Attaque à la préfecture de police de Paris: un imam et beaucoup de questions

ENQUÊTE - Le tueur de la préfecture de police fréquentait la mosquée de la Fauconnière. Son imam adjoint a fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français en 2015, abrogée depuis.

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Qui est vraiment Ahmed Hilali? Depuis quelques jours, les projecteurs sont braqués sur cet imam de la mosquée de la Fauconnière à Gonesse, celle-là même que fréquentait Mickaël Harpon, auteur de la tuerie de la Préfecture de police de Paris le 3 octobre dernier. Fiché S en 2015, Ahmed Hilali a fait l’objet d’une perquisition et d’une obligation de quitter le territoire français la même année, abrogée depuis. Bénéficiant désormais d’un titre de séjour, ce Marocain de 35 ans nie être «radicalisé» et exerce toujours comme imam adjoint à la Fauconnière.

Aucun élément ne permet de prouver sa radicalisation à l’heure actuelle, ni son lien éventuel avec Mickaël Harpon. De nombreuses zones d’ombre demeurent cependant sur le parcours chaotique d’Ahmed Hilali.

Imam non grata à Sarcelles

Tout commence vers 2012, lorsque Ahmed Hilali est invité par les responsables de l’Association musulmane «Foi et unicité», à prêcher dans la Grande mosquée de Sarcelles. Mais au bout de deux ans, l’aventure tourne court. Un conflit oppose les «anciens» à ce jeune imam fougueux. «Il a été licencié en 2014. Ils n’arrivaient pas à s’entendre», commente, laconique, Abdelhamid Bekhi, responsable de la Grande mosquée depuis 2016. Et les responsables de l’époque? «Ils sont tous morts», prétend-il.

Pour en savoir plus, il faut interroger François Pupponi, député du Val-d’Oise et maire de Sarcelles au moment des faits. Selon lui, Ahmed Hilali était alors «très connu» des services du renseignement territorial. «Avec les responsables» de la Grande mosquée de Sarcelles, «nous avons fait en sorte de l’évincer, car il commençait à avoir des attitudes extrêmement dangereuses pour la communauté musulmane de la ville», raconte-t-il au Figaro. «Il recrutait des jeunes délinquants dans les quartiers, il commençait à prendre beaucoup de place, il mettait les anciens dehors, faisait rentrer des salafistes», poursuit-il. «Très vite», Ahmed Hilali «a commencé à vouloir tout diriger dans la mosquée. (…) Les services de renseignements territoriaux savaient cet individu dangereux», insiste-t-il. L’aventure se solde par un affrontement physique et l’expulsion manu militari du jeune importun.

Une expulsion avortée

2015: année noire pour Ahmed Hilali. Le jeune imam, expulsé de Sarcelles, divorcé, voit un jour débarquer des policiers à son domicile. Une perquisition dans le cadre de l’état d’urgence. Il n’en saura pas plus, même s’il suspecte des fidèles de Sarcelles de l’avoir «injustement» dénoncé, dit-il au Monde. La même année, il se voit refuser le renouvellement de son titre de séjour - son premier avait été accordé le 11 décembre 2014, selon le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner.

Dans la foulée, il se voit notifier, par le préfet, une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Mais pas pour sa radicalisation, se défend-il. L’imam affirme que l’OQTF est liée à un défaut de paiement de pension alimentaire à son ex-épouse, avec qui il a eu une fille, ce que confirme une source du Figaro. Le 8 octobre, interrogé à ce sujet par la délégation parlementaire au renseignement, Christophe Castaner déclarait: «Début 2015, il a fait l’objet d’une OQTF qui n’a pas été exécutée, je ne sais pas pourquoi. Depuis, il a été décidé de lui accorder un titre valable parce qu’il a un enfant et parce qu’il est marié».

Selon nos informations, l’OQTF a en réalité été abrogée, du fait notamment du remariage de l’intéressé. La loi prévoit en effet qu’une carte de séjour temporaire portant la mention «vie privée et familiale» soit délivrée de plein droit «à l’étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu’il établisse contribuer effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant (…)».

Mais la série noire ne s’arrête pas là pour Ahmed Hilali. Selon Le Point, l’imam est également fiché S cette année-là, pour «fondamentalisme religieux». Une information que nous confirme le maire de Gonesse, qui ignore toutefois si cette situation est toujours d’actualité.

“Pas de lien hâtif”

De là à voir en Ahmed Hilali un acteur du drame? Si du côté des autorités on reconnaît volontiers une personnalité avec des problèmes de comportement, «un brin manipulatrice», bref «pas vraiment un enfant de chœur», on appelle toutefois à ne pas faire de lien hâtif entre la tragédie de la préfecture de police de Paris et cet imam. D’après les informations du Figaro, les services de renseignement n’auraient pour l’heure pas été en mesure d’établir de connexion entre la radicalisation de Mickaël Harpon et la salle de prière de la Fauconnière, qui ne serait «jamais apparue sur les radars» comme sujet d’inquiétudes.

Salarié de l’association cultuelle, Ahmed Hilali n’était pas imam référent de la mosquée, et à ce titre n’était pas en charge du prêche du vendredi. Il assurait en revanche les cinq prières quotidiennes du dimanche au jeudi, prières auxquelles assistait régulièrement Mickaël Harpon. «Je le voyais, mais il était très discret, je ne lui ai jamais parlé, je ne savais rien de lui, je ne connaissais ni son nom ni sa profession», confie-t-il au Monde. Des vidéos de ses prêches, publiées sur le site de l’Association musulmane de Gonesse, témoignent d’une vision rigoriste de l’islam, mais ne révèlent aucun appel à la violence ni aucune animosité affichée contre les lois de la République.

Est-ce normal qu’un maire ignore cela ?

Jean-Pierre Blazy, maire PS de Gonesse

«C’est une mosquée normale, pas une mosquée salafiste», défend l’ouvreur de la salle de prière, sise dans un pavillon acquis en 2006 par l’association cultuelle des musulmans de Gonesse, et qui accueille chaque vendredi jusqu’à 700 fidèles pour la prière de 13 heures. Ce jeudi, quelques dizaines de croyants, âgés pour la plupart, ont répondu à l’appel de la mi-journée. «S’il y avait eu des prêches radicaux, on aurait quitté la salle!», clame un habitué des lieux. «Si l’imam était fiché S, alors c’est une erreur de la part de la mosquée de l’avoir recruté», estime un autre fidèle.

Même son de cloche à l’hôtel de ville de Gonesse. D’après le maire Jean-Pierre Blazy (PS), les membres du bureau de l’association cultuelle se seraient engagés à mettre un terme à leur collaboration avec Ahmed Hilali s’il venait à être confirmé que ce dernier est encore fiché S à l’heure actuelle. «Je ne veux pas laisser de soupçon infondé planer sur ce lieu de culte ni sur ma commune», affirme l’édile, qui déplore que les autorités tardent à faire la lumière sur cette affaire. «Il est urgent qu’il n’y ait plus d’ambiguïtés sur le cas d’Ahmed Hilali. Est-ce normal qu’un maire ignore cela?» Un flou révélateur, selon lui, de l’absence de communication entre les élus et le renseignement territorial, institution avec laquelle ses échanges se seraient, depuis quelques années, réduits à la portion congrue. «Si j’ai un fiché S sur ma commune, je veux que les autorités clarifient la situation», exige-t-il. «Je pense que beaucoup de maires partagent aujourd’hui mon point de vue.»