats des forces d’invasion.

Des signes de découragement ont été entendus dans deux enregistrements distincts, l’un entre un responsable russe et un représentant des forces de l’ordre, l’autre entre des officiers militaires russes qui discutaient des véritables raisons de la guerre en Ukraine.

Dans l’un des enregistrements, un responsable s’interroge sur les procédures à appliquer aux combattants qui sont renvoyés chez eux pour des raisons médicales et qui inventent ensuite des excuses pour ne pas avoir à retourner dans la zone de combat.

Dans l’autre conversation enregistrée, des officiers évoquent le fait que les soldats remettent souvent en question la compétence de leurs supérieurs.

«  On s’interroge également sur l’efficacité des renseignements russes, qui, selon la conversation, pourraient falsifier la réalité  », a déclaré le porte-parole, ajoutant que «  les conversations montrent que les soldats envoyés au front sont de plus en plus conscients que les Russes subissent de lourdes pertes en Ukraine.  »

Selon M. Żaryn, les soldats russes craignent de participer à des batailles avec des Ukrainiens, et il existe une critique générale de l’armée russe dans leurs rangs.

Le porte-parole a également souligné que les soldats russes se plaignaient que les Ukrainiens étaient censés les «  saluer avec des fleurs  » et leur «  baiser les pieds  ». Certains affirment également, sur un ton sarcastique, que les services de renseignement russes étaient «  en vacances  » pendant la préparation de l’invasion.

Des sentiments négatifs à l’égard du Kremlin ressortent également des enregistrements, certains affirmant que le gouvernement russe «  traite les conscrits comme de la chair à canon  ».

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