C’est ainsi que je me suis retrouvé verbalement et moralement coincé, un beau jour de printemps, entre ma cigarette et mes enfants. Craignant la question depuis des années, en fait depuis qu’ils avaient acquis la capacité de parler, elle a fini par arriver. Sans prévenir évidemment. Elle est en plus sortie de la bouche d’un ami de mes enfants. Un sale gosse impertinent.
– Pourquoi tu fumes?
Instant suspendu, regards pressants. Ma progéniture semble avoir attendu ce moment durant toute sa brève existence. Ils sont à la fois curieux et soulagés d’avoir délégué l’exercice à un tiers. Dans ce type de situation, il y a plusieurs options: ne pas avoir entendu. Avoir justement un «appel important du travail». Ou encore répondre par une onomatopée située entre le «barf» et le ouste.
Oui, j’ai oublié une possibilité: dire la vérité. Mais me lancer dans une explication dont le spectre irait de la pathétique recherche de coolitude lorsqu’on est ado à la redoutable et tentaculaire industrie de la cigarette m’a paru trop ambitieux. Par je ne sais quel miracle neurologique, il m’est venu une autre idée. Une contre-attaque! Brouiller les pistes.
– Quelle est la dernière bêtise que tu aies faite?
– Dessiner sur mon lit avec un feutre.
– Et au moment précis où tu étais en train de dessiner sur ton lit, tu savais déjà que c’était une bêtise?
– Oui…
– Eh bien voilà, c’est comme si j’étais en train de dessiner au feutre sur mon lit.
J’ai éteint ma cigarette. Mais je ne me souviens plus si c’était par honte d’avoir été pris en défaut ou par fierté d’avoir repoussé le problème à plus tard.