Syrie: la France doit envisager le repli des forces spéciales

L’état-major des armées est resté discret sur les opérations en cours sur place. Le risque d’une dispersion des derniers djihadistes oblige Paris à revoir sa stratégie.

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La formulation du communiqué de l’Élysée est volontairement floue: «Des mesures seront prises pour assurer la sécurité des personnels français militaires et civils présents» dans le nord-est de la Syrie. Derrière ces mots codés, diffusés à l’issue d’un conseil de défense qui s’est tenu dimanche soir, il est question du maintien dans la zone des forces spéciales françaises. Dans cette région contrôlée jusqu’alors par les forces kurdes après la victoire militaire contre Daech, l’offensive turque et le retrait des forces américaines ont rebattu les cartes. Sans pouvoir exercer d’influence et alors que ressurgit le risque d’une dispersion des derniers djihadistes, Paris doit revoir sa stratégie.

L’état-major des armées est évidemment discret sur les opérations en cours et les quelques centaines d’hommes sur place. Au ministère des Armées, on temporise aussi: la situation est trop fluctuante. Pour tenter d’y voir plus clair, la ministre Florence Parly devait enchaîner les entretiens lundi avec ses homologues américain, Mark Esper, et turc, Hulusi Akar.

La mission des forces spéciales françaises est devenue presque impossible. Comme les Britanniques, elles ne sont pas en mesure d’assurer seules leur logistique: renseignement, ravitaillement, évacuation en cas d’urgence… L’hypothèse d’un repli contraint et forcé est donc sur la table, même si elle n’est pas formulée explicitement.

L’imbrication avec les forces américaines a toujours été étroite. Il n’a jamais été envisagé que les Français demeurent seuls sur le terrain

Elie Tenenbaum

«L’imbrication avec les forces américaines a toujours été étroite. Il n’a jamais été envisagé que les Français demeurent seuls sur le terrain», confirme Elie Tenenbaum, chercheur à l’Institut français des relations internationales et spécialiste des questions de défense. Tout au plus la France pourrait-elle conserver une poignée de conseillers. Et encore, pour quoi faire et dans quelles conditions?

Rapatrier ses ressortissants

Le mandat des soldats français n’a jamais été d’épauler les Forces démocratiques syriennes (FDS) mais de lutter avec elles contre le terrorisme de Daech. Avec la chute du califat, des milliers de djihadistes, dont un grand nombre de combattants étrangers, ont été placés en détention dans des camps administrés par les milices kurdes. Mais celles-ci n’avaient jamais caché qu’elles concentreraient leurs efforts ailleurs en cas d’attaque turque.

Jusqu’à présent, la France a toujours refusé de rapatrier ses ressortissants, considérant qu’ils devaient être jugés là où ils avaient commis leurs crimes. Le président américain, Donald Trump, s’en est plaint sur Twitter, avec acidité. Le gouvernement irakien ayant décidé de ne plus récupérer ces prisonniers pour les traduire devant les tribunaux, l’équation s’est compliquée. Elle est devenue explosive, si les FDS n’assurent plus le contrôle du terrain.

«Les Kurdes pourraient transmettre la gestion des camps aux forces syriennes loyalistes», explique Alain Rodier, directeur de recherche au sein du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Si c’est le cas, Damas bénéficiera alors d’un instrument de négociation très puissant pour faire pression sur la France. Si les terroristes tombaient entre les mains des autorités turques, c’est Ankara qui disposerait d’un tel levier. Dernière option, les djihadistes pourraient profiter du chaos pour s’échapper de leur prison.

Aucun choix n’est sans risque pour les terroristes. Reprendre le chemin de l’Europe, où ils sont recherchés, serait particulièrement périlleux

«Ils pourraient alors décider de rejoindre le maquis de Daech en Syrie ou en Irak, de revenir en Europe ou de rejoindre d’autres théâtres en Afrique ou en Asie», poursuit Alain Rodier. Aucun choix n’est sans risque pour les terroristes. Reprendre le chemin de l’Europe, où ils sont recherchés, serait particulièrement périlleux. Mais cette menace pour la France demeure réelle. Côté turc, on soupçonne aussi les Kurdes de libérer des prisonniers de l’état islamique pour «semer le chaos».

Lundi, Donald Trump a aussi accusé les forces kurdes d’avoir volontairement laissé s’échapper des djihadistes pour forcer les États-Unis à «s’impliquer». Dimanche, les troupes kurdes ont affirmé que 800 proches de djihadistes avaient fui d’un des camps.