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France-Allemagne : Ach ! Séville !

Pendant les quatre jours qui nous séparent du quart de finale, les médias vont nous passer les images et les souvenirs douloureux de Séville 82 en boucle, histoire d'hystériser l'événement à venir.

Par  (Enseignant-chercheur ESSCA Ecole de management)

Publié le 01 juillet 2014 à 15h59, modifié le 01 juillet 2014 à 16h26

Temps de Lecture 4 min.

Patrick Battiston emmené sur une civière après le choc avec le gardien allemand Harald Schumacher.

Albrecht Sonntag est sociologue à l'ESSCA, école de management (Angers, Paris), où il dirige le Centre d'expertise et de recherche en intégration européenne. Il coordonne actuellement le projet FREE (Football Research in an Enlarged Europe) qui regroupe dix-huit chercheurs de neuf universités européennes. Dans sa chronique, il revient sur le changement identitaire qu'un supporteur s'impose (ou pas) une fois son équipe éliminée du tournoi.

Attention, danger d'overdose ! Pendant les quatre jours qui nous séparent du quart de finale France – Allemagne, vendredi, les médias, sans exception, vont nous passer les images et les souvenirs douloureux de Séville 82 en boucle, histoire d'émotionnaliser, voire d'hystériser l'événement à venir.

Quatre jours durant lesquels les joueurs concernés et leurs entraîneurs auront fort à faire de dédramatiser les enjeux. Quatre jours qui rappelleront à tous qu'un France-Allemagne, ce ne sera plus jamais un match normal.

C'est que la demi-finale de Séville, dont la dimension injuste, tragique, voire immorale est ressassée depuis plus de trente ans, fait tache dans l'histoire récente franco-allemande. Une histoire qui a été marquée par une volonté réelle de réconciliation puis d'amitié, exprimée non seulement par les leaders politiques mais surtout portée par la société civile, la France et l'Allemagne « d'en bas », comme en témoignent les plus de 2 000 jumelages.

Une histoire exemplaire de rupture avec les cercles vicieux du passé et de la mémoire empoisonnée de toutes ces guerres, souvent citée en exemple à travers le monde. Et juste au milieu de ces décennies de travail de compréhension et de rapprochement, il y a la plaie ouverte de Séville.

LA MÉMOIRE EMPOISONNÉE

Ils vont en baver, d'ici vendredi, tous ceux qui s'engagent au quotidien en faveur de l'amitié franco-allemande. S'ils ont plus de quarante ans, ils risquent de s'attraper eux-mêmes en flagrant délit de revanchisme footballistique. Et s'ils ont, comme le disait une fois Helmut Kohl avec la maladresse qui lui était propre, au sujet des Allemands nés dans les années 1940, « la grâce de la naissance tardive », ils en auront tout de même entendu parler, puisque ce match a carrément fait l'objet d'un culte commémoratif en France.

Le 8 juillet 2012, le journal télévisé de France 2 a montré les images de la visite commune effectuée par François Hollande et Angela Merkel dans la Cathédrale de Reims, 50 ans jour pour jour après que leurs illustres prédécesseurs Charles de Gaulle et Konrad Adenauer y avaient assisté ensemble à un Te Deum, préparant ainsi le chemin et les opinions pour le Traité de l'Elysée signé six mois plus tard. Si les deux gouvernements n'avaient pas décidé de rappeler ce moment dans un acte de commémoration officielle, le JT en aurait-il seulement fait mention ?

Après avoir balayé rapidement ces images obligatoires, on s'arrêta avec autrement plus d'insistance sur un autre anniversaire : celui des 30 ans de Séville. Le ralenti de l'attentat de Schumacher contre Battiston, le drame des tirs-au-but (les premiers dans l'histoire de la Coupe du monde d'ailleurs !), les témoignages émouvants des acteurs de l'époque. Les autres médias n'étaient pas en reste : le France Football de la même semaine était entièrement consacré au souvenir de ce seul match, sur Internet, on se demandait, non sans ironie, s'il fallait, trente ans après, « encore détester l'Allemagne » (slate.fr), en évoquant Schumacher, ce « Ben Laden allemand » (café Babel).

LE COMBAT ÉTERNEL ENTRE LE BIEN ET LE MAL

L'attaque non-sanctionnée de Schumacher, le comportement de son équipe, le déroulement du match, tout cela a contribué au fait que la nuit de Séville a pris des dimensions manichéennes, une constellation digne du Seigneur des Anneaux, ou de La Guerre des Etoiles : le combat éternel entre le Bien et le Mal. Sauf que la Mal a gagné à la fin. Un scénario impensable pour Hollywood, mais ô combien plausible au football, ce grand producteur d'injustices inadmissibles.

C'est peut-être pour cette raison que les Français ont tant envie de se souvenir de cette rencontre. Jamais, ni avant ni après, les rôles n'avaient été distribués aussi clairement, avec l'équipe française si indiscutablement du bon côté de l'éthique sportive, voire de l'éthique tout court. Jamais depuis, comme le rappelait Philippe Delerm très justement, on n'a été « aussi joyeux qu'on était triste le 8 juillet 1982 ».

Visiblement, les détresses inconsolables sont bien moins éphémères que les euphories d'un moment. Que faut-il souhaiter pour vendredi prochain ? On peut souhaiter à Patrick Battiston, ce gentleman du football qui ne s'est jamais laissé instrumentaliser, d'être injoignable. On peut souhaiter que les dieux du football nous épargnent une séance de tirs-au-but. Et que les aléas du match nous évitent qu'il y ait des bons et des méchants à la fin. Juste des vainqueurs heureux et des perdants vaillants qui échangent leur maillot. Un peu de football superficiel et léger, cela nous changera de la profondeur et du poids du souvenir de Séville.

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