Auteur de livres majeurs sur la décolonisation et le racisme, le romancier et essayiste Albert Memmi, d’origine tunisienne, est mort le 22 mai, à Paris, à l’âge de 99 ans.
C’est dans la pauvreté du ghetto juif de Tunis, la Hara, qu’est né le 15 décembre 1920 Albert Memmi, l’employé de mairie ayant refusé le prénom hébraïque proposé par le père du nouveau-né. Ainsi vont les rapports de domination dans le système colonial, comme l’analysera plus tard, de manière magistrale, l’auteur de Portrait du colonisé (précédé de Portrait du colonisateur, Corrêa, 1957)…
Fils de Fraji Memmi, bourrelier, et de Maïra Serfati – une Berbère analphabète, dont il gardera la photo près de lui, encadrée dans le coin bureau de son appartement parisien de la rue Saint-Merri –, le jeune Albert grandit au milieu de ses douze frères et sœurs. Il fréquente l’école rabbinique dès l’âge de 4 ans, apprenant à déchiffrer l’hébreu dans les textes traditionnels. Lui qui a grandi dans la langue arabe (le dialecte tunisien est sa langue maternelle), en apprend très vite une troisième : le français, qu’il découvre en entrant, en 1927, à l’école de l’Alliance israélite universelle, fondée, comme il le note lui-même, « par des philanthropes européens, pour aider les enfants orientaux et propager la langue et la culture françaises ».
Excellent élève, il a la chance « inespérée », souligne-t-il, d’obtenir une bourse du gouvernement tunisien et de la communauté juive, ce qui lui permet d’entrer au lycée Carnot, établissement réputé du Tunis colonial. Plusieurs de ses professeurs apparaissent, sous des noms inventés, à l’instar de l’écrivain Jean Amrouche (alias Marrou) ou d’Aimé Patri (alias Poinsot), dans son premier roman, La Statue de sel (Corrêa, 1953, plusieurs fois réédité, notamment par Gallimard). Autofiction avant la lettre, ce récit offre une description sans fard, pleine de saveur et d’amertume, du ghetto juif de son enfance et d’une Tunisie cosmopolite aujourd’hui disparue.
« Coup de tonnerre »
La Statue de sel fait l’effet d’un « coup de tonnerre » dans la communauté juive, confiera au Monde une amie d’Albert Memmi, l’universitaire Annie Goldman : « Les gens étaient à la fois fiers et choqués. C’était la première fois que quelqu’un de Tunis, juif en plus, était publié à Paris. Mais c’était aussi la première fois qu’on décrivait la pauvreté » du petit peuple tunisois. Le livre, qui assure à l’auteur un début de notoriété, fait partie des classiques de la littérature maghrébine francophone du XXe siècle. Il sera mis au programme de l’Institut supérieur des langues de Tunis, au milieu des années 1990, provoquant de nouveau la surprise – de la part, cette fois-ci, des étudiants tunisiens.
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