* Talao est un projet blockchain qui souhaite introduire une plateforme décentralisée de mise en relation entre les entreprises et les travailleurs indépendants. Vous pouvez découvrir un gros plan à la fin de l'interview.

En quoi consiste ce rôle de conseiller chez Talao ?

Cela va me permettre de découvrir ce nouveau milieu et de mieux comprendre les mécanismes d’une ICO (Initial coin offering, une nouvelle méthode de financement qui consiste à lever des cryptomonnaies en échange de droits d’utilisation sur un futur service). C’est la première fois que je m’associe à une entreprise, mais ça m’a semblé une évidence car le modèle de Talao correspond aux valeurs que je défends. Cette start-up souhaite construire un service sans intermédiaire où les entreprises et les travailleurs indépendants se recontrent directement et où chacun est propriétaire de sa réputation professionnelle. Il permettra, à terme, de redonner la gouvernance aux utilisateurs.

On retrouve pas mal d’idées que vous avez développé, notamment sur la patrimonialité des données personnelles...

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En effet ! Le fait de pouvoir stocker sa réputation et la monétiser correspond à la nouvelle vague d’Internet, celle qui viendra après l’émergence des GAFA (acronyme désignant Google, Apple, Facebook, Amazon et plus généralement les géants du Net). C’est la fin de l’illusion de la gratuité qui nous fait accepter des centaines de cookies sur nos ordinateurs et nous dépossède de nos données, y compris les plus intimes. Des initiatives comme celles de Talao rejoignent le concept de “l’entrepreneur de soi-même” développé par Michel Foucault. Il dit que l’individu est l’entrepreneur de lui-même, c’est-à-dire qu’il fait un usage stratégique de ses talents, de ses désirs et de ses émotions.

Qu’est-ce que ça changerait d’intégrer nos données à notre patrimoine ?

C’est une question de droit fondamental que je considère comme une extension du droit d’auteur. Actuellement, le producteur de données, c’est-à-dire nous, n’est pas rémunéré à la hauteur de ce qu’il produit. Prenez l’exemple de Facebook : il ne produit aucun contenu et pourtant c’est lui qui touche les revenus issus de nos données. Or, la gratuité que le citoyen reçoit est bien moindre que la valeur qu’il apporte. En plus, en reprenant le contrôle sur nos données, nous n’aurions plus à nous inquiéter du droit à l’oubli (ndlr : un concept qui permet aux internautes de demander le retrait de certaines informations qui pourraient lui nuire sur des actions qu'il a faites dans le passé).

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“La prise de conscience du grand public aura lieu quand une entreprise parviendra à présenter les choses simplement.”

Et la Cnil dans tout ça ? Ne sert-elle pas à protéger nos données ?

La Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés) va dans le bon sens, notamment avec le Règlement général sur la protection des données (RGPD), une nouvelle réglementation européenne qui entrera en vigueur le 25 mai. Elle autorise, par exemple, la portabilité des données d’une plateforme à une autre. En revanche, je regrette sa posture archaïque qui lui fait refuser le marché. Elle oppose le droit à la personne à la commercialisation des données. Pour moi, c’est une vision paternaliste du citoyen numérique. Son message est le suivant : vous n’êtes pas apte à disposer librement de vos données. Elle dénonce la marchandisation, ce qui renforce au final le pouvoir des GAFA.

RGPD : ce que ce texte va changer pour vos données personnelles

Ces idées ont de l’écho après le récent scandale de Facebook. Que manque-t-il pour que les citoyens reprennent le contrôle sur leurs données ?

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Le drame dans cette histoire, c’est que c’est totalement légal ! On a signé les conditions d’utilisation sans s’apercevoir de ce qu’on offrait à Cambridge Analytica (ndlr : la société qui a récupéré des données sur Facebook afin de s’en servir à des fins électorales). Selon moi, à l’avenir, la plupart des gens n’iront pas négocier seuls avec les entreprises. Il y aura des courtiers spécialisés que le feront à leur place. La prise de conscience du grand public aura lieu quand une société parviendra à présenter les choses simplement.

Ce que fait Talao ?

Talao est encore au début de son projet, mais il faut dire qu’il coche pas mal de cases sur la décentralisation des données.

“Publicité : le modèle Criteo est révolu”

Qui aurait le plus à perdre dans votre modèle décentralisé ?

