(Re)plantez votre production en France
À l’heure de la robotisation, de plus en plus d’entreprises de l’agroalimentaire relocalisent pour gagner en flexibilité et réduire les coûts de transport.
Au cours des dix dernières années, près de 200 entreprises ont relocalisé leur production en France. À l’instar de Kusmi Tea, de Jardin d’Orante et de Mondelez (racheté par Eurazeo), les marques de l’agroalimentaire sont nombreuses à avoir fait ce choix. Renouveau du made in France, hausse des salaires dans les pays en voie de développement, augmentation des coûts de transport… Les raisons du rapatriement d’activité sur le sol français sont variées.
1 - Trouvez des producteurs
Quand on interroge Emmanuel Bois, le directeur général de Reitzel France, propriétaire de la marque Jardin d’Orante, sur la plus grande difficulté qu’il a rencontrée pour relocaliser la production de cornichons en bocaux, il sourit, l’air un peu gêné. "Cela va vous faire rire, mais il m’a d’abord fallu trouver des agriculteurs", explique l’industriel. Depuis les années 1980, la majorité des cornichons consommés en France sont cultivés en Inde, où trois récoltes annuelles sont possibles, contre une seule dans l’Hexagone. En 2015, pour convaincre les producteurs français de la viabilité de son projet et pour les inciter à s’y associer, Emmanuel Bois est allé à leur contact. Aide technique, support d’ingénieurs agronomes, sécurisation des revenus, Reitzel n’a pas hésité à investir. Onze exploitations produisent aujourd’hui 550 000 bocaux de cornichons par an. "Notre objectif est de poursuivre cette politique pour occuper 5 % du marché français", se félicite Emmanuel Bois. D’autres entreprises ont la chance de compter sur un savoir-faire local encore présent. Lorsqu’Eurazeo, propriétaire notamment de Carambar, Poulain et Michoko, a décidé de rapatrier du Royaume-Uni la fabrication de ses confiseries, il a pu s’appuyer sur les cinq usines historiques de la marque, dans lesquelles travaillaient déjà 792 personnes. "C’était une réelle aubaine pour notre projet de restructuration industrielle", assure-t-on chez Eurazeo.
2 - Choisissez votre territoire
Si Reitzel et Eurazeo ont rapidement réussi à se réimplanter, c’est qu’ils se sont appuyés sur un tissu industriel dense et structuré. Pour El Mouhoub Mouhoud, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine et spécialiste des relocalisations, le choix du territoire est capital pour réussir son retour. "C’est probablement le principal enjeu des relocalisations d’entreprises", assure-t-il. Avec d’autres économistes, il a analysé les régions de relocation et les a comparées avec les territoires victimes de délocalisation. Résultat, "la moitié des entreprises ne se réinstallent pas dans leur bassin d’origine, mais optent pour des territoires de services", souligne-t-il. Certaines régions se sont spécialisées, à l’image de Lyon dans la pharmacie et de Toulouse dans l’aéronautique. Dans l’agroalimentaire, le choix du territoire est déterminé par les impératifs de la production. Jardin d’Orante, par exemple, s’est installé dans le Val de Loire et les Pays de la Loire, où Reitzel disposait déjà de deux usines de transformation et pouvait offrir un outil industriel performant aux producteurs. "Lorsqu’il s’agit d’une relocalisation de développement compétitif fondée sur des innovations de produits et de procédés, les entreprises ont besoin d’un environnement dense et favorable avec une offre de services conséquente. Elles choisissent les territoires pourvus d’un tissu de services en matière de R & D, de marketing, de fonctions support… ", précise El Mouhoub Mouhoud.
3 - Modernisez vos outils de production
Malgré l’augmentation des salaires dans les pays à bas coût et la hausse des frais de transport, produire en France reste cher. La modernisation des outils de production, notamment à travers la robotisation des opérations, est l’une des clés d’un retour réussi. "Dans les secteurs où il n’y a pas d’obstacle technique à moderniser l’outil de production, la relocalisation permet d’avoir un avantage concurrentiel", observe El Mouhoub Mouhoud. C’est en pariant sur l’automatisation que Kusmi Tea est revenu en France. En janvier, la marque de thé a rapatrié la fabrication de ses boîtes métalliques (chez un sous-traitant), celle des sachets de thé et le conditionnement de l’ensemble. Une décision associée à l’achat de deux robots capables de fabriquer et d’emballer le thé. "La robotisation a changé la donne. À coût égal, il est aujourd’hui possible de produire en France", précise Sylvain Orebi, le directeur général de Kusmi Tea.
4 - Chassez les coûts cachés
Robotiser sa chaîne de production doit s’accompagner d’une véritable traque des coûts cachés. Cela se traduit, par exemple, par une réorganisation du mode de travail pour augmenter la productivité des équipes. Jardin d’Orante a fait le choix de travailler en filière. Des agriculteurs aux transformateurs, en passant par les ingénieurs agronomes, l’industriel suisse intègre tous les acteurs de la chaîne pour réduire les coûts. Reitzel s’est également entouré de partenaires de choix : le français Verallia lui fournit des bocaux, les puisettes sont également tricolores, tout comme les graines de moutarde utilisées. "Nous travaillons avec quatre fournisseurs, auxquels nous avons demandé de faire un effort sur les prix pour proposer un produit 100 % français", explique Emmanuel Bois. Alors que le prix de revient du cornichon français est six fois plus élevé que celui de l’indien, l’industriel arrive à mettre ses produits sur le marché avec un différentiel d’à peine 30 %.
5 - Travaillez le marketing "made in France"
Reste désormais à convaincre les consommateurs d’acheter du made in France. Pour cela, les industriels surfent sur la vague du local. "En termes de marketing et de responsabilité sociétale, la relocalisation est un véritable atout " souligne le patron de Kusmi Tea, dont la marque s’affiche made in France et made in Le Havre sur son site internet. Publicités au son de l’accordéon, reprise de "La Marseillaise" et du french cancan, Jardin d’Orante, lui, n’hésite pas à utiliser tous les clichés pour faire passer le message du cornichon français. "C’est une manière de créer du lien entre la marque et les consommateurs", affirme Emmanuel Bois. Et cela semble fonctionner. La marque produit 200 tonnes par an de cornichons et a pour objectif de doubler sa production d’ici à l’année prochaine.
Vers une qualité made in France
Origine France garantie, label rouge, label bio, AOC, AOP… Face à la profusion de labels existants, le Conseil économique, social et environnemental a rendu un avis favorable à la création d’un label unique "bio, local et équitable" garantissant l’origine des produits de l’agroalimentaire. Une initiative saluée par El Mouhoub Mouhoud, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine, qui rappelle que si les Français sont prêts à dépenser plus pour un produit local, "il est important que ce label soit synonyme de qualité".