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Violences conjugales : elles racontent leur descente aux enfers à visage découvert

Cela commence par une injure, cela finit trop souvent par un meurtre. Plus d’une centaine de femmes décèdent chaque année en France sous les coups de leur (ex-)conjoint. Combien d’autres les subissent en silence ? Huit femmes rescapées ont accepté de nous confier leur lente descente aux enfers, à visage découvert. Pour que la honte change définitivement de camp.

« C’était lui qui pleurait et moi qui le consolais »

« C’était lui qui pleurait et moi qui le consolais »
Morgan, 31 ans, auto-entrepreneure

« Je suis arrivée à Nantes à la recherche de mon père biologique. J’ai rencontré A. au foyer de jeunes travailleurs où j’étais hébergée. Malgré son air arrogant, on est devenus copains et on est sortis ensemble un mois et demi après. Á l’époque, il était très charmeur, plein de projets, il a su me dire ce que je voulais entendre. Bref, c’était une belle publicité mensongère. Il avait été adopté, et ça m’a beaucoup touchée, moi qui ai grandi sans mon père, je pensais pouvoir l’aider. La première baffe, je l’ai reçue trois semaines après le début de notre histoire. Nous vivions l’un à côté de l’autre, deux portes nous séparaient, et je recevais un copain ce soir-là. Il ne l’a pas supporté et m’a mis une baffe en me traitant de pute. Il a ensuite passé la nuit devant ma porte à s’excuser. Il a utilisé mon père, que je venais de retrouver, pour me reconquérir en me répétant sans cesse qu’il avait pété un plomb et que ça ne se renouvellerait pas. Je lui ai pardonné. Et ça a été de mal en pis. Il passait son temps à me dénigrer, à me dire que j’étais moche, que j’étais grosse, il se moquait de mon corps plein de cicatrices en raison d’un accident de voiture que j’avais eu en 2004. “Même ton père ne veut pas de toi“, me disait-il. Il me crachait dessus, me surveillait, et, à chaque accès de violence, c’était lui qui pleurait et moi qui le consolais. En août 2014, j’ai fait l’erreur de lâcher mon studio pour aller vivre avec lui dans un appartement à son nom. Dans ce huis clos, les violences ont continué : coups, étranglements, brûlures de cigarette. Á plusieurs reprises, il m’a forcée à faire l’amour. Je ne mesurais pas qu’il s’agissait de viol. Je pensais que c’était ma faute, qu’il avait un fort appétit sexuel. J’ai essayé plusieurs fois de partir, mais il arrivait toujours à me reprendre dans les mailles de son filet. Jusqu’à ce jour d’avril 2015 où, après une énième dispute, il m’a versé deux flacons de savon sur la tête et, alors que j’étais en train de me rincer, il s’est rué sur moi et m’a coupé les cheveux avec des petits ciseaux. J’ai hurlé. Des voisins sont intervenus. Je suis allée au commissariat et j’en suis sortie à 3 heures du matin. Je ne savais pas où aller. Je suis retournée chez lui. Et j’ai retiré ma plainte le lendemain, devant la promesse qu’il verrait une psy. Quelques jours après, une nouvelle dispute a éclaté, il m’a traînée sur deux étages dans les escaliers et a jeté mes affaires par la fenêtre. Ça m’a valu trente jours d’ITT (incapacité totale de travail). Je suis retournée au commissariat. Là, une agente m’a dit : “Est-ce vraiment la peine, puisque vous allez retirer votre plainte demain ?” Mais j’ai tenu bon, notamment grâce à l’aide de l’association Solidarité Femmes 44, qui m’a aidée à trouver un hébergement. C’était dur les premiers jours, car je n’avais pas d’argent, aucun vêtement, et j’étais seule dans un hôtel très éloigné du centre-ville. Il a pris trois ans ferme. Je connaissais le terme de “pervers narcissique”, mais je pensais que c’était comme pour les sectes, que ça n’arrivait qu’ ux autres. En fait, tout le monde peut en être victime, à un moment de vulnérabilité. »

« J’étais comme un escargot qui se recroqueville »

« J’étais comme un escargot qui se recroqueville »
Jacqueline, 58 ans, employée dans la viticulture

