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En Slovaquie, des « murs » contre les Roms

Reportage. Alors que les tensions autour des Roms sont fortes en France, en Slovaquie, elles atteignent leur paroxysme.

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Publié le 28 juillet 2014 à 12h42, modifié le 28 juillet 2014 à 16h56

Temps de Lecture 5 min.

Un immeuble habité du ghetto Rom de Lunik IX, à Kosice, en Slovaquie, où les poubelles s'entassent jusqu'au premier étage.

Un mur inattendu relie depuis un an deux immeubles résidentiels sans histoire du quartier de Zapad, à Kosice, une grande ville industrielle située tout à l'est de la Slovaquie. Dix-huit dalles de béton et quelques heures d'ouvrage ont suffi pour ériger ces 45 mètres de palissade grise. Son bâtisseur, un maire soucieux de répondre aux requêtes de ses administrés, pensait bien faire. Les habitants se plaignaient de nuisances nocturnes sur le parking entre les deux immeubles.

Mais l'édification dudit mur a suscité un débat aussi sensible que polémique en Slovaquie. La question était la suivante : se pourrait-il que cette palissade disgracieuse, construite à la va-vite sans prévenir, dans la chaleur de l'été, soit en fait un mur « anti-roms » ? Les évidences de l'urbanisme ont conforté l‘hypothèse.

Le plus grand « ghetto » rom d'Europe se trouvait justement de l'autre côté de la route : Lunik IX. Un nom d'engin de la conquête spatiale pour un quartier aux allures de cité bombardée. Quelque 6 500 Slovaques d'origine rom s'y entassent à dix par appartement depuis sa création en 1981. La moitié des vitres ont disparu. Des logements sont restés noirs de suie après des incendies. Les poubelles jetées par les fenêtres ont fini par tellement s'amonceler qu'elles atteignent désormais la hauteur des premiers étages, rendant l'air irrespirable.

Dans le quartier de Zapad, à Kosice, une dalle de béton où est inscrit le mot

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En Slovaquie, près de 10 % des 5,4 millions de Slovaques sont d'origine rom – un des plus forts taux d'Europe. Mais depuis la chute du communisme, en 1989, où le travail était obligatoire, ils n'ont cessé de s'enfoncer dans la pauvreté. Seuls 20 % des hommes occupent aujourd'hui un emploi. Beaucoup de familles sont surendettées et l'intolérance à leur égard est allée croissante.

Or à Kosice, le parking situé entre les deux immeubles de Zapad était un lieu de passage quotidien pour les Roms de Lunik IX. « C'était un raccourci pour attraper le bus », explique, en pointant du doigt, Maria (le prénom a été modifié), 45 ans, visage buriné, silhouette chétive. Un chemin de traverse aussi, pour rejoindre le supermarché, détaille cette mère de neuf enfants tout en reconnaissant que « beaucoup de jeunes allaient y boire » et dérangeaient les habitants de Zapad.

Du côté de la ville de Kosice, on continue à se defendre de tout « racisme » en expliquant que les jeunes Roms de Lunik IX n'étaient absolument pas les seuls à gêner le voisinage. Des jeunes Slovaques y avaient aussi leurs habitudes pour de petits trafics. La polémique passée, le mur a donc été implicitement validé. Le détour imposé aux Roms a été jugé minime. Les lointains appels à sa destruction par la Commission européenne n'y ont rien changé.

A OSTROVANY, LE MUR REPEINT DE BANDES DE COULEUR

Il en va de même à Ostrovany, un bourg de campagne de 1800 habitants situé à une heure de route de Kosice. En 2009, c'est là, au milieu des champs de colza, que le premier mur de Slovaquie officiellement « anti-Roms » a été construit. Le premier d'une série de quatorze éparpillés dans tout le pays, selon un recensement de militants. A Ostrovany, non seulement le maire a donné son accord, mais il a financé sur les deniers de la municipalité les 12 000 euros qu'a coûtés son édification.

Le mur, long d'une centaine de mètres, a été bâti au ras du jardin d'une poignée de maisonnettes en crépi clair. Il n'empêche pas les Roms d'aller et venir mais il sépare les habitations du bidonville rom. Un campement de terre en fait – l'un des 600 de Slovaquie –, avec des abris en rondins de bois et des enfants jouant dans les ordures.

A Ostrovany (Slovaquie), une palissade a été construite en guise de mesure de rétorsion à la suite de la violente agression d'un habitant par des Roms du bidonville.

Avant la construction du mur, le voisinage se plaignait de vols de fruits et légumes dans ses potagers. Une violente agression d'un habitant d'Ostrovany par des Roms du bidonville, alors qu'il tentait de s'opposer à un vol de télévision, a fait le reste. La haute palissade a été construite en rétorsion. Une fois encore, passé le temps des indignations, le mur est resté. Aujourd'hui, les roms d'Ostrovany guident volontiers en souriant le visiteur étranger jusqu'à sa hauteur. A défaut d'obtenir sa démolition, des militants l'ont eux repeint de bandes de couleur.

« LA VOLONTÉ POLITIQUE MANQUE »

Aujourd'hui, les tensions sont devenues telles entre Roms et Slovaques que même Miroslav Sklenka, 37 ans, tête de pont de la Commission européenne en Slovaquie, refuse de jeter la pierre aux maires de Kosice et d'Ostrovany. « J'essaye de comprendre », plaide-t-il. Engagé depuis seize ans dans la cause des Roms, ce petit trapu dynamique est inquiet, mais il a fini par théoriser une ligne de conduite qu'il lâche comme un couperet : « C'est difficile de rester optimiste pour les Roms, alors j'essaye au moins d'être pragmatique. »

Quand il voit les choses du bon côté, M. Sklenka liste les avancées effectuées depuis 2004, date de l'adhésion de la Slovaquie à l'Union européenne : tournées médicales dans les campements, postes d'intervenants sociaux, centres socio-culturels au cœur des ghettos... Depuis 2005, la ville de Kosice a aussi construit un lotissement modèle pour reloger environ 150 Roms. Une trentaine d'appartements avec balançoires, pelouse tondue et avec « chauffage au gaz », vante l'officier de mairie.

Au niveau national, en 2009, un « plan stratégique » de résorption de la pauvreté a également été mis sur pieds. Il a été renouvelé jusqu'en 2020 avec une dotation de l'UE de 300 millions d'euros. « Mais ce n'est pas l'argent qui manque, c'est la volonté politique », assène M. Sklenka.

Les murs de Kosice et d'Ostrovany reflètent en fait la victoire, en Slovaquie, de la lassitude et des soupirs. Dans beaucoup de quartiers comme Lunik IX, les « non-Roms » ont progressivement déménagé, laissant des classes entières d'enfants roms entre eux. Personne n'aime le mot « ségrégation » en Slovaquie. On préfère évoquer un phénomène regrettable, mais inéluctable, de contournement. Sur les dalles en béton qui barrent désormais l'accès au quartier de Zapad, une petite main anonyme est venue, un jour, écrire en grandes lettres blanches : « Désolé ».

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