Mort d’Irina Antonova, grande figure du Musée Pouchkine

Mort d’Irina Antonova, grande figure du Musée Pouchkine
Irina Antonova au vernissage de l'exposition Rembrandt au Musée Pouchkine de Moscou en 2012 ©Musée Pouchkine

Historienne de l'art et ancienne directrice du Musée Pouchkine de Moscou, Irina Antonova est décédée des suites de la Covid-19, le 30 novembre 2020, à l'âge de 98 ans.

Irina Antonova est décédée à 98 ans après avoir contracté la Covid-19. Pendant près de 75 ans, cette historienne de l’art a exercé diverses fonctions directionnelles au Musée Pouchkine de Moscou, assurant le rôle de directrice pendant plus de 50 ans. Dans un communiqué de presse, le Musée d’État des Beaux-Arts a annoncé, non sans émotion, la perte de cette figure tutélaire. Originellement formée pour devenir infirmière, Antonova aura finalement pansé les plaies artistiques d’un pays longtemps défavorable à l’art moderne. Défenseure de l’Impressionnisme, elle a été l’instigatrice de nombreuses expositions consacrées aux grands noms de l’art du XIXe et XXe siècle.

Trésors de guerre

Irina Antonova, née en Allemagne en 1922, intègre le Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine dès 1945 en tant que conservatrice au département de l’art de l’Europe Occidentale. Entre 1946 et 1949, elle y poursuit ses études postuniversitaires. Spécialiste de la Renaissance italienne, elle est nommée directrice de l’établissement seize années plus tard. Elle en tiendra les rênes pendant 52 ans, contre vents et marées diplomatiques, soutenant avec fermeté l’art moderne, l’impressionnisme et le postimpressionnisme. « Les politiciens vont et viennent, confiait-elle un jour, mais l’art est éternel. »

Au sortir de la guerre, Irina Antonova fait preuve d’une poigne de fer dans la prise en charge des collections et la supervision des projets d’exposition. Alors que les restitutions d’œuvres pillées lors des conflits armés commencent à se structurer, elle refuse catégoriquement de rendre à Allemagne ses biens culturels, qu’elle qualifie de « compensation » pour le patrimoine russe détruit par le régime nazi. Le Trésor de Priam, découvert sur le site de l’antique Troie par l’archéologue allemand Heinrich Schliemann et saisi à Berlin par l’armée soviétique, reste au Musée Pouchkine où il est encore conservé aujourd’hui. Irina Antonova va jusqu’à organiser des expositions consacrées aux œuvres d’art prises en Allemagne par l’Armée de Staline. Étant donné le contexte diplomatique, celles-ci sont instantanément sujettes à controverse. Mais Antonova se sait soutenu par les chefs du gouvernement russe. Vladimir Poutine a rendu hommage à cette personnalité muséale dont il « appréciait [l]es profondes connaissances ».

En 2002, Vladimir Poutine a remis à Irina Antonova l'Ordre du Mérite de la Patrie ©Musée Pouchkine

En 2002, Vladimir Poutine a remis à Irina Antonova l’Ordre du Mérite de la Patrie ©Musée Pouchkine

Défense de l’art moderne

L’un des autres combats d’Irina Antononva est mené sur le champ de l’art moderne. Elle est à l’initiative de grandes expositions itinérantes telles que « Moscou/Paris » avec le Centre Pompidou en 1981, « La Russie et l’Italie », mais aussi de rétrospectives, nécessitant la mise en place d’échanges et de transferts de fonds internationaux. Parmi les expositions phares du musée figurent celles consacrées aux œuvres de Modigliani (2007), Picasso (2010), Caravage (2011) et Rembrandt (2012). En 1974, les équipes du musée moscovite interceptent la Joconde, en escale dans la capitale après avoir été présentée au Musée National de Tokyo. Le chef-d’œuvre de Léonard de Vinci est exposé pendant trois semaines au Musée Pouchkine, avant de revenir en France.
Polyglotte et érudite, Antonova contribue à créer, dès 1967 les « Conférences Wipper », qui réunissent professionnels de l’art russes et étrangers autour d’une thématique commune, ou encore le festival annuel « Nuits de décembre » (devenu « Nuits de décembre de Svyatoslav Richter » dès 1998) qui promeut l’union entre les arts plastiques et la musique.

Marc Chagall et Irina Antonova, lors de la venue du peintre à Moscou en 1973 ©Musée Pouchkine

Marc Chagall et Irina Antonova, lors de la venue du peintre à Moscou en 1973 ©Musée Pouchkine

Une affaire déplaisante

Ses efforts pour mettre en lumière les chefs-d’œuvre étrangers en Russie, malgré la pression des autorités culturelles de l’État, lui vaudront une réputation mondiale. En interne, l’ambition de cette passionnée d’Impressionnisme qui cherche à rassembler les collections Chtchoukine et Morozov, déplaît. Ces deux fonds prérévolutionnaires, nationalisés par les bolcheviks puis répartis entre Moscou et Saint-Pétersbourg, contiennent tous deux des œuvres majeures de l’art moderne occidental qu’ils soient impressionnistes, cubistes, nabis ou fauves. Sa proposition est lancée, fin avril 2013, à la télévision lors d’une intervention de Vladimir Poutine. L’opposition de Mikhaïl Piotrovsky, directeur du musée de l’Ermitage, est rapidement relayée. Pour l’heure, l’ambition d’Antonova se concrétise via de grandes d’expositions présentées notamment à la Fondation Louis Vuitton à Paris.

La directrice du Musée Pouchkine lors du vernissage de l'exposition consacrée au Caravage en 2011 ©Musée Pouchkine

La directrice du Musée Pouchkine lors du vernissage de l’exposition consacrée au Caravage en 2011 ©Musée Pouchkine

À l’âge de 91 ans, Irina Antonova a cédé sa place à Marina Lochak, en juillet 2013, tout en restant présidente du musée. « Jusqu’à ces derniers jours, Irina Antonova vivait la vie du musée, participait à la discussion de ces plans à long terme et ces projets en cours, affirmait son point de vue avec toute sa passion et esprit de logique » peut-on lire dans le communiqué du musée en son hommage.

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