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Budget : la valse-hésitation d'Emmanuel Macron et d'Edouard Philippe en cinq actes

Comment respecter l'impératif de 3% de déficit public sans renoncer à lancer tout de suite les baisses d'impôts? Avec un plan drastique d'économies de dépenses publiques... sur lesquelles Macron ne s'était pas étendu pendant sa campagne et au risque de renier certaines promesses.

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Edouard Philippe et Emmanuel Macron, à Saint-Nazaire, le 1er février 2016, posant devant le MSC Meraviglia pour la « cérémonie des pièces ».Le maire du Havre et l’ex-ministre de l’Economie font désormais route ensemble.

Aujourd'hui, il s’agit de faire les calculs sérieusement pour que les additions et soustractions du Budget 2018 de la nation tombent juste, et sous les 3%...

Franck Dubray/Ouest France/MaxPPP

Le principe de réalité impose toujours de dures leçons à ceux qui arrivent au pouvoir, comme le montre le difficile exercice d’équilibrisme du premier budget de l’ère Macron.

D’un côté, le président tient mordicus à respecter l’engagement de la France vis-à-vis de Bruxelles de réduire le déficit à 3% à la fin de l’année. C’est un impératif symbolique : depuis la crise de 2008, tous les pays de la zone euro ont réussi à redresser leurs comptes publics; si l’Hexagone ne tenait pas l’objectif en 2017, il serait le seul pays des 19 de la zone euro à rester hors des clous! C'est aussi un impératif diplomatique: le chef de l’Etat veut réorienter les priorités de l'Europe… comme le voulaient aussi ses prédécesseurs Nicolas Sarkozy et François Hollande ; mais pour négocier avec l'inflexible duo allemand Angela Merkel – Wolfgang Schaüble, il lui faut donner gage que, contrairement à ses prédécesseurs Sarkozy et Hollande, lui saura tenir (enfin) tenir la règle des 3%... sans quoi, il ne sera pas plus écouté qu'eux.

De l’autre côté, le président ne veut pas non plus avoir l’air de reculer sur ses promesses de campagne, qui comportaient 20 milliards de baisses d'impôts (réduction de l’ISF, taxe à 30% sur les revenus du capital, suppression de la taxe d’habitation pour 80% des foyers, transformation du CICE en baisse de charges, abaissement de l'impôt sur les sociétés de 33 à 25%...), un plan d’investissement public de 50 milliards sur le quinquennat (formation, transition écologique...) et quelques propositions plus ou moins dispendieuses pas toujours chiffrées (étendre l’assurance-chômage aux indépendants et aux démissionnaires, rembourser les lunettes, prothèses dentaires et appareils auditifs à 100%, instaurer un service national d’un mois...). En face, le candidat indiquait certes s’engager à une réduction de 60 milliards par an des dépenses publiques, mais sans détails ni calendrier.

Au cours de la campagne, plusieurs think-tanks et instituts économiques -la fondation Concorde, COE-Rexecode, l’Institut de l’entreprise- avaient souligné que le cadrage budgétaire leur semblait flou et trop optimiste, avec des chiffrages du coût des baisses d’impôts et dépenses nouvelles sous-estimés, les économies de dépenses insuffisamment documentées, laissant craindre de ne pas tenir l’effort des 3% de déficit... mais le débat était resté cantonné aux spécialistes budgétaires.

Aujourd'hui, il s’agit de faire les calculs sérieusement pour que les additions et soustractions du Budget 2018 de la nation tombent juste, et sous les 3%...d’où des atermoiements et le premier véritable couac de communication. Récit en cinq actes:

Acte I: 29 juin, l’audit de la Cour des comptes

Commandé, comme il est d'usage, par Emmanuel Macron dès son arrivée à l’Elysée, l'audit de la situation des finances publiques de la Cour des comptes a jeté un pavé dans la mare. Etrillant la gestion du gouvernement précédent, qualifiée de "insincère", les magistrats pointent un trou de 8 milliards pour 2017 par rapport à la trajectoire promise par François Hollande. Sans «mesures fortes de redressement», le déficit public atteindrait donc 3,2 % du PIB fin 2017, au lieu des 2,8 % prévus!

