Pierre Liscia: «Sale, dangereuse, ghettoïsée... La ville de Paris me fait honte!»

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - L’élu du XVIIIe arrondissement publie «La honte», un livre-choc sur l’état de la capitale. À six mois des municipales, il fustige l’incompétence d’Anne Hidalgo.

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Pierre Liscia est élu (non-inscrit) du XVIIIe arrondissement de Paris, ancien chroniqueur dans l’émission «Terriens du dimanche». Il vient de publier La honte. Paris: ce que vous ne savez pas (Albin Michel, 2019).


FIGAROVOX.- Votre livre, «La honte», est un véritable brûlot dirigé contre Anne Hidalgo et ses équipes! Vous lui reprochez son incompétence, mais la maire de Paris, candidate à sa réélection, est en tête des sondages…

Pierre LISCIA.- «La honte» n’est pas plus un brûlot indigeste contre la Maire de Paris qu’un livre-programme assommant. C’est d’abord un récit, celui de mes déambulations dans les rues de la capitale. Je ne reproche pas à la Maire de Paris son incompétence mais son absence totale de vision pour la Ville et d’empathie pour les Parisiens et les Français: l’Hôtel de Ville aujourd’hui est un bateau ivre qui navigue à vue, sans cap ni vision. Le constat est sans appel: 60 000 Parisiens ont fui Paris ces cinq dernières années alors que la banlieue et les autres grandes villes du pays comme Bordeaux, Nantes, Rennes, Toulouse et Montpellier connaissent un regain d’attractivité inédit. Paris n’enthousiasme plus les Français tant la pollution, la saleté, la vie chère, l’insécurité, les embouteillages, le stress et la morosité de la ville y sont devenus de véritables repoussoirs. Sauf que Paris n’appartient pas seulement aux Parisiens. Au contraire, c’est le joyau de la couronne, ce devrait être une fierté nationale. Pourtant, beaucoup de Français ont honte de ce que leur capitale est devenue. Dans ce livre, j’ai tenté de comprendre pourquoi et comment la Ville Lumière avait ainsi perdu de son éclat.

Vous êtes élu du XVIIIe arrondissement où se trouve la Porte de la chapelle. Quelles solutions politiques durables peut-on trouver à la situation infernale qui s’y est établie?

Je suis élu du XVIIIe mais je suis d’abord et surtout riverain de la Chapelle. J’ai été en première ligne de cette descente aux enfers de la Porte de la Chapelle où la Mairie a délibérément concentré les difficultés dans un quartier qui était déjà extrêmement fragile et sinistré. Dans mon livre, je reviens longuement sur ce cynisme irresponsable dont ont fait preuve les élus parisiens et le mépris avec lequel ils ont traité les riverains. C’est édifiant! Aujourd’hui, en plus des problématiques liées à l’insécurité chronique, à la saleté vertigineuse et l’extrême précarité du quartier, sont venus s’ajouter le fléau du crack et le chaos migratoire. Ce quartier est devenu une poudrière! Depuis longtemps, je préconise un plan d’urgence contre le crack qui vise à apporter une réponse sanitaire et sociale à des personnes très largement désocialisées et malades de leur addiction. Aujourd’hui, il n’existe aucune structure pour sortir les toxicomanes de la rue et des mains de leurs dealers et les accueillir dans un parcours de soins au long cours. Quant aux migrants, il faut arrêter d’en faire un enjeu de politique politicienne comme l’a fait la Ville en s’engageant dans un bras de fer stérile avec le gouvernement. Dans ce match entre la Ville et l’État, les premières victimes sont les riverains et les migrants eux-mêmes. Depuis 2015 je réclame une solution concertée et une répartition plus équilibrée de l’accueil. La réduction des délais d’instruction des demandes d’asile et l’ouverture de cinq CAES en Île-de-France par le gouvernement vont dans le bon sens, il faut poursuivre ces efforts. Enfin, pour que l’accueil soit digne et l’intégration réussie, il est impératif d’appliquer la loi de la République et de raccompagner à la frontière les déboutés du droit d’asile. Plus globalement à la Porte de la Chapelle comme dans tout le nord-est de Paris, il faut avoir une action déterminée en faveur de la sécurité du quotidien, de la lutte contre les incivilités et les dégradations, pour une véritable mixité sociale en cassant les ghettos plutôt que de continuer à y sur-empiler le logement social ou encore soutenir les commerces qui moteurs dans l’animation de la vie locale.

