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Patrizia Ciofi défie Don Giovanni

Patrizia Ciofi: «En chantant Donna Anna, j'ai à chaque fois l'impression de retrouver ma propre maison.»

Léger et burlesque, mais aussi sombre et tragique: avec «Don Giovanni», Mozart nous offre une intrigue où l'équilibre de ces registres si antinomiques atteint une perfection diabolique jamais déployée ailleurs. Sur le versant sombre de ce chef-d'œuvre universel, on retrouve Donna Anna, victime bouleversante du collectionneur de conquêtes féminines. Et pour l'incarner à l'Opéra des Nations, dans cette dernière production de la saison du Grand Théâtre, la soprano Patrizia Ciofi, que le sourire et le regard clair et solaire semblent placer très loin des malheurs de son personnage. L'Italienne nous raconte cette nouvelle page de sa brillante carrière lyrique.

Donna Anna est une figure qui a marqué votre vie musicale…

Oh oui, je l'ai chantée à maintes reprises, mais surtout, j'ai débuté avec ce personnage à l'âge de 23 ans.

Et qu'est-ce que cela vous fait de le retrouver?

Cela provoque une étrange sensation. C'est un peu comme si je retrouvais ma propre maison, mais qu'à cela venait s'ajouter le trouble de la découverte de nouveaux traits, de pièges que je n'avais jamais perçus auparavant. Tout cela découle sans doute du fait que nous-même, en tant qu'interprètes, nous changeons: notre voix évolue, notre vie et notre manière d'appréhender la vie se modifie. Les mêmes phrases et les mêmes mots, nous les percevons sous des angles différents. Je sais que je ne vis plus Donna Anna comme je le faisais à 23?ans.

Et comment la viviez-vous à l'époque?

À cet âge-là tout me paraissait être plus facile. J'étais sans doute immature, ma voix était plus claire et jeune, mais j'avais un élan juvénile qui me poussait à tout donner sans crainte. Donc, Donna Anna, je la vivais de manière viscérale, un peu comme si mon père avait été vraiment tué et que Don Giovanni avait réussi à manipuler mon destin avec son charme irrésistible. Avec le temps, j'ai appris à mettre davantage de distance entre moi et ce personnage. Pourtant, avec l'expérience et l'âge, la peur de ne pas être à la hauteur, la crainte de ne pas réussir à dépasser les difficultés de ce rôle sont devenues toujours plus envahissantes. Ce qui constitue un grand paradoxe.

Quels sont les défis qui génèrent cet état d'appréhension?

Je sens dans sa voix une opposition permanente entre force et fragilité et je crois que pour plonger dans ce personnage, il faut trouver l'équilibre entre ces deux pôles. Je me souviens qu'au début, lorsque j'ai chanté pour la première fois Donna Anna, une partie mon entourage me mettait en garde sur le poids de ce rôle lourd. Je n'y ai jamais cru de mon côté, parce que Mozart fait aussi de la place aux mots: le grand récitatif qui précède le premier air laisse de la place aux couleurs et aux expressions de la voix. C'est ce passage qui m'a permis de «résoudre» le personnage.

Comment vivez-vous le fait de vous confronter à une œuvre aussi populaire? Est-ce une pression supplémentaire?

Nous avons l'obligation et la responsabilité de faire vivre ce patrimoine et de le rajeunir à chaque occasion qui s'offre à nous. Si nous pensons à ce qui a été fait dans le passé, et qui est considéré aujourd'hui comme inatteignable, nous risquons la paralysie. Ma force, je la trouve dans le travail que nous faisons en amont, avec le mois de répétitions, ou encore avec les liens que la préparation permet de tisser au sein des équipes.

À ce propos, comment vivez-vous les séparations qui suivent la fin de chaque production?

Chacun vit cette dimension affective à sa façon: il y a ceux qui se protègent et préfèrent garder une certaine distance avec les collègues. De mon côté, j'aime sentir et connaître les personnes qui m'entourent. Par la suite, j'estime que les vraies amitiés perdurent même à distance, bien après les représentations. Cela est d'autant plus vrai que nous disposons aujourd'hui de moyens de communication pour alimenter ces relations. J'ajouterais enfin que, lorsqu'on travaille à plein régime et qu'on passe vite d'un projet à l'autre, on a à peine le temps de penser aux séparations.

Comment plongez-vous dans une nouvelle production comme celle-ci? Avez-vous tendance à imposer vos options et vos idées ou, au contraire, préférez-vous vous laisser guider?

J'aime oublier ce que j'ai pu faire d'un personnage; j'essaie toujours de faire tabula rasa avec le passé. Mais tout cela dépend aussi de l'attitude des metteurs en scènes. Ceux qui aiment laisser faire et qui font confiance à la distribution se reposent souvent sur les expériences passées de chacun. D'autres imposent une idée puissante de mise en scène et parviennent à chambouler la vision que vous aviez jusque-là de votre personnage.

Dans ce cas précis, où vous situez-vous?

Je pense que David Bösch sait qu'il dispose d'une distribution d'expérience. Alors, il nous a beaucoup observés, il a laissé faire, puis il est intervenu pour apporter ses touches, en tenant compte de nos idées scéniques.

«Don Giovanni», dramma giocoso de W. A. Mozart, Opéra des Nations, du 1er au 17 juin. Rens. www.geneveopera.ch