L'insoutenable hécatombe des violences conjugales
Malgré une panoplie de politiques publiques, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint. Dans le sillage de MeToo, la société civile se mobilise.
Le décompte glaçant resurgit chaque année à la rentrée. Le dernier en date fait état de 123 femmes tuées par leur conjoint ou ancien conjoint en 2016. Le prochain sera connu début octobre, lors du lancement par le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, de la plateforme de signalement en ligne des violences sexuelles et sexistes. Rien ne dit qu'il sera encourageant. Car après une légère baisse, le nombre de morts violentes au sein du couple stagne. Celles-ci frappent des femmes, mais aussi des hommes (34 décès) et des enfants (25 décès).
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Face à ce phénomène, l'arsenal législatif n'a pourtant cessé de se renforcer. Deux lois, en 2010 et en 2014, ont permis des avancées, telles la mise en place de l'ordonnance de protection (qui permet d'éloigner le conjoint violent) et la prise en compte de l'enfant comme victime. Mais les dispositifs existants restent inégalement appliqués.
Renforcer l'accès aux droits pour les femmes victimes
En novembre 2017, Emmanuel Macron et Marlène Schiappa, la secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, ont réitéré les objectifs ambitieux du cinquième plan interministériel en cours. Renforcer l'accès aux droits pour les femmes victimes, cibler les besoins les plus importants, lutter contre le sexisme pour "déraciner" les violences… L'égalité femmes-hommes, "grande cause du quinquennat", bénéficie d'un budget de 420 millions d'euros en 2018. Insuffisant aux yeux des associations, citant le milliard d'euros qu'y consacre l'Espagne.
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Des plans nationaux de formations sont déployés tous azimuts sous l'égide de la Miprof, la mission interministérielle dédiée. Depuis 2013, celle-ci a conçu sept "kits pédagogiques" et des outils concrets pour les forces de l'ordre, les magistrats, les professionnels de santé et les organismes de formation. Le dispositif Téléphone grave danger s'étend : 694 appareils géolocalisables peuvent être confiés par les procureurs aux femmes menacées pour leur permettre de solliciter à toute heure l'intervention des forces de l'ordre, contre 543 en 2017.
"Libérer la parole des femmes, c'est bien. Seulement, en pratique, quelle forme de soutien leur est apportée?
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Mais si les violences conjugales sont devenues un enjeu majeur de politique publique, cette visibilité s'accompagne de paradoxes : "On est passé du silence au bruit, pointe la sociologue Pauline Delage, spécialiste de la question et auteure de Violences conjugales (Presses de Sciences Po, 2017). Comme les précédents, ce gouvernement multiplie les lois et les annonces médiatiques." Or, dans un contexte budgétaire tendu, des hôpitaux aux tribunaux, ces politiques restent difficiles à mettre en œuvre. Les associations courent après les financements, basés sur des appels à projets plutôt que sur des subventions pérennes. "Libérer la parole des femmes, c'est bien, poursuit Pauline Delage. Seulement, en pratique, quelle forme de soutien leur est apportée?"
Au 3919, numéro gratuit d'écoute et d'orientation, le nombre d'appels a bondi de 15% depuis la fin 2017, selon la Fédération nationale Solidarité femmes (FNSF), qui gère ce dispositif financé par l'État. Mais, par manque de moyens, celui-ci ne fonctionne que jusqu'à 22 heures en semaine et 18 heures le week-end. La directrice générale de la FNSF, Françoise Brié, prévoit un appel aux dons pour faire face : "À Lille, l'accueil de jour a bondi de 30%! Nos 64 associations gèrent 2.700 places d'hébergement. Alors que le manque est déjà criant, cette précarité ne leur permet pas de garder les professionnels bien formés."
Convertir la démarche individuelle MeToo en engagement collectif
La présidente de la Miprof, Élisabeth Moirond-Braud, veut, elle, croire que les mesures engagées vont porter leurs fruits : "Il y a toujours un effet retard. Il faut prendre le mal à la racine. Cela exige beaucoup de volonté, tant les inégalités hommes-femmes sont ancrées." C'est un autre revers de l'"institutionnalisation" des violences conjugales, selon la sociologue Pauline Delage : "Cette question se retrouve isolée des autres inégalités de genre – salaire, rapport à l'emploi… –, qui permettent pourtant de comprendre pourquoi certaines femmes ne partent pas."
En vue du 25 novembre, Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, de multiples actions se préparent. Pour convertir la démarche individuelle MeToo en engagement collectif, une marche est prévue le 24 novembre, sous la bannière Nous Toutes. De son côté, Muriel Robin, imprégnée de l'histoire de Jacqueline Sauvage, qu'elle incarne à l'écran, saute le pas. Le cas de cette femme qui avait tué son mari en 2012 après quarante-sept ans de violences tues, avait ému et divisé l'opinion. La comédienne donne enfin un visage au combat contre les violences conjugales : dans le JDD, elle lance un appel à manifester le 6 octobre, à Paris, entraînant une galaxie de personnalités autour de ce mot d'ordre : "Sauvons celles qui sont encore vivantes". Cet élan gagnera-t-il la rue, comme en Argentine, aux États-Unis, en Afrique du Sud et en Espagne?
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