Menu

Grand Angle

Les aristocrates du RNI veulent-ils rééduquer les «mdawikh» du peuple ? [Edito]

«Puisque le peuple rap contre le gouvernement, il faut rééduquer le peuple !». Cette citation revisitée de Bertolt Brecht, ressemble peu ou prou aux propos polémiques de Aziz Akhannouch, président du RNI, à Milan.

Publié
Aziz Akhannouch, président du RNI. / DR
Temps de lecture: 3'

Quelle mouche autoritaire a piqué Aziz Akhannouch, pris dans une escalade milanaise ? Le patron du RNI s’est-il pris pour le secrétaire général du Parti communiste chinois en visite chez ses ouailles à Ürümqi, capitale de Xinjiang ? «Les Marocains qui manquent d’éducation, nous devons les rééduquer !», a martelé le leader du parti de la Colombe. Voilà une sortie des plus téméraires pour un milliardaire, dans un climat social et politique plutôt tendu au pays où les pigeons finissent dans la pastilla.

Dérapage malheureux ? Coup de buzz médiatique ? Ou stratégie de positionnement politique soufflée par des spin doctors grossièrement inspirée de la série House of cards ? Les théories ne manquent pas pour analyser ce qui ressemble tout simplement à un excès de zèle assez commun au sein du RNI et plus largement au sein d’une classe politique qui ne cesse de montrer avec ostentation des signes d’allégeance royale. Or, à vouloir trop bien faire, ils réussissent le plus souvent à ajouter de l’huile sur le feu plutôt qu’à renforcer la stabilité des institutions qu’ils disent défendre.

On se souvient ainsi de la coalition de parti de la majorité (PJD, RNI, MP, USFP, PPS, UC) qui avait verser de l’essence en plein Hirak du Rif en publiant un communiqué commun dénonçant les velléités séparatistes des manifestants alors même que les demandes de ces derniers portaient principalement sur revendications sociales et économiques. Le rétropédalage n’aura pas suffit à sauver quatre têtes ministérielles de sauter suite à la colère royale.

Si le RNI a été étonnement épargné, il fera les frais d’une autre fronde électronique, quelques mois plus tard, avec le boycott de trois grandes marques (Danone, Sidi Ali et Afriquia). Là aussi, c’est ce fameux excès de zèle, marque de fabrique de notre classe politique avec un avantage certain pour les aristocrates du RNI. C’est ainsi que Mohamed Boussaïd, à l’époque ministre de l’Economie et des finances, a traité les partisans du boycott de «mdawikh» (fous ou écervelés). Quelques mois plus tard, une nouvelle colère royale aura raison de ses fonctions au sein du gouvernement. 

RNI, parti national-aristocratique ?

La rééducation des «mdawikh» voulue par les caciques du RNI porte en elle une violence de classe car revendiquée par des personnes issues de familles bourgeoises à l’encontre des «awbach» du peuple. Si ce terme, utilisé un temps par le roi Hassan II, a disparu du vocabulaire utilisé par le pouvoir royal sous Mohammed VI, les aristocrates du RNI, fidèles à la tradition nationaliste imprimée par le fondateur du parti Ahmed Osman, ont du mal à passer à un référentiel plus démocratique et égalitaire.

Ainsi, les voix discordantes qui émanent de la plèbe, qu’elles aient tort ou raison, doivent finir dans un asile ou dans un centre de rééducation. Drôle d’attitude chez ceux-là même qui affirment vouloir représenter tous les Marocains, y compris ceux des classes populaires. Comment déclarer en même temps vouloir défendre les institutions du pays, et appeler les citoyens à intervenir dans un domaine où la justice n’est pourtant pas réputée frileuse ? S’il faut rééduquer le rappeur et le youtubeur coupables d’une expression irrévérencieuse ou insultante, quelle punition extra-judicaire devons-nous prévoir pour les politiques qui ont fraudé l’argent public et qui ne sont que trop rarement condamnés par la justice ? 

Ce sentiment d’injustice que martèlent Gnawi, Weld l’Grya, et Lz3ar dans leur rap (et peu importe la vulgarité, le talent artistique ou l’opportunisme populiste) est au cœur de la déconnexion entre l’élite politique et la population marocaine. Ne pas entendre la gronde qui vient des faubourgs laissés à l’abandon peut éventuellement être pardonné par un peuple acceptant que tous les Marocains ne soient pas nés sous la même étoile. Mais le ventre plein de brioches ne doit pas faire oublier à nos élites politiques les écrits de Louis-Philippe de Ségur, il y a 200 ans déjà : «Un peuple fier peut se résigner à être vaincu, mais jamais à se voir humilié».

Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com