Comment le pantalon a pris le pouvoir

Propos recueillis par

Christine Bard © Hannah/Opale
Christine Bard © Hannah/Opale

Temps de lecture : 6 min

De la Révolution au féminisme,Christine Bard* nous plonge dans Une histoire politique du pantalon (Seuil). Entretien.

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Le pantalon n'a pas seulement sa place dans nos penderies. Car sur ce vêtement sont venus se greffer toutes sortes de symboles, où le politique, le social, le sexuel ont tissé leur toile. Expression d'une conquête démocratique exclusivement masculine à l'heure de la Révolution, c'est ensuite seulement qu'il fut l'objet d'une longue et pénible appropriation féminine. L'histoire du pantalon, c'est donc l'histoire d'une lutte permanente. Preuve qu'il ne faut jamais le baisser.

Le Point : D'où vient le pantalon ?

Christine Bard : Il faut distinguer le mot et la chose. La chose est ancienne. Elle existe dans l'Antiquité. Les Gaulois portent des braies et les Romains y voient d'ailleurs un signe de leur infériorité culturelle. La culotte longue, large ou près du corps selon les époques, est portée par les travailleurs. Le mot "pantalon", lui, vient de Venise, dont les habitants étaient affublés du sobriquet de pantaloni(en raison du culte qu'ils rendaient à saint Pantaleone). Le mot entre dans la langue française avec la commedia dell'arte et son personnage de vieillard avare portant une culotte longue et appelé Pantalon.

Pour quelles raisons le pantalon surgit-il sur la scène de l'Histoire ?

Je fais commencer l'histoire politique du pantalon avec les sans-culottes, qui mettent au goût du jour du radicalisme révolutionnaire ce vêtement porté par les hommes du peuple, alors que les bourgeois et les aristocrates, eux, portent la culotte. La Révolution française promeut des valeurs telles que la liberté et l'égalité, qui s'incarnent dans les manières de s'habiller. Un nouvel ordre bourgeois va naître, qui rejette le code aristocratique. Cela conduit les hommes à une "grande renonciation". Le costume masculin se caractérise dès lors par sa sobriété, sa simplicité, son uniformité, mais aussi par son confort.

Est-ce un moment-clé dans l'histoire du sexe masculin ?

Oui. La percée politique du pantalon correspond à l'avènement de la citoyenneté en 1792. Dans la pensée dominante du temps, celle des philosophes, des savants naturalistes, des hommes politiques, il y a une grande, une énorme différence de nature entre les sexes. On invoque le respect de la loi naturelle aussi bien pour empêcher les femmes de porter le pantalon que pour interdire leur activité politique. Sous Napoléon, la domination masculine se renforce, et pour longtemps, avec le Code civil ainsi que dans le Code pénal.

Quel motif préside à l'interdiction faite aux femmes de le porter ?

En 1800, période de retour à l'ordre après les troubles de la Révolution, une ordonnance de police de la préfecture de Paris interdit aux femmes d'adopter le vêtement masculin. Une autorisation de travestissement peut toutefois être demandée si elle est justifiée par un certificat médical. L'ordonnance de 1800 - qui n'a toujours pas été abrogée - s'en prend aux femmes qui auraient l'"intention coupable" d'abuser du vêtement masculin, c'est-à-dire de passer pour hommes...

Quelles sont les premières femmes à avoir porté le pantalon ?

On trouve dans l'histoire ancienne ou médiévale des exemples de femmes habillées en guerrier (Jeanne d'Arc), en cavalier (Christine de Suède), en moine... Je me concentre sur les femmes du XIXe siècle et du début du XXe siècle qui ont, en transgressant la loi du genre, fait l'expérience de la liberté : de l'écrivain George Sand à la peintre Rosa Bonheur, de l'archéologue Jeanne Dieulafoy à la doctoresse féministe Madeleine Pelletier... Elles en tirent parfois un avantage, économique par exemple. S'habiller en homme coûte moins cher. Grâce à ce subterfuge, certaines ont doublé leur salaire et accédé à des métiers interdits.

Quelles formes de violence ont-elles subi pour avoir osé s'emparer de ce vêtement masculin ?

J'ai creusé l'affaire Violette Morris, qui remet au goût du jour, en 1930, l'interdiction du pantalon pour les femmes. "La" Morris, championne sportive très populaire, dérange les responsables du sport féminin, car elle a les cheveux très courts, s'habille en costume masculin quand elle n'est pas en short sur le terrain, jure comme un charretier, fume comme un pompier... Entre les lignes, son homosexualité est suggérée... La lesbophobie et l'antiféminisme sont souvent unis pour stigmatiser la "masculinisation" des femmes. Violette Morris perdra son procès contre la Fédération sportive féminine de France. Mais il était rare que le "droit au pantalon" fût ainsi discuté devant les tribunaux.

Qu'est-ce qui favorise la diffusion du pantalon parmi les femmes ?

