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Animaux

Avec la disparition des animaux, la mort des plantes

Un éléphant de savane d’Afrique, aperçu en Afrique du Sud en 2013.

Les plantes ont perdu 60% de leur capacité à s’adapter au changement climatique, révèle une étude. En cause : la disparition d’oiseaux et de mammifères, qui disséminent les graines vers des zones plus adaptées aux plantes.

Augmentation de la température, précipitations variables, intensification des canicules... Le réchauffement climatique met les plantes à rude épreuve. Pour survivre, la plupart doivent migrer à la recherche de conditions météorologiques plus adaptées. Sans pattes, ni ailes, ni nageoires pour se déplacer, plus de la moitié d’entre elles utilisent les animaux pour déménager vers de nouvelles contrées. Mais selon une étude publiée le 13 janvier dans la revue Science, la disparition progressive des populations d’oiseaux et de mammifères aurait réduit la capacité des plantes à s’adapter au changement climatique. Et ce, de 60 %. À terme, cela pourrait mener à l’extinction de certaines espèces végétales.

Afin de parvenir à ce résultat, l’équipe de chercheurs a recueilli et analysé les données de plusieurs milliers d’études portant sur la manière dont les mammifères et les oiseaux déplacent les graines des plantes à travers le monde. Cette dissémination peut prendre plusieurs formes, résultant de plusieurs millions d’années de coévolution. Les graines de bardane sont par exemple dotées de minuscules crochets qui s’accrochent à la fourrure des quadrupèdes de passage. D’autres espèces se déplacent via le tube digestif des animaux. Piégées dans des fruits à la couleur et au goût alléchants, les graines sont consommées, puis excrétées à bonne distance du lieu où elles ont été produites. L’éléphant de savane d’Afrique (Loxodonta africana), par exemple, peut transporter des graines à 65 kilomètres de l’endroit où il les a ingérées. « Les oiseaux peuvent également transporter les graines sur de longues distances, mais dans une moindre mesure par rapport aux animaux les plus larges », précise l’auteur principal de cette étude, Evan Fricke.

En temps normal, la dissémination permet aux plantes de s’épanouir dans de nouveaux territoires et d’éviter d’entrer en compétition avec leurs descendants pour l’accès à la lumière. Un mécanisme désormais crucial pour leur survie. « À mesure que le climat change, les habitats adaptés aux plantes évoluent, explique Evan Fricke. Elles doivent se déplacer de quelques centaines de mètres à plusieurs dizaines de kilomètres par an pour parvenir à se maintenir dans des conditions adaptées. »

Les activités humaines en cause

Ce processus est mis en péril par les activités humaines. Au cours des cinq dernières décennies, la biomasse des animaux sauvages a diminué de 82 %, selon le dernier rapport de la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité (IPBES). Le taux d’extinction des espèces est aujourd’hui 10 à 100 fois supérieur à la moyenne des dix derniers millions d’années, une vitesse qui laisse les scientifiques penser que la planète vivrait aujourd’hui sa « sixième extinction de masse ». En cause, notamment, la destruction des habitats naturels, le braconnage ou l’introduction d’espèces invasives. « Beaucoup d’espèces végétales sont à la traîne, note Jonathan Lenoir, chercheur en écologie au CNRS (qui n’a pas contribué à cette étude). Si l’être humain n’avait pas impacté ce réseau d’interactions, la capacité de dispersion des plantes serait bien plus importante. »

Evan Fricke évoque l’exemple des éléphants. « Lorsqu’ils sont tués pour leur ivoire, leurs estomacs sont pleins de graines. On accorde souvent de l’importance aux gorilles, aux ours bruns et aux autres animaux de grande taille pour leur charisme, mais ils ne sont pas juste charismatiques, ils font également partie des meilleurs disperseurs de graines. »

Les conséquences de la disparition de ces espèces pour les plantes sont particulièrement importantes en Amérique du Nord, en Europe et dans le sud de l’Amérique latine. La mégafaune capable de disperser des graines sur de longues distances (comme par exemple les grizzlis en Californie) a en effet disparu de ces régions depuis plus longtemps. À l’avenir, l’érosion des populations de mammifères et d’oiseaux pourrait menacer les écosystèmes tropicaux, notamment à Madagascar et en Asie du Sud-Est. Les animaux peuvent en effet disperser jusqu’à 90 % des graines d’arbres des forêts tropicales. Un grand nombre d’entre eux, comme le tapir du Brésil (Tapirus terrestris) ou le Calao à casque rond (Rhinoplax vigil), sont aujourd’hui classés comme en danger ou vulnérables par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). L’équipe de scientifiques estime que la disparition de ces espèces pourrait réduire de 15 % supplémentaires la capacité des plantes à s’adapter au changement climatique.

Destruction des habitats

D’autres facteurs expliquent le retard de migration de certaines espèces végétales, précise Jonathan Lenoir. « L’un des plus importants est la fragmentation des habitats par l’être humain. À mesure que les villes s’étendent, que l’on bitume une grande partie des espaces, les habitats naturels deviennent de plus en plus parcellaires et isolés. Certaines espèces ont donc du mal à migrer. Les agents de dispersion eux-mêmes peuvent ne pas atteindre l’habitat suivant. »

La durée de vie de certaines espèces végétales peut également compromettre leur capacité d’adaptation au changement climatique. Le chêne, par exemple, qui peut vivre pendant des centaines d’années, peut commencer à produire des graines seulement après plusieurs décennies. « Ce qui caractérise le changement climatique, c’est sa vitesse inédite, rappelle Jonathan Lenoir. On parle souvent de courbe en forme de crosse de hockey. Les températures moyennes évoluent trop vite par rapport à la capacité de certaines espèces à y répondre. » Le chercheur évoque également « l’hétérogénéité des conditions microclimatiques » dans certains habitats naturels (notamment les forêts), qui freine parfois la migration des plantes, mais ne peut pour le moment être retranscrite précisément dans les modèles.

Cette étude, espère Evan Fricke, devrait toutefois mettre en évidence les liens très profonds entre l’effondrement de la biodiversité et le changement climatique. « Si les espèces disséminatrices disparaissent, beaucoup de plantes pourraient décliner, voire s’éteindre. » Avec une cascade de conséquences dramatiques : « Pour les forêts, cela conduirait non seulement à une perte de biodiversité végétale, et donc d’habitats pour les animaux, mais également à une perte du carbone stocké par les plantes, ce qui accélérerait le changement climatique. » D’où l’importance, selon le chercheur, de protéger les espèces disséminatrices et de lutter contre la fragmentation de leurs habitats. « Tout est interconnecté ; les plantes, les animaux et les humains dépendent profondément les uns des autres. »

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