Il n’est pas dit que les GAFA seront les grands perdants. Amazon est une place de marché où pourraient se vendre des données, Microsoft se montre particulièrement intéressé par toutes ces technologies… Selon moi, ce sont les plateformes dont le modèle est uniquement basé sur la publicité qui sont menacées. Facebook devra peut-être imaginer une version payante de son réseau social, tout comme Waze (ndlr : une application de navigation routière communautaire qui affiche de la publicité). Je pense que l’économie de la publicité comme nous la connaissons va changer son modèle. Ses professionnels sont déjà au courant. Il n’y a qu’à voir le nombre de personnes qui installent des bloqueurs de publicités sur leurs navigateurs. Le modèle Criteo (ndlr : une entreprise française qui analyse votre historique pour prévoir vos intentions d’achat) est révolu.

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Selon vous, à combien pourrait-on monnayer nos données Facebook ?

Traditionnellement, on fait le rapport entre les revenus générés par la publicité et le nombre d’utilisateurs. Ce calcul approximatif n’offre qu’une poignée d’euros et n’a que peu d’intérêt. Nous publierons prochainement une étude avec la Toulouse School of Economics qui fera une évaluation plus fine de la valeur des données privées.

Et si, demain, vous vendiez vos données personnelles à Facebook ?

Outre Talao, quels projets blockchain vous semblent prometteurs ?

J’ai récemment rejoint le projet Blue Frontiers, émanant de Seasteading Institute, la fondation de Peter Thiel qui souhaite construire une île artificielle réservée aux libertariens au large de la Polynésie française. Il doit prochainement lancer son ICO. Ce lieu sans État ni entraves me fait beaucoup penser à l’Utopia de Thomas More.

“Bruno Le Maire a compris que nous avons une opportunité exceptionnelle”

Que pensez-vous de l’évolution idéologique du gouvernement sur les cryptomonnaies ?

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C’est très intéressant et on mesure le chemin parcouru : au début il voulait tout réguler et voyait le Bitcoin uniquement comme un instrument de blanchiment. On a même nommé un sous-gouverneur de la Banque de France, soit son pire adversaire, pour rédiger un rapport dessus ! Mais je crois qu’il se passe une révolution à Bercy… Bruno Le Maire a compris que nous avons une opportunité exceptionnelle et qu’il faut offrir à la France un écosystème favorable aux ICO. Aux États-Unis, c’est très compliqué de lever des fonds en cryptomonnaies car elles pourraient être requalifiées en titres financiers classiques (ndlr : et donc souffrir de nombreuses contraintes administratives). Pour une fois, la France a une carte à jouer et nous avons un terreau de jeunes ingénieurs polytechniciens qui n’attendent que ça.

Blockchain, cryptomonnaies, bitcoin : la déclaration d'amour de Bruno Le Maire

De quoi ce secteur a-t-il besoin pour que le grand public l’adopte ? Plus de simplicité ?

Je ne pense pas que la complexité soit un problème. Regardez l’euro, il a été adopté par Européens alors que les mécanismes de la Banque centrale européenne sont infiniment plus complexes que le minage du Bitcoin (ndlr : le processus de validation des transactions sur le réseau). Selon moi, le basculement interviendra quand l’échange de cryptomonnaies entre les gens sera davantage démocratisé.

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C’est plutôt singulier de trouver un philosophe parmi les conseillers d’une start-up. Que pensez-vous apporter ?

L’univers “crypto” est en plein essor mais il est surtout porté par des développeurs ou des personnalités du monde de l’informatique. Il a besoin des philosophes pour faire la jonction avec le monde de la pensée. Tout ce qui est en train de se passer est intellectuellement passionnant.

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* EN SAVOIR PLUS SUR TALAO

Talao est une start-up française qui propose de réinventer la recherche d’emploi qualifié. Ses fondateurs partent du principe qu’il y a de plus en plus de travailleurs indépendants sur le marché mais que ces derniers ont recours à des plateformes qui s’approprient leurs données (comme LinkedIn) ou prélèvent des commissions exorbitantes (comme Catalant ou UpWork qui prennent jusqu’à 20% sur la facture).

Talao propose de fournir une plateforme décentralisée où le freelance aurait le contrôle total sur ses données (au contraire des données LinkedIn qui peuvent être vendues par l’entreprise) et où il n’y aurait pas d’intermédiaire à payer. Elle est actuellement en cours d’ICO (Initial coin offering, une nouvelle méthode de financement qui consiste à lever des cryptomonnaies en échange de droits d’utilisation sur le futur service). Talao prévoit de lever l’équivalent de 60 millions d’euros, ce qui ferait d’elle la plus importante ICO de France.

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