Espionnage: comment l’Iran a capturé un opposant vivant en France

RÉCIT - Piégé, l’opposant Rouhollah Zam a été arrêté par les gardiens de la révolution.

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La capture d’un opposant iranien exilé à Paris, vraisemblablement piégé par une jeune femme, est digne d’un roman d’espionnage. Les gardiens de la révolution iranienne ont annoncé lundi à Téhéran l’arrestation par leur service de renseignements de Rouhollah Zam au cours d’une «opération élaborée, professionnelle (grâce) à des techniques astucieuses». Qui est M. Zam? Un opposant à la République islamique, vivant en France depuis une dizaine d’années, où il dirigeait Amadnews, un canal sur la plateforme de messagerie cryptée Telegram.

L’unité d’élite du régime l’accuse d’avoir dirigé «une opération psychologique à grande échelle destinée à semer la discorde entre les instances du système, à propager le mensonge (…) et susciter des émeutes et des troubles dans le pays». Interrogées par Le Figaro, deux sources iraniennes vivant en France confirment que M. Zam «incitait à la violence», notamment lors des manifestations qui avaient secoué l’Iran début 2018. «Il était un opposant offensif et sans limite dans ses messages qui visaient clairement à faire chuter le régime, se souvient l’un d’eux. Zam véhiculait beaucoup de rumeurs, mais parfois aussi des informations exactes.» Qui venaient d’où? Mystère: l’Iran soupçonne ses ennemis saoudiens ou israéliens de l’avoir ainsi alimenté. Les interrogatoires musclés qu’il va subir devraient permettre au pouvoir iranien d’en savoir plus sur ses «parrains». L’homme s’apprêtait à lancer une chaîne de télévision, «la goutte d’eau qui a fait déborder le vase», selon une des sources, qui le connaissait personnellement. Une chaîne, qui aurait dérangé Téhéran, financée par qui? Là encore, les soupçons se portent vers le Golfe. «J’étais sûr que les Iraniens l’auraient un jour», dit l’une des sources. «Son arrestation est typique des méthodes des services iraniens», avance l’autre.

Banale neutralisation d’un ennemi ? Pas seulement.

Si la télévision d’État a diffusé certains de ses aveux dans lesquels il critique les principaux ennemis de l’Iran, les tout-puissants pasdarans n’ont pas dit où et quand ils l’avaient intercepté. Selon nos informations, les gardiens ont commencé par lui envoyer à Paris une jeune femme qui l’aurait convaincu d’aller en Irak pour une audience avec l’ayatollah Ali al-Sistani, la plus haute figure du chiisme irakien, mais aussi le grand rival du numéro un du régime iranien, Ali Khamenei, que M. Zam descendait en flammes dans ses messages. Et ce serait dans la ville sainte de Nadjaf que l’opposant aurait été arrêté par les gardiens, avant d’être transféré en Iran. Les pasdarans auraient mis la main sur son téléphone portable et son ordinateur. D’où une certaine panique dans certains milieux de l’opposition en Iran où il disposait de relais.

Banale neutralisation d’un ennemi? Pas seulement. L’affaire a des ramifications politiques. Officiellement, les gardiens de la révolution accusent Rouhollah Zam d’avoir été «dirigé» par les services de renseignements français. En clair, ce fils d’un religieux proche des milieux réformateurs travaillait avec les renseignements français contre son pays. Réfugié politique, il bénéficiait d’une protection policière, a indiqué au Figaro le ministère de l’Intérieur qui a confirmé son déplacement en Irak. En fait, la France a pu faciliter son arrestation par les pasdarans, en ne le dissuadant pas d’aller au rendez-vous de Nadjaf, promis par sa belle. Pourquoi? «Pour permettre le déblocage de la détention de deux Français emprisonnés en Iran depuis juin», croit savoir l’une de nos sources. Cette affaire, sur laquelle pèse une épaisse chappe de plomb, embarrasse l’Élysée, qui a engagé une médiation avec le président de la République iranienne, Hassan Rohani, pour apaiser les tensions entre Téhéran et Washington. Outre la chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkhah, les gardiens de la révolution détiennent son ami français Roland Marchal, universitaire comme elle.

Emprisonnée dans un centre géré par les gardiens de la révolution, Mme Adelkhah ne peut pas recevoir de visite du consulat français à Téhéran, l’Iran la considérant comme iranienne. En revanche, selon un proche, M. Marchal a été transféré dans une prison standard et a pu recevoir des visites de diplomates français. «Il va mieux», observe ce proche.

«L’arrestation de M. Zam avec une dose complicité des services français pourrait relancer les négociations sur la libération de Fariba Adelkhah et de son ami», estime l’une des sources, familière de la relation franco-iranienne. Avant de les élargir, Téhéran pourrait aussi exiger que le premier ministre, Édouard Philippe, qui en a la charge, s’oppose à une décision de justice d’extrader vers les États-Unis un ingénieur iranien, arrêté en février à l’aéroport de Nice et emprisonné depuis près d’Aix-en-Provence. Washington le soupçonne d’être lié au programme nucléaire iranien.