« C’est par amour que j’ai quitté ma Bretagne natale pour suivre mon mari en Loire-Atlantique. Nous nous sommes mariés en 1980 et avons eu trois enfants. Tout allait bien jusqu’à ce que je tombe malade et doive m’arrêter de travailler quelque temps. Là, il est devenu insultant dans les mots, puis brutal dans les gestes. Il n’hésitait pas à m’injurier en public. Au départ, j’avais honte, j’étais comme un escargot qui se recroqueville. J’ai supporté tant de choses. Il me rabaissait en me disant que j’étais bonne à rien. Quand je rentrais dans une pièce, il me disait : “Tiens, v’là le vieux débris qui rentre !” Il me donnait des claques, me serrait le cou. Et puis, un jour, alors que j’étais en train de faire la vaisselle, il a pris un couteau, une lame de 17 centimètres, et m’a menacée : “Je vais te tuer, salope, et je vais te brûler dans la maison.” Notre fille, qui vivait avec nous, est intervenue. Il s’est calmé, a mangé tranquillement son déjeuner avant d’aller faire la sieste. Pendant ce temps, j’ai filé à la gendarmerie. Quand j’ai terminé de déposer plainte, les gendarmes m’ont dit de rentrer chez moi. C’était hors de question. Je suis restée là jusqu’à ce qu’ils aillent l’interpeller. Ça a été fait dans la journée. Il a été condamné à huit mois d’emprisonnement avec sursis et deux ans de mise à l’épreuve. J’ai gardé la maison, changé de numéro de téléphone, il est parti vivre dans une autre région, mais il continue de me menacer par mail. Aujourd’hui, c’est toujours difficile, surtout la nuit. Je me lève et j’avale tout ce qui me tombe sous la main. Je tourne en boucle. Je me demande toujours comment on a pu aimer quelqu’un et vouloir le tuer ensuite. Je pense à mes enfants, qui sont ce que j’ai de plus précieux. C’est très compliqué pour eux aussi. Heureusement que je suis soutenue par trois amies et mes collègues de travail à qui j’ai réussi à parler. Et je ne le regrette pas. Parce qu’on se dit toujours que ça finira par aller mieux, mais ça ne fait qu’empirer. Et, après tout cela, je n’ai qu’un seul regret, celui de ne pas avoir parlé plus tôt. »

« Ma sœur n’est plus là pour raconter son calvaire »

« Ma sœur n’est plus là pour raconter son calvaire »
Cathy, 46 ans, informaticienne

« Quand elle m’a appelée le 28 juin 2014 et m’a dit : “je suis au commissariat, je porte plainte. Je ne te l’ai jamais dit, mais je suis battue”, un abysse de culpabilité s’est ouvert sous mes pieds. Je le redoutais depuis des mois. Mais je n’avais pas réussi à faire en sorte qu’elle se confie à moi. La brute avec qui elle était depuis deux ans était rustre, macho, jaloux : je ne voyais pas ce que ma sœur, prof de maths, faisait avec lui. Elle avait honte de s’être mise dans cette situation. Et il ne l’autorisait à m’appeler que s’il était là. Il la menaçait de tuer tout le monde si elle osait le quitter. Il l’avait étranglée et rouée de coups la veille des vacances et il lui avait promis de lui faire subir la même chose tout juillet et août. Elle a craqué au lycée, c’est l’infirmière qui a appelé la police. Elle s’est réfugiée chez mes parents, à Grande-Synthe. Elle se cachait. Mais, un jour, à la mi-juillet, la guettant, son bourreau l’a vue sortir. Â partir de cet instant, il l’a suivie partout. Jusque c ez son avocate, où il l’a agressée. En juillet, elle a fait deux mains courantes – parce que la police refusait de prendre les plaintes – puis deux plaintes. Le 4 août, mes parents et Isabelle décident d’aller à la plage. Ils n’y sont jamais arrivés. Son ex les a pris en chasse. Isabelle a tout de suite appelé le 17 au secours. Mon père conduisait, le mari de ma sœur les a dépassés à un feu rouge et a tiré sur ma mère. Ce que le policier lui a répondu, c’est abject. Il lui a dit de se calmer, et a commenté à un collègue : “J’ai une bonne femme qui pleure, qui crie, elle dit qu’un fou tire sur sa famille.” Mon père s’est dirigé vers le commissariat. La brute a réussi à bloquer la voiture sur une place bondée. Il a tiré une deuxième fois sur maman, agonisante. Il a tiré dans la nuque de papa à bout portant. Pendant tout ce temps, Isabelle est restée en ligne avec le 17, qui n’a rien fait. Elle a donné son téléphone à un quidam, qui a dit au policier : “Un taré tue tout le monde, qu’est-ce que vous faites ?” Le tueur a vidé son chargeur dans la tête de ma sœur, recroquevillée à l’arrière de la voiture. Puis il est reparti en Belgique, dans sa famille, et a fait une pseudo-tentative de suicide. La police belge l’a incarcéré le soir même. Mais, une fois transféré en France, il s’est suicidé. Il n’a jamais été entendu. Nous avons mis un an à récupérer le dossier avec la transcription de l’appel au 17. Entre Noël et le Nouvel An 2015, le deuxième sans eux, j’ai reçu l’avis d’extinction de l’enquête publique. La juge avait décidé que le meurtre de mes parents était un simple homicide sans préméditation. Depuis, je me bats pour que la justice reconnaisse qu’ils ont été assassinés et que la responsabilité de l’État est engagée. Pour ma famille, il est malheureusement trop tard, mais, en dénonçant les fautes du système judiciaire, j’espère que d’autres femmes seront mieux protégées. Ma sœur n’est plus là pour raconter son calvaire. Je le fais pour elle. »