Les salles de shoot, également, dont les élus promettaient qu’elles ne dérangeraient pas la vie de quartier, sont en réalité un échec collectif?

La salle de shoot n’a pas pour objectif de sortir les toxicomanes de leur addiction mais simplement de réduire les risques d’overdose et de contamination et de diminuer les nuisances dans l’espace public. À cet égard, c’est un échec. Depuis l’ouverture de la salle, la toxicomanie de rue à ses abords a explosé, au grand désespoir des riverains à qui l’on impose de vivre au milieu du deal et des injections. Contrairement à ce que leur nom indique, les salles de consommation «à moindre risque» multiplient les dangers encourus par les habitants, dans la mesure où elles font converger dans un même quartier les drogués et leurs dealers. Par ailleurs, l’ouverture de la salle n’a pas non plus empêché la recrudescence du crack dans le nord-est de Paris, et pour cause, elle est réservée à la consommation de drogues par voie intraveineuse. Or, le crack s’administre par inhalation. Réclamer des salles d’injection supplémentaires pour lutter contre le crack est révélateur de l’inquiétante méconnaissance du sujet par l’Hôtel de Ville. Une salle de shoot n’est utile que si elle est conçue comme une passerelle entre l’enfer de la rue et une prise en charge sanitaire du toxicomane. Aujourd’hui c’est loin d’être le cas. Je regrette qu’aucun des candidats à la Mairie de Paris ne se soit clairement exprimé sur ce sujet pourtant majeur pour le nord-est de Paris.

Depuis le début de son mandat, Anne Hidalgo ne cesse de vouloir se défausser de ses responsabilités.

Vous évoquez aussi la saleté de la ville. Qu’y peut la mairie? Les Parisiens ne sont pas réputés pour leur civisme…

Paris est désespérément sale. Avec 74 % des Parisiens mécontents de l’action d’Anne Hidalgo en matière de propreté, c’est aussi le premier motif de honte des Parisiens et des Français. Quand une touriste brésilienne filme des dizaines de rats qui grouillent au pied de la Tour Eiffel, sa vidéo fait le tour du monde. La saleté de la ville atteint très sérieusement l’image de la capitale dans le monde. Or cela relève de la compétence exclusive de son maire. C’est le cas dans toutes les villes de France et Paris n’échappe pas à la règle. Pourtant depuis le début de son mandat, Anne Hidalgo ne cesse de vouloir se défausser de ses responsabilités: si Paris est sale, ce n’est pas la Ville qui est défaillante, mais les Parisiens qui manquent d’hygiène. C’est un peu facile et surtout injuste. Les Parisiens ne sont pas plus inciviques que leurs voisins franciliens ou que le reste des Français! Pourquoi la capitale échouerait-elle là où d’autres villes ont réussi? Réforme de la gouvernance, décentralisation des compétences, recours au privé, rationalisation des moyens, lutte sans merci contre les incivilités… Des solutions existent, et j’y consacre d’ailleurs le premier chapitre de mon livre. Au-delà de manquer de courage politique, la majorité actuelle manque de lucidité sur le constat et de clairvoyance sur les solutions. Nul ne saurait gouverner Paris en se pinçant le nez.

La politique d’Anne Hidalgo sur les espaces verts est aussi dans votre viseur: c’est «l’arbre qui cache le béton», dites-vous. Pourquoi?

Paris est la capitale la plus plus dense et la plus carencée en espaces verts d’Europe. On ne compte ici que 5,8 m2 d’espace vert par habitant contre 321 m2 à Rome ou 45 m2 à Londres, ce qui est bien inférieur aux 10 m2 minimum définis par l’OMS pour préserver la santé des habitants. Alors que les Parisiens réclament à juste titre plus de nature en ville, la Ville ne leur propose rien d’autre que la végétalisation de quelques façades et toitures. Au contraire, il est urgent de créer de nouveaux espaces de respiration et a minima de sanctuariser ceux qui existent déjà. C’est pourtant tout l’inverse que s’emploie à accomplir la maire de Paris puisque malgré l’affichage d’une ambition environnementale très respectable, elle s’est engagée dans une politique de densification à outrance parfaitement anti-écologique. Sa folle promesse de bâtir 10 000 nouveaux logements par an alors que le foncier disponible est si rare ne lui laisse guère d’autre choix que de construire sur les dernières parcelles libres. La mairie de Paris bétonne et tente de le faire oublier aux Parisiens en engageant plusieurs centaines de millions d’euros dans des projets cosmétiques de végétalisation.