Une charge lourde accompagnée d’une injonction au nouveau gouvernement de se mettre au régime sec dès le second semestre pour limiter le dérapage en 2017 mais surtout de prendre des mesures drastiques pour 2018. Le premier ministre Edouard Philippe ne manque pas d’exploiter ce rapport. «Tous ces artifices sont inacceptables et réduisent nos marges de manoeuvre» tempête-t-il. «Nous allons reconstruire un budget sérieux et crédible» martèle-t-il, en précisant : «Nous ne le ferons pas en augmentant les impôts. Nous le ferons par des mesures d'économies.»

Ce dérapage budgétaire est en fait un secret de Polichinelle, puisque le ministre des Finances Michel Sapin en avait été averti dès avril et que Bruno Le Maire avait ces chiffres sur son bureau dès son arrivée en poste. D'ailleurs, Bercy avait commencé dès juin, suite aux alertes de la Direction du budget, à faire circuler le mot aux organisations patronales qu'il serait compliqué d'enclencher plusieurs baisses d'impôt pour les entreprises dès 2018.

La publication du rapport de la Cour des comptes permet cependant au gouvernement de dérouler un plan de com' éprouvé: s'appuyer sur les errances passées pour faire atterrir le discours de la campagne, et justifier des prises de décision difficiles.

Acte II: 4 juillet, le discours de politique générale du Premier ministre

«Nous dansons sur un volcan qui gronde de plus en plus fort», «la France est dans les cordes et aucune esquive ne la sauvera»… sans aller jusqu'au fameux «La France est un Etat en faillite» de François Fillon, Edouard Philippe, abuse des métaphores catastrophistes durant son discours de politique générale, poursuivant la stratégie de dramatisation de la situation financière crédibilisée par le rapport sévère de la Cour des comptes.

Le décor planté, il insiste sur les efforts nécessaires. Cependant, sur la baisse des dépenses publiques, le flou persiste. Il faut «stopper l'inflation de la masse salariale du secteur public», «remettre en cause certaines missions sans plus sanctuariser aucun ministère, aucun opérateur, aucune niche fiscale» et «repenser les politiques publiques qui pèsent sur nos actifs sans suffisamment de résultats»: les pistes sont esquissées mais sans en préciser les cibles.

En revanche, sur les promesses de baisses d’impôts, Philippe est plus précis, prévoyant de les étaler dans le temps. C’est ainsi qu’il annonce que la transformation du CICE en baisse des charges n'entrera en vigueur qu'au 1er janvier 2019, tout comme la réforme de l'ISF et la taxation forfaitaire de 30% sur les revenus de l'épargne. Le premier ministre se montre aussi très prudent sur une promesse phare mais très coûteuse (10 milliards): l'exonération de la taxe d'habitation, qui devait être étendue à 80% des ménages en trois ans d'ici à 2020. Il évoque une «concertation avec les collectivités locales» et un calendrier « d'ici à la fin du quinquennat».

Le discours de politique générale, qui a fait l’objet d’allers-retours entre Matignon et l’Elysée, a été relu et approuvé par Emmanuel Macron. Le message est clair: la priorité est de tenir les 3% quitte à revoir le calendrier des promesses fiscales. Retour à la réalité… et à la rigueur.

Acte III: 8 juillet, convention de la République en marche

Dans les milieux économiques, le discours de politique générale fait l’effet d’une douche froide. Un plan d'économies de 15 à 20 milliards d'euros sur 2018 et toutes les grosses baisses d'impôts reportées à plus tard? Voilà un ajustement budgétaire conséquent qui risque de peser sur la croissance, disent les uns. Un report de la réforme tant attendue de l’ISF et de la taxation des revenus du capital à 30%? On perd les signaux favorables aux investisseurs étrangers pour l’attractivité de la France à l'heure du Brexit, regrettent les autres.

Du coup, Édouard Philippe corrige partiellement le tir devant la convention de La République en marche, annonçant 7 milliards de baisses d'impôts pour 2018. «Cela passera par une maîtrise des dépenses», a-t-il lancé. Les 7 milliards prévus devraient être répartis ainsi: 1 milliard de crédits d'impôt pour les ménages des classes moyennes, 6 milliards de CICE pour les entreprises. Un lot de consolation qui ressemble à un compromis hâtivement bricolé.

