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Paléontologie

Yves Coppens, une vie à la découverte de l'humain

L'hommage de Dominique Leglu, directrice éditoriale de Sciences et Avenir - La Recherche, à Yves Coppens. Le paléontologue et académicien est décédé le 22 juin 2022 à l'âge de 87 ans.

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Yves Coppens en 2010 dans la grotte de Lascaux.

Yves Coppens en 2010 dans la grotte de Lascaux.

PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP
Yves Coppens en 2010 dans la grotte de Lascaux.
Yves Coppens, une vie à la découverte de l'humain
Dominique Leglu
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C’était « Le Parrain ». Combien de fois n’a-t-on pas écrit le mot ou un terme proche, comme dans cet édito invitant le public qui l’aimait et qu’il aimait, à accompagner le paléontologue-académicien le plus célèbre de France, à la première d’une très longue série de « Croisières du savoir » organisées par Sciences et Avenir ? On disait s’y réjouir de "renouer avec la belle tradition du voyage de découverte, sous le parrainage de cet ami fidèle de notre magazine qu’est le professeur au Collège de France, Yves Coppens". On savait à l’avance le plaisir qu’il prendrait à ce parrainage en bateau, propice à de multiples échanges avec les croisiéristes complices. Il a d’ailleurs rappelé qu’il avait failli choisir ce titre de « Parrain » pour ce qui aura été son dernier ouvrage (1), paru fin mai - au sens de "celui qui accepte, sur l’honneur, de ‘’prendre dans ses bras’’ une personne ou une cause, un animal ou une plante, un objet ou un lieu".

Yves Coppens et sa gentille concierge

De cette vie qu’il a prise à bras le corps, Yves Coppens pouvait se remémorer tant de détails, sur les humains rencontrés - rois ou princes, artistes ou réalisateurs de cinéma, tastevins ou compagnons de fouilles – sur les lieux parcourus – palais ou champs de fouilles, voyage en avion, hélicoptère ou à bord d’une pirogue, que c’est une autre qualité qui l’a emporté pour titrer le livre : « Une mémoire de mammouth », "jolie expression un peu paléontologisée de… mémoire d’éléphant". Et c’est sous la forme de 36 histoires, où l’humour toujours émerge, qu’il s’est raconté, du bébé de Moussoro au Tchad aux pierres de Crozon en Bretagne, en passant par les Rencontres de Taïmyr en Russie ou les « Croisières du savoir », qui l’ont mené avec les lecteurs de Sciences et Avenir de Malte à l’Irlande, des îles Eoliennes aux Lofoten.

Ponctuel, sans notes, comme s’il avait un parfait chronomètre en tête, il savait exactement tenir une conférence d’une heure pile. On aurait entendu les mouches voler, n’étaient les rires qu’il soulevait par ses « blagues » de paléontologue. Il affectionnait celle de sa gentille concierge ayant jeté les os qu’il avait mis à bouillir pour bien les nettoyer, alors qu’il était encore jeune chercheur pas très riche et qu’elle lui donnait un coup de main. Elle avait cru que c’était pour faire un potage… Il faisait partager la très mauvaise odeur de Micheline, l’éléphante morte au zoo de Vincennes et qu’il s’était retrouvé à disséquer. Il narrait ses premières amours à fouiller tel monticule breton et y découvrir des os de vache.

On comprenait facilement pourquoi il avait eu le prix de la Fondation de la vocation en 1963. Il trône toujours sur cette page avec un large sourire et des yeux malicieux. Il invitait aussi les croisiéristes qui ne manquaient aucune de ses conférences – il arrivait que l’équipage écoute aussi aux portes – à imaginer ce qui arriverait si le bateau continuait sa course seul, sans accoster. Histoire de faire comprendre ce qu’est un isolat dans l’évolution, et combien les petits-petits-petits-petits… enfants seraient bien différents de ceux restés sur les côtes. Vu l’âge moyen des auditrices et auditeurs, les rires (sexuellement incorrects) fusaient au sujet de la capacité réelle de reproduction à bord du bateau !

L'amour, depuis l'enfance, des mégalithes bretons

Il avait cette façon pédagogique de dire et redire (répétition au moins deux fois), les dates importantes qui jalonnaient la préhistoire et dont il aurait apprécié que tout un chacun se souvienne réellement. Séparation de l’homme et des grands singes vers 10 millions d’années, Lucy l’Australopithèque il y a 3,2 millions d’années, Homo Sapiens 300.000 ans… Il avait aussi cette manière bien à lui de parler de ces (nos) ancêtres directs et indirects – ce "bonhomme", ces "gens" qu’il côtoyait dans ses écrits et conférences scientifiques. Il estimait que notre ascendance avait toujours eu la bougeotte, que notre berceau d’origine (forcément africain) était à roulettes et grande, notre capacité d’adaptation.

Optimiste, Yves se défiait de l’ambiance actuelle plutôt dépressive à la perspective du réchauffement climatique, au point qu’on pouvait se demander comment il avait assumé le fait d’être à la tête de la Commission voulue par Jacques Chirac, avant sa réélection à la présidence de la République en 2002, chargée en 2003 de rédiger une Charte de l’Environnement adossée à la Constitution.