« J’ai essayé de lui trouver des excuses »

« J’ai essayé de lui trouver des excuses »
Kadija, 43 ans, chef d’entreprise

« J’ai toujours été une femme indépendante. j’avais un boulot, un appartement. Après mon mariage, j’ai quitté mon job pour travailler avec mon époux en créant ma propre entreprise. Ça a été ma première erreur. Car il n’a jamais supporté que mon entreprise fonctionne. Nous avons eu notre premier enfant et avons acheté un appartement ensemble, et c’est à partir de ce moment-là que les choses se sont dégradées. Il me disait : ”Mais il n’y a rien dans ta tête ! Tu n’es rien, tu n’es qu’une secrétaire.” Devant la famille, il ne tarissait pas d’éloges : “Ma femme est exceptionnelle !” et, dès que tout le monde était parti, il me lançait : “Tu me fais passer pour un minable !” Puis est arrivé le premier coup de poing. J’ai pensé à partir, mais j’ai découvert tardivement que j’étais enceinte. J’ai essayé de lui trouver des excuses et on a continué à vivre ensemble dans un climat de plus en plus irrespirable. Il a été jusqu’à me menacer avec un couteau. Là, j’ai pris la décision de partir, car je ne protégeais plus m s enfants en restant avec cet homme. J’ai quitté la maison, j’ai été hébergée pendant plusieurs semaines au 115, puis dans un appartement de l’association L’Escale. Depuis, c’est à une forme de violence moins visible que je suis confrontée : la violence économique et financière. Mon ex-mari a tout fait pour laisser traîner la séparation, en demandant notamment un divorce à mes torts exclusifs. Il n’a jamais payé la pension alimentaire fixée par l’ordonnance de non-conciliation, il a continué de vivre dans notre appartement mais a toujours refusé de payer les charges. Aujourd’hui, mon entreprise a fermé et je suis au RSA. Il a tout fait pour me ruiner pendant toutes ces années d’attente. Le divorce a été enfin prononcé à ses torts exclusifs en décembre 2016. Ça aura mis cinq ans ! Et, aujourd’hui, je n’ai toujours pas récupéré ma part de l’appartement. Il continue de m’intimider au téléphone, j’ai déposé plusieurs plaintes contre lui, mais elles n’aboutissent pas. Il fait traîner la vente, car son objectif c’ st que je reste sans rien. En attendant, je ne peux rien entreprendre, ma vie est en suspens. »

« J’ai menti à tous mes proches »

« J’ai menti à tous mes proches »
Géraldine, 40 ans, vendeuse dans le prêt-à-porte