Acte IV: 9 juillet, arbitrage en tête-à-queue de l’Elysée

Emmanuel Macron avait parié que les Français allaient comprendre qu'il faut pouvoir financer les baisses d'impôts avant de les lancer. Mais reporter les baisses d’impôts, est-ce de la bonne gestion ou un moyen de ne pas tenir ses promesses? Le président a vite la réponse: la grogne se propage dans les milieux du business, relayée par ses proches, économistes (Philippe Aghion, Elie Cohen, Nicolas Baverez, Nicolas Bouzou…), patrons et entrepreneurs, penseurs libéraux (Mathieu Laine, Gaspard Koenig…), et élus de En Marche, déplorant (de leur point de vue) la reculade sur des réformes ambitieuses pour de basses considérations comptables. Tous font pression et mobilisent leurs réseaux. Le concert est devenu assourdissant lors des rencontres économiques d’Aix-en-Provence, qui rassemblaient, du 7 au 9 juillet, le gratin des économistes et du CAC 40.

Au final, Macron est convaincu par un argument massue, d’affichage: le spectre d’un retour d’une gestion à la Hollande, entre impuissance masquée et réformes rabotées. Ce risque de hollandisation, c’est sa hantise suprême. La décision est donc prise dimanche soir de changer de cap et de mettre en oeuvre la réduction de la taxe d'habitation et la réforme prévue de l'ISF dès 2018. Elle est confirmée le 10 juillet lors d'une réunion autour du chef de l'Etat avec Gérald Darmanin et Bruno Le Maire.

C'est le premier revirement du président. Emmanuel Macron respecte ses engagements de campagne et évite le procès en reniement. Mais il place le premier ministre dans une position difficile voire intenable tant les mesures d’économie à prendre pour compenser les promesses du chef de l’Etat s’annoncent explosives.

Acte V: 12 juillet, rapport de trajectoire budgétaire remis aux commissions des finances

Opération déminage: lundi 10 juillet, le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin dévoilait les arbitrages finaux dans Le Parisien, mercredi 12 le premier ministre Edouard Philippe les précise dans Les Echos. Ils sont écrits noir sur blanc dans le rapport d'orientation des finances publiques transmis ce même jour aux Commissions des finances de l'Assemblée et du Sénat.

Le gouvernement y a bien inscrit que le déficit public devra s'établir à 3% du PIB en 2017 et à 2,7% en 2018, en accord avec les engagements auprès de Bruxelles. Pour autant, plus question de mollir sur les baisses d'impôts: le recentrage de l’ISF sur le patrimoine immobilier et une première étape d’exonération de taxe d’habitation sont bien prévus pour 2018, amenant le total des allègements de prélèvements prévus à 11 milliards. Pour compenser, Bercy met donc le paquet sur la réduction des dépenses publiques, avec 4,5 milliards d'économies nouvelles prévues pour 2017 et 20 milliards pour 2018. Ça va faire mal. «C'est un effort inédit», euphémise Darmanin.

Pour 2017, il s'agit dans l'urgence de restreindre train de vie des ministères avec des annulations de crédit: -268 millions pour Bercy, -160 millions pour le ministère de la Justice (pourtant déjà fort désargenté), -526 millions pour l'Intérieur (malgré les coûts grimpants de la lutte contre le terrorisme), -75 millions pour l'Education nationale (pourtant une priorité du quinquennat), -50 millions pour la Culture (alors que le programme de Macron assurait que ce budget ne serait pas amputé d'un euro), -280 millions pour les Affaires étrangères (dont la moitié pour l'aide au développement, alors que Macron s'est donné pour objectif de doubler ce budget d'ici 2030) et, surtout -850 millions pour la Défense (à rebours de l'engagement du président d'augmenter ce budget à 2% du PIB d'ici 2025, soit une hausse de 17 milliards sur huit ans).

Pour 2018, le tour de vis sera encore bien plus brutal... sans qu'il soit encore précisé. Darmanin a juste prévenu qu’il faudra faire des réformes de structure, redéfinir les missions de l'Etat, citant des coupes possibles dans la politique de formation et d’aide à l’emploi, les aides au logement. Sans parler des tailles dans les effectifs de fonctionnaires, qui pourraient dépasser les 120.000 annoncés.

Au final, dans le cadre contraint des 3% de déficit, pour tenir sa promesse sur les baisses d'impôts (pertes de recettes immédiates), Macron est donc en train d'accélérer sur les coupes de dépenses (dont les gains sont plus longs à se matérialiser), qu'il avait préféré jusqu'ici laisser dans l'ombre ... quitte à renoncer à bien d'autres promesses. Des choix douloureux inévitables dans un pays qui vit au-dessus de ses moyens.

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