Décès de la plasticienne péruvienne Teresa Burga à l’âge de 85 ans

Décès de la plasticienne péruvienne Teresa Burga à l’âge de 85 ans
Teresa Burga © Alexander Gray Associates

L'artiste, dont les messages féministes étaient portés par des installations multimédias, est décédée à Lima des suites du COVID-19 le 11 février dernier.

Domination masculine, dictature, colonialité, bureaucratie. Voilà quelques-uns des thèmes que l’artiste conceptuelle péruvienne Teresa Burga a eu à cœur d’explorer depuis les années 1960. En phase avec les turbulences politiques de son temps, elle n’aura pourtant obtenu la reconnaissance de ses pairs que très récemment, au début des années 2000. Artiste prolifique et touche-à-tout, inspirée par le mouvement Pop Art et fondatrice du groupe Arte Nuevo (1966-1967), Teresa Burga s’est éteinte à Lima le 11 février dernier après avoir été contaminée par le COVID-19.

Premières années

Né en 1935 à Iquitos, une ville enclavée dans la forêt amazonienne péruvienne, Teresa Burga étudie à la Pontificia Universidad Católica del Perú. Après être passée par Londres et Paris, elle expose pour la première fois à Lima en 1965. Elle co-fonde le groupe Arte Nuevo (1966-1968) qui engage une réflexion profonde sur les modes d’expression artistiques péruviens. Sa première installation, en 1967, entend montrer que les femmes sont perçues comme des biens de consommation, en développant une réflexion sur l’assignation des rôles de genre et la limitation de la vie des femmes à la sphère familiale. En 1968, au moment où le coup d’État militaire du général Velasco survient, Burga part étudier à Chicago. Elle revient au Pérou en 1971 et développe son art dans un contexte autoritaire, qui marque profondément son œuvre.

 

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Burga, l’inclassable

Il est impossible de comprendre pleinement l’œuvre de Teresa Burga sans la replacer dans le contexte autoritaire et bureaucratique, hérité de l’administration coloniale, propre à l’Amérique latine. Elle va ainsi s’atteler à critiquer la colonialité des modes de pensée, d’expression et d’administration de son pays et de son continent, dans la droite lignée des travaux du Groupe Modernité/Colonialité (à ne pas confondre avec les études décoloniales). Les sociologues, philosophes et sémiologues qui composent ce groupe ont cherché, à partir des années 1940, à s’extraire de la pensée européene, de la dépendance, matérielle et intellectuelle, à l’Europe, pour faire émerger une pensée purement latino-américaine.

Au cœur des travaux de l’artiste figurent également les questions de domination masculine, mais aussi les transformations sociétales induites par l’émergence des nouvelles technologies, notamment l’informatique et la télévision à partir des années 1980. Adepte des happenings et des productions mêlant image, son et vidéo, Teresa Burga a toujours innové, tant sur la forme que sur le fond.

À l’avant-garde

Très en avance sur son temps, Teresa Burga cherche à déconstruire les schémas de la domination, qu’elle soit raciale ou patriarcale. Sa première œuvre de grande ampleur, intitulée Perfil de la mujer peruana (Profil de la femme péruvienne, 1980-1981), se situe à l’intersection de l’art et des sciences sociales. Avec l’aide de la psychologue Marie-France Cathelat, cette œuvre conceptuelle dresse un portrait, à la fois morphologique et intellectuel, de la condition des femmes de la classe moyenne péruvienne. Teresa Burga illustre ainsi les données statistiques qu’elle a recueillies lors de ses entrevues avec plus de 200 femmes. Elle reprendra ce projet en 2017, pour l’actualiser et le compléter, en y ajoutant notamment le profil religieux de ces femmes, symbolisé par deux bols remplis, pour l’un, d’eau bénite, et pour l’autre, de sel.

Le tournant des années 2000

Malgré son fort message sur l’oppression de genre, l’œuvre de Burga est ignorée par les critiques d’art de son époque qui passent complètement à côté de sa démarche. Du début de sa carrière aux années 2000, Teresa Burga continue de créer, bien que son travail ne rencontre pas le succès escompté. Pendant toutes ces années, elle milite pour la visibilité des femmes artistes au Pérou et dans le monde. Il a fallu attendre son 75e anniversaire pour qu’elle arrive enfin sous le feu des projecteurs. L’engouement international autour de son travail précurseur l’amène à être exposée en Argentine, en Belgique, en Suisse et à Stuttgart. Elle est la première artiste péruvienne à être exposée aux biennales d’Istanbul et de Venise, respectivement en 2011 et 2013. De nombreuses rétrospectives lui sont consacrées et soulignent le caractère avant-gardiste à bien des égards de son œuvre. Dans la nécrologie qu’il lui a consacrée, le conservateur Miguel Lopez parle d’elle comme d’une « pionnière de la recherche féministe ».

Sentiment de finitude

Si les travaux de Teresa Burga se sont énormément centrés sur la situation politico-sociale péruvienne et son insertion dans un contexte global, son dernier projet s’est, lui, centré sur sa propre personne. En reproduisant des dessins d’enfants, l’artiste, consciente de son vieillissement, souhaitait enclencher une réflexion sur sa propre finitude et tisser des liens entre le début et la fin de la vie. Elle souhaitait aussi, par cette performance, redonner leur importance à ces productions élémentaires.

À partir de 2020, elle a également dessiné de nombreuses scènes de la vie quotidienne en situation de pandémie « qui a affecté très différemment les populations selon leur lieu de résidence, leur situation économique ou leur tranche d’âge », d’après ses propres mots.

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