« J’étais déjà la maman de deux garçons quand j’ai eu, en 2010, le coup de foudre pour f., un homme un peu plus jeune que moi. Dans les premiers temps, il me traitait comme une princesse. Puis, tout doucement, les choses se sont dégradées, et la violence a commencé. Verbale, puis physique. Gifles, coups de poing, coups de pied, strangulation. On m’a fait des points de suture dans la bouche, je me suis évanouie sur mon lieu de travail. En 2011, nous avons eu une fille, ce qui ne l’a pas empêché de continuer à me frapper. Dès 2012, j’ai déposé une première plainte. Il a été condamné à du sursis avec mise à l’épreuve. Mais c’était plus fort que moi, je suis retombée dans ses bras. Pendant six ans, je ne compte plus le nombre de fois où je suis allée à la police ou à la gendarmerie. J’ai menti à tous mes proches. J’ai fait endurer le pire à mes enfants. J’étais sa chose, il me manipulait comme un objet. Ça a été un très long chemin pour lui échapper. En décembre 2014, alors que je lui avais dit que c’était termi é, il a grimpé sur le toit de notre maison et s’est aspergé d’essence. Les pompiers ont réussi à le faire descendre après plusieurs heures de négociation. Mais il a continué à me terroriser, moi mais aussi mes enfants. Peu après, le juge pour enfants l’a autorisé à voir notre fille une heure par semaine dans un lieu médiatisé. C’est là qu’il a essayé de me tuer, le 19 mars 2015. Il a tué Jacques, un éducateur spécialisé qui essayait de me protéger, et m’a poursuivie dans la rue avant de m’infliger quatre coups de couteau. J’ai failli être la 116e femme morte au sein du couple cette année-là. Il vient d’être condamné à trente ans de prison. Avec le recul, je sais qu’on m’a tendu la main à plusieurs reprises, mais que je l’ai relâchée trop vite à chaque fois. Une gifle, une parole, c’est une violence. Qui peut mener à la mort. Il faut donc en parler tout de suite et ne pas avoir honte. »

« Il a même déposé plainte contre moi pour violences »

« Il a même déposé plainte contre moi pour violences »
Muriel, 48 ans, productrice

« Mon ex-conjoint a été condamné pour violences psychologiques à deux mois de prison avec sursis et à me verser des dommages et intérêts. Cette reconnaissance que je suis la victime, et non la manipulatrice, a été salutaire pour moi. Car il a tout fait pour me faire passer pour ce qu’il est lui-même, un manipulateur. Un jour, après notre séparation, les gendarmes sont venus chez moi : il avait même déposé plainte contre moi pour violences ! Comme je me suis effondrée pendant l’audition, l’un d’eux m’a conseillé de saisir la procureure. Je lui ai envoyé une lettre de neuf pages qui a été lue au procès. J’y ai raconté les premiers jours magnifiques, où il disait ne vouloir que mon bonheur ; le basculement à la naissance de notre fils ; les injonctions paradoxales et les insultes, le passage incessant de “tu es la plus belle”à “tu es une merde et une branleuse” ; ma vie, qui, dès lors, tournait autour de lui : lui faire plaisir, ne pas le décevoir, ne pas le mettre en colère ; jusqu’à ce que je sombre dans la d pression et que j’avale un cocktail de calmants. Avec un psychiatre, j’ai compris que je n’étais pas le problème, et j’ai pris la décision de partir, même si je continuais à y croire et à le voir. Á 45 ans, je venais d’avoir un bébé, je n’étais pas prête à renoncer à ce que j’avais construit avec lui. Le jour où j’ai appris que j’avais un cancer du sein, c’est finalement lui qui m’a dit que c’était fini. Je ne lui étais plus d’aucune utilité. Je n’étais plus son faire-valoir. Le lendemain de mon opération, il m’a demandé de déposer des effets de notre fils chez lui. Il m’a attrapé le bras, près de la cicatrice. Je lui ai dit de me lâcher, qu’il me faisait mal, mais il continuait, j’ai dû le mordre pour qu’il me laisse. Il a envoyé la photo de cette morsure à nos amis et c’est là qu’il a porté plainte contre moi. Sans cela, je n’aurais peut-être pas été entendue par la justice. J’étais allée plusieurs fois déposer plainte, mais on me disait qu’il y avait plein de femmes comme moi. Et pas de preuves. Que faut-l pour être protégée ? Des bleus, du sang, être à l’article de la mort ? Le procès a eu lieu le jour de mon anniversaire. Comprendre ce qui m’est arrivé, retrouver la confiance et l’estime de soi est un long cheminement. En parler et dénoncer m’aide à me reconstruire. »