Il aimait cent fois plus plus évoquer la façon dont Homo, à travers les âges, a suivi des proboscidiens, dont il était spécialiste – jeune chercheur, il les avait préférés à l’étude des petits rongeurs, également compagnons de route de l’Homme. C’est pourquoi il voulait qu’on le nomme paléontologue et non paléoanthropologue. Il ne voulait pas détacher l’humain de son environnement, même si, dans bien des musées, la tendance a été longtemps d’accumuler des crânes, ossements divers et silex, en les détachant d’un contexte animal et végétal. Il assumait sans aucun regret apparent que sa théorie de l’East Side story, selon laquelle les préhumains seraient apparus à l’est du rift africain alors que les singes seraient restés à l’ouest, ait été démentie par la découverte de Toumaï, par le paléoanthropologue Michel Brunet. Il ne tenait plus trop à ressasser la découverte que le public – même complice - ne cessait de lui réclamer, à savoir celle de Lucy en Ethiopie, vue d’abord comme une arrière-arrière-grand-mère et finalement plutôt comme arrière-arrière-arrière-cousine des humains que nous sommes. Mais il pouvait y revenir dans un sourire, prêt à livrer une nouvelle anecdote… Et préférait évoquer un rêve. Que soit exposée aux visiteurs du Louvre, le plus grand des musées, ce qu'il qualifiait de "première création, de premier symbole : une pierre de 3 millions 300.000 ans, très impressionnante", qu'un humain ou un pré-humain a jadis fabriquée.

Ces derniers temps, il aimait surtout évoquer ses chers mégalithes bretons, lui, l’enfant de Vannes. Comme il nous l’avait raconté, pour réussir à faire inscrire les alignements du site Carnac au patrimoine mondial de l’Unesco, il se démenait comme un beau diable, mais se retrouvait "avec 100.000 tonnes de granit" sur les bras.

Plus parrain que jamais, il savait attirer les chercheurs et scientifiques éminents qui avaient envie de dialoguer avec lui et le public, lors des Croisières du Savoir, mises sur pied par le truchement d’un compère de longue date, Marc Saugier. Et c’est ainsi, comme il le raconte dans ce livre où nous avons l’honneur d’être cités, ce qui nous émeut beaucoup, qu’ont été évoqués « Une nouvelle histoire de l’humanité », « Les pouvoirs de l’esprit, les mystères du cerveau », « Grèce, berceau des sciences » et les sujets de sept autres voyages où ont pu se côtoyer Hubert Reeves, Jacques Perrin, Michel Serres, Catherine Cesarsky, Jean-Claude Ameisen, Jean-Paul Demoule, Sophie Van Eck, Cédric Villani, Gilles Bœuf, Jean-François Clervoy, Claude Lorius, Alain Berthoz, Marc Lachièze-Rey, Axel Kahn, Albert Jacquard, Jean-Didier Vincent, Philippe Charlier, Anne Lehoërff, Anny Cazenave, Alain Berthoz, Michel Blay, Jean-Pierre Mohen, Hervé Le Treut, Christian Jacob, Francis Rocard, Jacques-Marie Bardintzeff…

Que celles et ceux que nous aurions malencontreusement oublié(e)s nous pardonnent. Surtout, nous voulions ici rendre un autre hommage à beaucoup de ceux embarqués dans cette histoire et qui ont disparu, avant leur ami Yves. Nous osons le mot d’ami(e) car les repas à bord du bateau, avec quelques bonnes bouteilles – il avait son diplôme de « vigneron d’honneur », notamment pour les vins de Sancerre à Crézancy - rendaient aptes à forger des relations inédites entre scientifiques issus de mondes très différents, de l’astrophysique et de la préhistoire, de la génétique et de la climatologie, du spatial et de l’océanographie…

Monsieur le professeur au Collège de France, que chacun appelait alors par son prénom, répugnait à apparaître pompeux, même s’il pouvait se targuer d’avoir obtenu plus d’une quinzaine de médailles et pas seulement en France, Grand officier de la légion d’honneur ou Commandeur de l’ordre des Palmes académiques, mais du sud au nord de la planète - médaille d’or de l’empereur d’Ethiopie Haïlé Sélassié, médaille Carl Gustaf Bernhard de l’Académie royale des sciences de Suède, ou encore docteur honoris causa et membre de toutes sortes de sociétés prestigieuses dont l’Académie pontificale des sciences… Comme il l’a souligné d’un ton badin dans son livre « Origines de l’Homme, origines d’un homme : Mémoires ». suite à la croisière de 2016 intitulée « Le savant dans la cité, en mer Tyrrhénienne », il avait finalement accepté de "reprendre" pour lui le qualificatif de savant. "Pris au sérieux, il serait ridicule, mais il est devenu désuet, poétique et charmant", notait-il. Et d’ajouter qu’il nous l’avait emprunté et nous en remerciait. Le Parrain était aussi un grand charmeur.

1) Une mémoire de mammouth. La science au fil des jours, par Yves Coppens, Odile Jacob, juin 2022, 24,90€

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