Comment dire sa tristesse et son admiration ? Franck Venaille est mort. Eric Loret a rappelé son cheminement biographique et poétique : « Franck Venaille, Prix Goncourt de la poésie 2017, est mort » (Lemonde.fr du 24 août). Un motif fondateur de son œuvre, sur la possibilité d’un retour à la vie après la guerre, me touche particulièrement parce qu’il résonne avec les recherches que je mène sur les suites subjectives et sociales de la violence : « Etait-il possible à un homme revenu de guerre / couvert de blessures de guerre d’apprendre, / de nouveau, à actionner sa pensée non dans l’espoir de je ne sais / quelle victoire militaire / mais pour la vie réelle ? » (Chaos, Mercure de France, 2007, p. 54-55). Et Venaille n’a pas cessé de ne pas se remettre de la guerre, de sa défaite, comme aussi de son enfance.
Le point de départ de son écriture, c’est l’intimité de la douleur, de la souffrance. Lentement, car c’est une histoire sans fin, « lentement la blessure s’infecte et cela sent le désespoir » (La Descente de l’Escaut, Obsidiane, 1995, p. 31). Et l’angoisse, omniprésente. Venaille écrit du point de vue de l’homme meurtri, « dans la fêlure du monde où les plaies suintent » (id., p. 108).
Il inscrit son œuvre dans « un univers de guerre civile » (id., p. 58), depuis « le camp des réfractaires au bonheur » (id., p. 60). Si la souffrance est « identique pour un comte de Flandre ou un berger niais » (id., p. 13), le point de vue de Venaille est celui des gueux, des fuyards, des déshérités, des modestes, de celles et ceux qui connaissent la honte et l’humiliation. La souffrance est aussi animale, et singulièrement à partir d’un destin partagé avec les chevaux : piaffer, hennir, ruer, en attendant l’abattoir.
« La guerre au plus près »
« Soudain c’est la guerre » (La Bataille des éperons d’or, Mercure de France, 2014, p. 10). La guerre de Venaille, c’est d’abord celle de ses 20 ans. La violence de la guerre coloniale d’Algérie l’a défait : le voilà membre du « XIe régiment des fantassins désemparés » (Hourrah les morts !, Obsidiane, 2003, p. 15), dans son « uniforme d’officier du 54e régiment des Trop Sensibles » (Tragique, Obsidiane, 2001, p. 227), « moi Venaille, officier de l’armée des morts » (Chaos, p. 179).
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