« A la rue, en fauteuil roulant »

« A la rue, en fauteuil roulant »
Lucile, 41 ans, agent d’accueil touristique

« Je veux raconter ce qui se passe quand vous vous retrouvez balancée aux urgences, avec une cheville qui pend dans le vide, encore sous le coup de l’adrénaline. Lorsque je me suis sentie en sécurité, tout mon corps s’est mis à trembler et la douleur physique est montée. Luxation de la cheville, rupture du ligament et fracture malléolaire. “Le choc a dû être violent, m’a dit le médecin. On opère demain.” Les hématomes sont apparus sur mes bras, autour du cou. J’ai demandé à ce qu’ils soient constatés par un médecin. “Pas ce soir, on verra demain”, m’ont répondu les infirmières. Bilan, à ma sortie de l’hôpital de Belley, à part la cheville brisée, aucune trace des violences physiques ou du traumatisme psychologique ne figurait sur le certificat médical. J’avais demandé à l’assistante sociale de me trouver un hébergement. “Je ne peux rien faire pour vous, il n’y a pas de centre accessible en fauteuil”, m’a-t-elle répondu. Je me suis retrouvée à la rue, en fauteuil roulant. Je ne pouvais même pas aller aux toilettes seule. Une connaissance a accepté de m’héberger quelques jours. J’ai appelé l’assistante sociale du secteur, l’association d’aide aux victimes de l’Ain. Personne ne m’a aidée. J’ai fini par contacter une éducatrice, avec qui j’avais travaillé, je ne la remercierai jamais assez. Elle a cherché jusqu’en Savoie, et elle m’a trouvé un toit dans un foyer d’urgence. Vous comprenez alors que vous êtes tombée très bas, entourée de gens en extrême précarité. La honte s’ajoute à la culpabilité. Ma collègue m’a accompagnée à Belley pour porter plainte. Heureusement qu’elle était là. Le gendarme m’a traitée avec la même violence que mon agresseur. Le PV ne ressemble à rien. Dans ses mots, je suis coupable. Avec ce certificat médical sans preuve, et ce PV ambigu, je n’ai rien pu faire sur le plan judiciaire contre mon ex-conjoint, alors que j’ai consulté des avocats. Je n’ai cessé de dénoncer ces dysfonctionnements auprès du directeur de l’hôpital, des élus de l’Ain, des ministres de la Justice et de la Santé. J’ai fini par rencontrer la gendarme référente départementale pour les violences conjugales. Elle a mis son nez dans les plaintes de Belley et en a découvert plein pour violences conjugales, non traitées. Le gendarme qui m’a malmenée a reçu un blâme. Et l’hôpital a dû mettre en place un protocole d’accueil pour les femmes battues. Cinq ans après, grâce à l’association S.O.S. Femmes Violences, j’ai obtenu le statut de travailleur handicapé, j’ai un logement social, je suis en reconversion professionnelle. Et je continue à me battre pour dire stop au massacre. »

« J’ai épousé un tueur de femmes »