Les Parisiens ne vivent pas ensemble, ils coexistent.

Plus grave encore: la gentrification sociale. Vous dites que Paris est une ville dans laquelle la mixité n’est plus qu’un lointain souvenir. Pourtant, c’est une ville très diverse où vivent aussi bien des populations très privilégiées et d’autres très défavorisées?

À Paris, la mixité sociale n’existe plus. C’est l’une des nombreuses chimères créées par la gauche pour ne pas employer les termes qu’elle a bannis de son logiciel de pensée. Un quartier n’est pas «ghettoïsé», il est «populaire» ; un arrondissement n’est pas «gentrifié», c’est un exemple de «mixité sociale». Faire le constat de la diversité sociale n’est pas un gage de mixité sociale. S’il ne peut y avoir de mixité sans diversité, la réciproque n’est pas vraie. Paris en est le meilleur exemple: les Parisiens ne vivent pas ensemble, ils coexistent. Ils se côtoient mais ne se mélangent pas. Figée dans ses certitudes, la gauche persiste à croire que l’exigence de mixité sociale ne peut être satisfaite que par l’accroissement du parc social. Pire, il lui est inconcevable que la surconcentration de populations en grande précarité puisse accentuer la ségrégation sociale et territoriale. En parfaits idéologues, l’équipe municipale a développé une vision à sens unique de la mixité sociale, bien plus soucieux d’abolir les ghettos de riches que de déghettoïser les quartiers populaires. Au fil des années, la capitale s’est renfermée sur elle-même. Les riches restent entre riches, les familles et les classes moyennes sont repoussées vers la banlieue et les pauvres sont relégués aux quartiers périphériques déclassés. Voilà ce qu’est devenue Paris aujourd’hui.

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Les révélations de notre journaliste dans son livre sur la maire de Paris
François Delétraz, journaliste au Figaro et auteur de “La reine maire de Paris”, un livre sur Anne Hidalgo.
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Un sujet que vous abordez moins: le tourisme. Beaucoup de Parisiens jugent qu’il y a trop de touristes à Paris: vous aussi?

Je consacre un chapitre à la question du tourisme que j’appréhende par le biais de l’accueil. Dans cette déambulation qui constitue le fil conducteur du livre, je prends le temps de faire le constat de la réalité des portes d’entrée internationales dans Paris: Roissy-Charles de Gaulle, le RER B, la Gare du Nord, la Porte de La Chapelle… Le premier contact des touristes avec la capitale reste brutal et inhospitalier. Les touristes du monde entier ont beau faire des rêves aux parfums de Notre-Dame de Paris, c’est bien la puanteur de la cour des Miracles qui leur prend le nez. C’est une véritable honte pour notre pays.

Quant à leur nombre, je crois que le débat ne doit pas se poser en ces termes: il n’y a pas trop de touristes à Paris, ils sont simplement mal répartis. Les dizaines de millions de touristes s’entassent sur les mêmes sites touristiques, alors que Paris et sa région recèlent des trésors qui ne sont pas valorisés et exploités à leur juste valeur. Prenez les églises de Paris: bien que propriétés de la Ville de Paris, elles sont dans un état avancé de dégradation. Or, les églises sont de véritables trésors architecturaux, historiques et artistiques qui sont pour la plupart inscrits ou classés au titre des monuments historiques. En Île-de-France, la Vallée de Chevreuse, le parc naturel du Vexin ou encore la cité médiévale de Provins ne méritent-ils pas de bénéficier de la manne que représente le tourisme dans la capitale? Pourquoi ne pas aussi envisager le développement de nouveaux parcours touristiques dans le nord-est de Paris, dans ce Paris populaire et faubourien? La Ville de Paris doit être moteur dans le développement du tourisme et doit cesser de le subir comme c’est le cas aujourd’hui. Pour cela, encore faut-il avoir une vision et un projet pour la capitale.