A l’occasion de la mort du professeur Christian Cabrol, vendredi 16 juin à Paris, à l’âge de 91 ans, nous republions cet article paru dans Le Monde le 21 janvier 1992.
Agé de soixante-six ans, le professeur Christian Cabrol (Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, à Paris) est l’un des pionniers français des transplantations cardiaques et l’un des meilleurs spécialistes internationaux de la chirurgie du cœur. Il préside l’association France-Transplant. Cet organisme, créé en 1969 par le professeur Jean Dausset, groupe l’ensemble des équipes de transplantations et de prélèvements d’organes, ainsi que les laboratoires spécialisés et les coordonnateurs de transplantations répartis sur le territoire national reliés entre eux par un réseau télématique.
Il y a quelques jours, après le décès d’un jeune garçon atteint de mucoviscidose et pour lequel on n’avait pu trouver de poumons transplantables, vous avez déclaré que c’était « la société qui avait tué cet enfant », stigmatisant à cette occasion « l’avarice de ceux qui se font enterrer avec leurs organes ». Vos propos ont été sévèrement commentés. Pourquoi les avoir tenus ?
Peut-être ai-je été un peu dur, mais il faut me comprendre. Le contraste était trop grand entre les neuf mois d’attente vécus par cet enfant, sans parler des autres, et puis brutalement, ce que j’appelle des larmes de crocodile, l’émotion publique des huit derniers jours, alors même que trouver des poumons dans une période aussi brève est une tâche quasi impossible. Tout cela m’a paru disproportionné.
Notre société n’a pas fait des greffes d’organes l’une de ses priorités. On parle de l’emploi, du déficit de la Sécurité sociale, mais pas assez de la question des greffes, et le problème de fond n’est jamais véritablement et publiquement posé.
Quel problème de fond ?
Depuis deux ans, les refus de dons d’organes augmentent en France. Parallèlement, le nombre de greffons disponibles et de greffes réalisables diminue et ce, alors même que le nombre de malades souhaitant se faire greffer ne cesse d’augmenter.
A quoi, selon vous, tient un tel phénomène ?
D’abord à l’absence ou à l’échec d’éducation de l’opinion publique. Les personnes à qui l’on demande l’autorisation de prélever un ou plusieurs organes sur l’un de leurs proches vivent un drame épouvantable, en particulier les parents d’enfants décédés. Ils apprennent généralement la mort de leur enfant après quelques heures d’angoisse et de solitude. C’est pour eux un choc terrible durant lequel il est fort délicat de venir leur demander une autorisation de prélèvement.
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