« J’ai épousé un tueur de femmes »
Florence, 53 ans, aide médico-psychologique

« Dans ma tête, je l’appelle “le tueur de femmes”. sa première épouse s’est noyée dans l’alcool. Il s’était acharné sur elle pendant leur divorce. Huit jours après son décès, j’ai reçu les premiers coups. Cinq jours d’ITT. Je suis partie, mais il m’a fait tout un cinéma, il ne pouvait pas vivre sans moi… J’avais vingt-deux ans de moins que lui, c’était un grand séducteur, il me couvrait de cadeaux. Mais tout cela n’était qu’une façade. En vingt ans de vie commune, je n’ai reçu en réalité que des reproches, des coups et des menaces. Il m’a dit tant de fois qu’il me tuerait que je n’y croyais pas. Jusqu’au jour où, en 2014, je l’ai vu venir vers moi, poings serrés, livide. J’ai su qu’il allait le faire. J’ai quitté la maison, terrifiée. Mes collègues m’ont trouvé un chalet pour me mettre à l’abri. Je suis allée cinq fois à la gendarmerie, car il rôdait à l’Ehpad, là où je travaille, autour de ma voiture. Tout ce que le procureur m’a dit, c’est “d’accélérer la procédure de divorce”. Un matin, à 8 heures, je l’ai croisé sur la route. Il m’a suivie jusque dans les couloirs de l’Ehpad. Il prétendait vouloir me parler. Mais il m’a sauté à la gorge avec un couteau. Il m’a porté un premier coup au cou, puis m’a coupé les doigts qui protégeaient mon visage. J’étais à terre, il m’a tranché la joue, de la lèvre à l’oreille. La psychologue, les femmes de ménage et un homme d’entretien ont tenté de le calmer. Un gendarme a fini par arriver, mais il a réussi à rentrer chez lui. J’ai été hospitalisée en chirurgie faciale, à Dijon. Á la sortie, je ne savais pas où aller, j’avais tellement peur. On m’a mise dans un appartement dégoûtant, avec toutes mes plaies, je n’osais même pas m’allonger sur le matelas. Je comprends que certaines femmes rentrent chez elles à ce moment-là tellement on se trouve démunie. Ma chance a été de croiser, dans la cour, la psychologue de Solidarité Femmes 21. L’association s’est démenée pour me trouver un studio et m’a portée à bout de bras. J’oubliais même de manger. Cela m’a pris deux ans de soins et  e thérapie pour aller mieux. Lui, il a fait dix-huit mois de détention provisoire avant d’être relâché sur décision du juge dans l’attente de son procès et, à peine sorti, il a tenté de m’appeler. La juge lui a demandé d’être ”gentil“ avec moi. J’ai fini par partir à l’autre bout de la France pour me sentir en sécurité. Je n’ai plus rien. Je paie chaque jour d’avoir été une victime. Le 14 juillet, il est décédé chez lui avant d’être jugé. »

« Il ne voulait pas que je travaille »

 « Il ne voulait pas que je travaille »
Ramona, 29 ans, agent d’entretien

« Mon mari, S., m’a fait miroiter une belle vie en France, alors, j’ai quitté la Roumanie pour le rejoindre en février 2013. Et, trois mois à peine après mon arrivée, les premiers coups sont tombés. Il ne voulait pas que je travaille, il voulait que je reste à son service, comme une esclave. Je n’avais pas d’argent, pas de carte Bleue. Je suis tombée enceinte. Les coups ont continué. Comme ce jour où, à 5 mois de grossesse, il m’a saisie par les cheveux et m’a cogné la tête contre le mur parce que j’avais osé lui demander pourquoi il discutait avec d’autres femmes sur Internet. Quand notre fils est né, rien n’a changé. Souvent, il prenait notre enfant dans les bras quand il me frappait, et disait que, si je partais, je ne le reverrais jamais. Quelques mois après la naissance, il m’a demandé de faire l’amour comme le font les femmes de la rue. J’ai refusé. Il m’a obligée. Ça s’est produit plusieurs fois. Je ne savais pas à qui parler. J’étais très isolée. Mais j’avais compris que je devais partir. Pour mon petit garçon. J’en ai parlé au prêtre, à l’église. Il m’a donné les coordonnées d’une avocate qui parlait roumain. Elle m’a conseillé d’aller voir un médecin et de faire constater les violences. J’ai eu 15 jours d’ITT. Je suis aussi entrée en contact avec l’association Solidarité Femmes. Je suis restée encore trois semaines pour préparer mon départ en secret. Et, le 13 novembre 2015, je suis partie. J’ai déposé mon fils chez l’avocate et je suis allée porter plainte. Mon mari a été arrêté à ce moment-là. Il a nié à peu près toutes les accusations, alors que je n’avais même pas dénoncé la moitié de ce qu’il m’avait fait. Il a été condamné à onze mois de prison. Les premières nuits, j’ai dormi à l’hôtel, puis l’association m’a trouvé un appartement. Ce n’est pas fini. J’ai encore déposé plainte hier soir, car il m’a menacée en me disant qu’il avait un couteau et un pistolet. Mais je n’ai pas peur de lui. Aujourd’hui, je travaille, j’ai appris le français, j’aimerais faire une formation, je veux que mon enfant ait une belle vie. Et je continue de croire que les femmes sont bien plus fortes que les hommes. »

Violences conjugales : ça suffit !

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