EUTHANASIE - La semaine est décisive pour la question de la fin de vie en France. Deux jugements vont être rendus, mardi et mercredi, l'un par le Conseil d'Etat, l'autre par le tribunal correctionnel de Pau. Le premier scellera le sort de Vincent Lambert tandis que le docteur Bonnemaison saura s'il est condamné pour avoir abrégé la vie de patients au centre hospitalier de Bayonne
Ces deux affaires n'ont pas grand chose en commun, si ce n'est qu'elles montrent la grande diversité des cas sur ce dossier ultra-sensible. Preuve qu'il veut avancer avec prudence, François Hollande qui a promis une nouvelle loi pour son quinquennat vient de confier une nouvelle mission à deux parlementaires. Jean Leonnetti (le député UMP qui a donné son nom à la loi de 2005) et Alain Claeys (PS) devront rendre leurs propositions d'ici à décembre 2014.
Il s'agira d'apporter des réponses aux nombreuses familles confrontées à ces instants douloureux que la loi actuelle n'encadre pas. C'est le cas de Charles* qui a décidé de témoigner ici. A travers une lettre qu'il a adressée à François Hollande au mois d'avril et qu'il a fait parvenir au HuffPost, il fait part des dernières semaines de sa femme et livre un plaidoyer pour la légalisation du suicide assisté dans l'Hexagone.
Atteinte depuis son jeune âge d'une myélopathie cervico-arthrosique (maladie génétique évolutive), cette ancienne cadre hospitalière de 65 ans que nous appellerons Geneviève est décédée en février dernier, après avoir choisi de mettre fin à ses jours en Suisse, où la pratique est légalisée. "Mon épouse est partie dans la paix et m'a transmis cette paix", résume-t-il aujourd'hui.
"Une ultime liberté dans la dignité"
Et pourtant, dit-il, le chemin fut un long pour Geneviève. Il a commencé en 2012 avec une tentative de suicide après qu'une "lourde aggravation de son état et des douleurs neurologiques lancinantes" ont compliqué son existence. "Ma femme avait agi dans la solitude de son désespoir. Elle nous avait profondément traumatisés par son acte brutal et imprévu." Ce geste était, selon lui, la conséquence d'une législation française mal faite qui "acculent les désespérés à des gestes dramatiques, dans la honte, la culpabilité et le secret".
En faisant au contraire le choix d'un suicide assisté, c'est entourée de ses proches qu'elle a pu quitter ce monde. "La programmation de sa mort et le partage familial ont permis à chacun de vivre une expérience d’une richesse et d’une intensité exceptionnelles, rarement possibles dans une existence", témoigne le mari.
C'est en novembre 2013, que Geneviève décide de prendre contact avec LifeCircle, l'une des associations qui, en Suisse, aide les Français dans son cas. "Elle voyait cela comme sa dernière chance d’échapper à une fin de vie physiquement diminuée et sous camisole chimique. Mais mon épouse craignait de n’avoir aucune chance de voir son cas personnel accepté car elle n’était pas en phase terminale de maladie. Sa pathologie ne l'aurait pas empêchée de vivre encore de nombreuses années", justifie-t-il sans savoir alors que la réglementation suisse est moins exclusive que la Française. De l'autre côté des Alpes, la personne doit prouver, certificats médicaux à l'appui, que la médecine ne peut plus améliorer sa situation et qu'elle a tenté tous les traitements pour aller mieux.
La surprise est donc bonne que l'association accepte rapidement cette demande, au regard des motivations de Geneviève. "Au delà de son épuisement physique et moral, de son refus de vivre en état de dépendance complète, elle vivait dans la hantise de perdre le contrôle de sa volonté et de son libre-arbitre", développe Charles. C'est ce point qui a convaincu LifeCircle et sa présidente Erika Preisig.
Aussitôt le couple fait part à ses enfants de la décision de leur mère. "Passé le choc de l’annonce, nos enfants ont pu individuellement passer avec elle de longs moments d’échanges intimes et profonds. Mon épouse nous a préparés à sa mort et nous a communiqué sa paix intérieure. Elle a pu exercer son ultime liberté, dans la dignité et avec le plein soutien de ses proches", raconte le père de famille.
Malgré tout, les quelques semaines de ce dernier hiver jusqu'au jour fatidique ont été très difficiles. "Mon épouse a vécu dans la peur de voir son projet échouer. Elle me disait qu’elle se sentait hors-la-loi dans son pays et craignait qu’un médecin, un accident ou un imprévu ne vienne faire obstacle", déplore aujourd'hui son mari, ajoutant: "Je ne l'ai vue se détendre qu'à partir du moment où notre ambulance a passé la frontière." Elle lui avoua sur place qu'en cas d'échec de cette tentative suisse, elle aurait à nouveau tenté de mettre fin à ses jours, seule, en France. "Elle avait prévu de se jeter dans la Seine près de notre domicile, attachée à son fauteuil roulant électrique."
"Elle m'a enlacé et dit je t'aime"
C'est dans un hôtel, entourée de son mari et de médecins, que Geneviève a vécu ses derniers instants. "Pour la première fois, elle rencontrait des médecins qui abordaient le sujet de la mort sans détour et avec une profonde humanité. Elle se sentait pleinement comprise et respectée dans ses convictions et dans sa volonté inflexible", témoigne Charles.
Il livre aussi des détails sur la dernière journée de sa femme. "Le matin de sa mort, mon épouse s’est réveillée en me disant combien elle était heureuse d'être arrivée à ce jour. Après avoir actionné par elle-même le dispositif d’injection, détendue et souriante, elle s’est endormie dans la plus grande douceur, en quelques secondes, juste le temps de m'enlacer et de me dire 'je t'aime'".
Aujourd'hui, quel regard porte-t-il sur ce jour? "Ses derniers moments de vie resteront à jamais gravés dans ma mémoire, son calme et son humour, l'ambiance sereine... Au cours de ce dernier jour en Suisse je n’ai ressenti ni angoisse ni stress, alors que j’avais beaucoup appréhendé cet instant final", explique Charles.
Il veut tout faire désormais pour que la France avance dans cette direction. C'est ce que la conférence citoyenne, initiée par le Conseil consultatif national, a réclamé en décembre 2013 et que François Hollande réfléchit désormais à mettre en application.
*A sa demande "et pour préserver les personnes de son environnement familial et amical", son prénom et celui de son épouse ont été modifiés.