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Boris Cyrulnik : « L’attention à la maltraitance animale témoigne d’une société plus morale »

Pour le psychiatre et éthologue, la découverte d’un monde mental chez l’animal implique un devoir moral des êtres humains à leur égard. Il participe à la conférence « S’aimer comme des bêtes », le 7 octobre au Monde Festival.

Propos recueillis par 

Publié le 24 septembre 2018 à 12h10, modifié le 25 septembre 2018 à 10h34

Temps de Lecture 8 min.

Pour Boris Cyrulnik (ici en 2015 à La Seyne-sur-Mer), la prise de conscience que l’animal possède un monde mental, même différent du nôtre, a transformé notre perception du monde animal.

Psychiatre et éthologue, célèbre pour son invention du concept de résilience et ses interventions dans les débats éthiques, Boris Cyrulnik applique les méthodes de la recherche sur le comportement animal à l’étude de la psyché humaine. Il participe dimanche 7 octobre, avec la chercheuse en écologie comportementale Elise Huchard et l’océanographe François Sarano, au débat du Monde Festival « S’aimer comme des bêtes ».

Depuis une trentaine d’années, les scientifiques découvrent des capacités sociales insoupçonnées chez l’animal. Quels sont selon vous les exemples les plus marquants dans ce domaine ?

Dès les années 1950, des chercheurs, des primatologues, notamment Harry et Margaret Harlow, ont réussi à prouver que les animaux étaient des êtres sensibles. En isolant des singes et plus tard des chiens, en les privant d’altérité, on s’est rendu compte que ces animaux développaient des activités autocentrées sur eux-mêmes : balancements, tournoiements et, en cas d’émotions fortes, auto-agression. Les enseignements de ces expérimentations, bien que très convaincants, n’ont pu, à l’époque, entrer dans notre culture cartésienne et chrétienne.

Depuis dix, quinze ans, des neuroscientifiques ont démontré que les mammifères et même les oiseaux possèdent une conscience, ce qui veut dire qu’ils connaissent le plaisir et la souffrance. Ils ont les mêmes zones d’émotion et de mémoire que les humains. Lorsque l’on pique ou coupe un animal, les mêmes substances chimiques d’alerte agissent sur les mêmes zones cérébrales.

En débat au Monde Festival : S’aimer comme des bêtes

Au sein de certaines espèces, les animaux gardent le même partenaire toute la vie. Peut-on dire qu’ils « s’aiment » au sens où on emploie ce terme chez les humains ?

Chez les animaux, le déclenchement d’une manifestation d’orientation sexuelle passe par la perception de substances odorantes, par la perception visuelle ou par des cris. Même lorsqu’un animal se familiarise avec un partenaire, on peut parler d’attachement mais non d’amour. Les êtres humains connaissent probablement cette dimension de la perception qui déclenche une motivation sexuelle intense. Mais l’amour chez les humains est un sentiment intense de plénitude, déclenché par une représentation intime dépourvue de toute perception d’odeur, visuelle ou de cri.

Sur la sexualité des animaux : Article réservé à nos abonnés Les animaux ont toujours pratiqué la sexodiversité

Les animaux savent aussi collaborer, parfois mieux que les humains. Que peuvent nous apprendre les relations sociales animales sur la psychologie humaine ?

Les animaux nous apprennent beaucoup sur le fonctionnement de notre cerveau sculpté par notre milieu. A partir des expérimentations du couple Harlow, on a montré à quel point nos bébés, même s’ils sont sains biologiquement, n’avaient aucune chance de se développer correctement s’ils restent seuls, s’ils ne sont pas en présence de quelqu’un qui les tranquillise, les sécurise.

Les altérations comportementales, biologiques et neurologiques provoquées par la solitude sont exactement les mêmes chez les jeunes mammifères supérieurs et chez nos enfants. De même qu’un jeune animal isolé n’apprend pas les rituels de jeu, un enfant, s’il est seul, n’apprend ni à jouer ni à parler, il n’apprend rien de tout ce qui caractérise la condition humaine.

Avec d’autres personnalités, vous avez appelé, il y a deux ans, à la création d’un secrétariat d’Etat à la condition animale. Le mouvement croissant contre la maltraitance animale constitue-t-il un tournant dans notre société ?

On peut en effet parler de tournant. Nous avons été très longtemps influencés par Descartes, qui ne pensait l’animalité qu’en termes de machine, puisque l’esprit était réservé à l’être humain. Dans un monde cartésien, les animaux n’ont pas de monde intime.

Nous savons maintenant – cela a été démontré – que les animaux, non seulement sont des êtres sensibles, mais qu’ils ont un monde mental. Ce monde mental diffère bien sûr du nôtre. Mais un animal est capable de traiter des informations présentes ou passées et de s’en servir pour résoudre ou anticiper un problème.

En milieu naturel, on a observé des singes effeuiller une branche, la traîner sur plusieurs kilomètres, l’introduire délicatement dans une termitière, attendre que les termites grimpent dessus puis la sortir pour manger les insectes. Les animaux fabriquent des outils, se servent de pierres pour casser des noix, ils ont des rituels culinaires. Cette vision de l’animal autre que celle de la simple machine a eu du mal à entrer dans notre culture cartésienne. Tout n’est pas encore gagné.

Comment analysez-vous cette évolution ? Que dit-elle de notre société ?

L’attention croissante portée à la maltraitance animale témoigne d’une société de plus en plus morale. Nous prenons conscience que nous ne pouvons plus nous permettre de torturer un être vivant qui va souffrir et qui possède un monde mental, même s’il est différent du nôtre. Dès lors que nous avons une empathie pour d’autres êtres vivants, une inhibition morale nous empêche de passer à l’acte, de torturer.

Etes-vous en faveur d’un droit animal ?

Les animaux ont droit au respect car ce sont des êtres vivants. Nous devons donner aux animaux le droit de vivre sans être torturés par les humains. Mais cela nous donne avant tout des devoirs à nous, êtres humains, le devoir de ne pas torturer, détruire ou rendre malheureux des êtres vivants, quand bien même ils sont différents de nous. Il est dans notre intérêt de respecter le monde vivant, écologique comme animal : si on le détruit, on se détruit nous-mêmes.

« Le Monde » organise, dans le cadre du Monde Festival, une conférence intitulée « S’aimer comme des bêtes ? » sur les comportements et sentiments dans le monde animal, avec Boris Cyrulnik, la chercheuse en écologie comportementale Elise Huchard et l’océanographe François Sarano. Au Palais Garnier, dimanche 7 octobre, de 14 heures à 15 h 30.

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