Cerveau: les vraies portes de la mémoire enfin découvertes

EXCLUSIF - La découverte de neuroscientifiques français et norvégiens redéfinit les circuits de la mémorisation.

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Une équipe de chercheurs du groupe du Pr Menno Witter à l’Institut Kavli de neuroscience des systèmes (Université norvégienne des sciences et de technologie) a découvert que la porte la plus importante qui mène au centre de tri de la mémoire (l’hippocampe) n’est pas celle que l’on pensait jusqu’alors. De quoi revoir de fond en comble les troubles de la mémoire, notamment ceux liés à la maladie d’Alzheimer, et ouvrir de nouvelles pistes thérapeutiques.

Évidemment, voilà des siècles innombrables que l’on cherche à percer les mystères de la mémoire, avec un certain succès il faut l’admettre, mais aussi parfois quelques erreurs historiques. La première fut, en 1953, d’enlever une partie du cerveau d’un patient, célèbre sous les initiales H.M., pour le guérir d’une épilepsie sévère. H.M. fut guéri de son épilepsie mais devint incapable de construire de nouveaux souvenirs. En ôtant le foyer épileptique, le neurochirurgien avait aussi enlevé les deux hippocampes. Or, ces structures cérébrales (ayant vaguement la forme de l’animal marin) dévoilent à cette dramatique occasion le rôle crucial qu’elles jouent dans l’élaboration des souvenirs des événements vécus (mémoire épisodique). Non pas que les souvenirs y soient stockés, mais c’est là que s’assemblent les informations sensorielles perçues lors d’un événement (visuel, auditif, etc.).

Le professeur Français Thanh Pierre Doan et le professeur Menno Witter .
Le professeur Français Thanh Pierre Doan et le professeur Menno Witter . Kavli_Institute_for_Systems_Neuroscience

Pour découvrir une fonction cruciale de l’hippocampe, la mémoire spatiale, il faudra attendre le début des années 1970, les travaux du chercheur américano-britannique, John O’Keefe. Il parvient en effet à enregistrer l’activité électrique des neurones de l’hippocampe de rats. Il découvre alors que certaines cellules, qu’il baptise les «cellules de lieu», s’activent systématiquement selon l’endroit de la cage ou passent les rats.

Une véritable carte cognitive interne

Comme si le cerveau possédait un espace fictif en trois dimensions dans l’hippocampe pour y calquer le plan des lieux où l’on se trouve. Une véritable carte cognitive interne ou plutôt une bibliothèque de cartes des endroits parcourus.

Il faudra attendre la découverte de deux jeunes chercheurs norvégiens, May-Britt et Edvard Moser, qui viennent de monter leur laboratoire à l’université des sciences et technologie de Norvège, à Trondheim, au début des années 2000, pour que soit découvert le rôle crucial pour le positionnement dans l’espace de cellules du CE médian (cortex entorhinal médian). La découverte de ces «cellules de grille», car c’est une véritable grille qui vient comme des hexagones se superposer aux cellules de lieu découvertes par O’Keefe, complète un véritable système de «GPS cérébral» qui incruste lieux et déplacements dans l’espace. O’Keefe et les époux Moser (aujourd’hui à l’Institut Kavli) recevront le prix Nobel de physiologie ou médecine 2014 pour leur découverte.

En 2013, lorsque le Français Thanh Pierre Doan commence sa thèse de doctorat dans l’équipe de Menno Witter, à l’Institut Kavli, le circuit de la mémoire est, pense-t-on, bien établi. Les neuroscientifiques considèrent qu’il y a deux systèmes en parallèle qui convergent vers l’hippocampe. La route principale, qui passe par la porte du CE médian, contient les informations visuospatiales (repérage dans l’espace grâce à la vision), l’autre, par la porte du CE latéral, convoie les informations sur la nature et la qualité d’un objet. En réalité, le travail publié ce 15 octobre dans la revue Cell Reports développe un nouveau modèle des circuits de mémorisation qui mènent à l’hippocampe.

De quoi réorienter la recherche sur la maladie d’Alzheimer

Des travaux menés dans le même institut, et publiés l’an dernier, situent également le marquage temporel dans le CE latéral. «Prenons par exemple la madeleine de Proust, dont le goût fait resurgir des souvenirs d’enfance que l’écrivain croyait oublié. L’hippocampe ramène le souvenir de la cuisine de sa tante (où?), tandis que le CE latéral fournit le goût si particulier de la madeleine trempée dans du thé (quoi?) et le moment de l’enfance (quand?)», explique Thanh Pierre Doan.

Surtout, le jeune chercheur découvre que les informations du CE médian convergent vers le CE latéral avant d’aller à l’hippocampe, ce qui en fait la véritable porte de la mémorisation. «C’est toute l’organisation du système de mémoire du lobe temporal qui est remise en cause, conclut-il, le CE latéral s’avère un supercentre d’information.» De quoi réorienter la recherche sur la maladie d’Alzheimer. Mieux protéger ces neurones pour lutter contre la maladie? «C’est clairement un objectif à terme, répond le Pr Menno Witter, mais le chemin entre science fondamentale et application clinique est long et laborieux.» Au moins dispose-t-on maintenant d’un plan correct.