Le projet fascine, intrigue ou inquiète. A Toronto, capitale économique du Canada, les pouvoirs publics ont confié à Sidewalk Labs l’aménagement d’une vaste friche industrielle sur les rives du lac Ontario. Sidewalk Labs est une filiale sœur de Google au sein du groupe Alphabet. Elle a mobilisé des moyens colossaux pour imaginer une ville futuriste.
Les meilleurs architectes ont dessiné un ensemble d’immeubles, en bois, garantissant une performance énergétique remarquable. Les rues seront partagées entre piétons, vélos et véhicules autonomes. La neige sera évacuée automatiquement. Les services, les déplacements, la gestion de l’eau ou de l’énergie seront optimisés de sorte à répondre aux attentes et aux besoins de chacun. Le tout piloté par la donnée, cela va de soi.
Un nécessaire RGPD canadien
Le projet est très vivement contesté, d’abord localement. Mais les polémiques sont nationales, au point de provoquer un débat sur un nécessaire RGPD canadien (le RGPD est le règlement européen sur la protection des données, ndlr). Et le monde entier observe, car le géant américain ne s’en cache pas : avec ce prototype, il teste un modèle de gestion des villes qui a vocation à être implanté sur toute la planète.
Pour preuve, le dispositif d’information des citoyens sur la collecte des données a été l’objet d’une démarche de design international en intégrant des normes visuelles compatibles avec toutes les cultures. C’est ce dispositif que notre cabinet Civiteo, sollicité par Google, a refusé d’expérimenter en France, considérant, notamment, qu’il ouvrait la porte à la fabrication artificielle du consentement des citoyens.
Mais le problème le plus grave n’est peut-être pas le plus visible. La gouvernance du projet ontarien a laissé à Google le soin de définir les règles, les normes et les usages des données de la ville intelligente. Faute de RGPD national peut-être, faute d’anticipation des enjeux plus sûrement. A bien y regarder, le problème dépasse le « cas » Google, et se pose dans d’autres villes, y compris en France.
Combien testent et déploient aujourd’hui des capteurs « intelligents » ? Des lampadaires connectés ? Des bornes Bluetooth ? Ces expériences sont intéressantes. Ces nouveaux objets connectés alimenteront demain des plateformes de données urbaines qui renforceront l’efficience de la gestion publique et permettront la création de nouveaux services. Mais qui sera propriétaire des données ? Où seront-elles stockées ? Qui contrôlera les usages ? Qui fixera les limites à l’exploitation des données des citoyens, même anonymisées ?
Adoption d’une charte métropolitaine de la donnée
Il est facile de dire « non » à Google. Mais il est plus difficile de se poser pour construire un cadre juridique, éthique ou même démocratique opposable à tous les opérateurs de la ville intelligente qu’ils soient américains ou français, 100 % privés ou d’économie mixte ou même publics. Et la loi n’y suffit pas. Ce sont aux acteurs locaux de préciser leurs attentes et de fixer leurs conditions.
C’est ce que vient de faire Nantes métropole en adoptant une charte métropolitaine de la donnée qui protège les données des citoyens tout en fixant les règles d’usage de la « smart city à la nantaise ». Une chose est certaine, le projet de Sidewalk Labs n’y trouverait pas sa place…
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