Marlene Dietrich fait triompher le smoking glamour et un style androgyne... Le vêtement pour les sports et les loisirs évolue aussi. La mode propose de larges pantalons de plage à la fin des années 1920. Mais il faut attendre les années 1960 pour que le pantalon, enfin devenu féminin, figure dans les collections de haute couture (Yves Saint Laurent, entre autres) et dans le prêt-à-porter. Avec Mai 68, la mixité devient une valeur qui trouve une traduction vestimentaire. L'unisexe aura même son heure de gloire. Le pantalon symbolise aussi la "femme active" qui accède à des études plus longues et n'entend plus rester au foyer.

Quelles sont les dernières résistances au port du pantalon par les femmes ?

Dans certaines entreprises, les employées en contact avec la clientèle n'ont pas le droit de porter le pantalon. L'image traditionnelle perdure, de même que l'exploitation des charmes de la jupe. Les hôtesses d'Air France ont aussi endossé avec leur jupe, obligatoire jusqu'en 2005, une certaine image de l'élégance française.

Quelles sont les premières femmes politiques à porter le pantalon ?

Alice Saunier-Seité, ministre des Universités, en 1976, est la première à s'y risquer, ce qui lui donne un look moderne mais lui vaut les remontrances du Premier ministre : Jacques Chirac lui aurait fait savoir qu'elle dégradait la fonction ministérielle ainsi que l'image de la France. Valéry Giscard d'Estaing lui adresse au contraire des compliments sur son élégance... A l'Assemblée, les huissiers se sont donné le droit d'interdire le pantalon jusqu'à ce qu'une députée communiste, Chantal Leblanc, s'impose dans cette tenue, en 1978. On peut faire un lien entre l'allure sportive de Michèle Alliot-Marie et les fonctions qu'elle a occupées comme ministre de la Défense de 2002 à 2007. Les femmes politiques en pantalon apparaissent tardivement dans le monde réel, mais dans celui des fantasmes elles le portent depuis bien longtemps, puisque c'est un moyen de discréditer chez les femmes toute prise ou toute demande de pouvoir.

Sommes-nous entrés dans une nouvelle phase ?

En effet. Du côté des jeunes filles, le triomphe du pantalon est absolu et la jupe devient l'emblème d'une liberté suspecte ou d'une érotisation déplacée. Le film La journée de la jupe (lire notre critique) a visé juste. Un printemps de la jupe existe bien dans plusieurs établissements scolaires, où c'est l'occasion de parler de la violence sexiste. L'enjeu serait donc désormais le droit de porter la jupe sans être stigmatisée, inquiétée, importunée. Renversement de l'histoire assez sidérant. En revanche, pas de révolution à signaler du côté masculin, plutôt des changements à petits pas (le succès du bermuda). La jupe pour hommes progresse mais reste ultraminoritaire et excentrique. Mais peut-être est-ce l'aube d'une transformation majeure, la fin de la "grande renonciation" des hommes à la parure et à l'érotisation ? Pour certains, la jupe masculine est une manière d'attaquer le mythe viril. Pour d'autres, c'est plutôt l'invention d'une virilité alternative. Mon livre essaie de montrer qu'il s'agit d'une question politique, celle de la liberté vestimentaire, mais aussi d'un enjeu esthétique : la généralisation du pantalon serait un appauvrissement du répertoire vestimentaire. Dans ce domaine comme dans d'autres, la diversité est plus que souhaitable. Elle passe par des métissages (pourquoi pas la jupe-culotte ?) mais aussi par la mise en cause de la bipolarité des genres (féminin/masculin).

* Christine Bard est historienne, spécialiste du féminisme en France. Elle vient de publier Une histoire politique du pantalon (Seuil, 22 euros).

Repères

1965 Naissance.

1995 " Les filles de Marianne. Histoire des féminismes, 1914-1940 " (Fayard).

1998 " Les garçonnes. Modes et fantasmes des Années folles " (Flammarion).

1999 " Un siècle d'antiféminisme " (dir., Fayard).

2001 " Les femmes dans la société française au XXe siècle " (Armand Colin).

2008 Coordonne Musea (musea.univ-angers.fr), musée virtuel d'histoire des femmes.

2010 " Ce que soulève la jupe - identités, transgressions, résistances " (Autrement).

Commentaires (5)

  • Akiko

    Eh bien non, sauf erreur de ma part, il est toujours hexagonal, ou du moins européen, mais certainement beaucoup plus libéral en ce qui concerne les tenues de ses employées.

  • david weber

    Chère Akiko,
    Veuillez par avance excuser ma curiosité. Le laboratoire pharmaceutique auquel vous faites allusion n'aurait il pas été racheté il y a peu de temps par un groupe américain ? Celui dont je pense avait la réputation d'être assez "vieille France"...

  • Akiko

    Lors de ma première embauche - en 1969 - les femmes de l'entreprise, un grand laboratoire pharmaceutique, n'étaient autorisées à porter un pantalon que sous une jupe, imaginez la ligne ! Et pourtant 1968 était passé par là...