Le numérique est-il un facteur de prospérité ?
Le Vice Premier Ministre de Singapour aux Rencontres Economiques d'Aix-en-Provence, le 9 juillet 2017

Le numérique est-il un facteur de prospérité ?

A l’invitation de Philippe Houzé, Président du Groupe Galeries Lafayette et initiateur de l'accélérateur de start-ups Lafayette Plug and Play où Alcméon est installée, j’ai eu la chance de participer le week-end dernier aux Rencontres économiques d’Aix-en-Provence organisées par le Cercle des Economistes, dont le thème était cette année « A la recherche de nouvelles formes de prospérité ».

 Comme on pouvait s'y attendre, la transition numérique a occupé une place centrale dans les débats que j’ai trouvés passionnants. Trois paradoxes m’ont frappé et j’ai eu envie de les partager avec vous :

La digitalisation n’a pour l’instant pas fait augmenter la productivité autant qu’on l’attendait

Ce constat est préoccupant pour le dirigeant d’entreprise numérique que je suis, puisque l’une des dimensions essentielles de la proposition de valeur d’Alcméon consiste à faire gagner du temps à nos clients. Au delà de cette préoccupation, pourquoi l’augmentation de la productivité est-elle importante ? Parce que dans les pays avancés comme la France, c'est le seul moyen de relancer la croissance…

Depuis 2006, la productivité n’augmente plus, alors qu’elle s’est accrue à un rythme de 1% par an environ dans la décennie précédente. Selon Barry Eichengreen, professeur d’économie à Berkeley, cela concerne en priorité les pays de l’OCDE, mais pas seulement : l’Inde et l’Indonésie par exemple sont également affectées. Pourquoi ? 

Sa réponse est très claire : la phase de digitalisation actuelle ressemble à ce qui s’est passé au moment de la généralisation de la machine à vapeur ou de l’électricité : ces innovations ont toutes deux fait baisser la productivité pendant leurs phases d’adoption respectives, qui ont chacune duré environ 20 ans.

L’économiste Christian de Boissieu ne dit pas autre chose quand il explique que nous sommes dans le creux de la courbe en « J » de la révolution digitale. La question est de savoir combien de temps nous allons mettre pour en sortir. Selon le Pr. Eichengreen, le taux de digitalisation actuel de l’économie est de 12% en Europe et de 18% aux Etats-Unis. Il pense que nous sommes dans la phase d’adoption depuis 12 à 13 ans, ce qui permet de supposer que la digitalisation va s’accélérer, et que nous sortirons de cette période atone vers 2025.

Benoît Potier, le PDG d’Air Liquide, a donné quant à lui une illustration concrète du phénomène : le passage au digital nécessite un gros travail de nettoyage des données, qui fait plutôt perdre du temps qu’en gagner tant qu’il n’est pas terminé.

La transition numérique, c’est surtout et déjà un facteur de réduction des inégalités !

A l'aune de interrogations sur les conséquences négatives du numérique sur l'emploi, cette affirmation peut aussi sembler paradoxale. Mais je l'ai entendue dans la bouche de plusieurs intervenants des Rencontres d’Aix, et pas seulement de la part des plus libéraux d'entre eux.

Le Vice-premier ministre de Singapour, Tharman Shanmugaratnam, a insisté fortement sur la nécessité d'équiper les peuples en appareils numériques et accès à internet pour lutter contre l’accroissement des inégalités dues à la fracture entre "gagnants" et "perdants" de la mondialisation. Selon lui, il faut former les individus à ces technologies, et pas seulement ceux qui ont moins de 18 ans, pour rétablir l’égalité des chances. Pour le Vice-premier ministre, des « disruptions » technologiques plus nombreuses sont nécessaires pour ouvrir plus d'opportunités pour les classes moyennes et sauver l’économie sociale de marché.

Tidjane Thiam, Directeur du Crédit Suisse et ancien ministre de Côte d'Ivoire a donné quant à lui un exemple concret d'utilisation d'internet comme facteur de réduction des inégalités : grâce au réseau, les producteurs de cacao de son pays d’origine consultent régulièrement les cours des matières premières sur Bloomberg pour éviter de "se faire avoir" par les grandes compagnies auxquelles ils vendent leur production.

En expliquant que se former tout au long de sa vie est nécessaire pour maintenir son "employabilité", l'économiste Jean Pisani-Ferry a abondé dans le même sens. Il paraît effectivement indispensable que les générations ayant commencé leurs parcours professionnels avant le développement d’internet soient accompagnés dans leur transition vers les nouveaux outils numériques. Bref, le numérique ne vaut que s'il est partagé par tous !

Le numérique sera une source de prospérité, mais pas en Europe, si l’UE n’aide pas ses pépites à se développer !

Unanimement, les intervenants des débats auxquels j'ai assisté considèrent le numérique comme une extraordinaire opportunité de développement. Ils ne nient pas les risques de destruction d'emplois, mais pensent tous que le numérique va créer de nouveaux emplois, et qu'il n'y aucune raison que le nombre d'emplois créés ne compensent pas et même ne dépassent le nombre d’emplois détruits, exactement comme cela s'est passé pour le développement de l'électricité.

En Chine, comme l’ont souligné les intervenantes (5 femmes sur 6 !) du panel sur "l'économie numérique et le renouveau du commerce en Chine" organisé par Cathay Capital, le numérique permet aux producteurs, quelque soit leur taille, et aux consommateurs, quelque soit leur niveau social, d'accéder au marché grâce à des plateformes comme Alibaba et WeChat.

Cependant, les intervenants ont pointé la menace que représente la concentration des géants de l'internet aux Etats-Unis et en Chine, et le retard pris par l'Europe. Ils appellent tous à une réaction de l'Union Européenne, et pas seulement à travers des mesures défensives comme les amendes pour abus de position dominante infligées à Google. Ils s'accordent à penser que les solutions ne viendront pas d'une approche "top down", mais plutôt des start-ups dont la croissance doit être facilitée. Jean-Baptiste Rudelle, le fondateur et Président de Criteo, a proposé par exemple un statut juridique de "société européenne" valable dans tous les pays de l'Union. C’est effectivement une très bonne idée dont la mise en œuvre simplifierait le développement de jeunes entreprises européennes comme Alcméon !

JEAN-JACQUES R.

Founding Member of Cercle K2-French Representative in PACA Region / Voluntary Consultant and Trainer /Banking Finance

6y

Je crains que comme pour toute technologie la réponse soit malheureusement « non » du moins pour tous ceux qui seront laissés sur le bord du chemin. La réduction des inégalités est d’un autre ordre d’autant plus que le numérique crée precisément ses propres nouveaux écarts.Un peu le serpent qui se mord la queue.Reste que le numérique constitue un évolution incontournable mais à qui il ne faut pas trop demander pour assurer le Bonheur de la planète.

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Benoit VELLIEUX

Support executives in the job search

6y

Au début du 20ème siècle, on pouvait se poser la même question sur le rôle de l'électricité comme facteur de croissance : l'évolution ultérieure à montré ce qu'il en était. Il en est de même pour "l'énergie IT" et il vraisemblable que dans une génération, on rira de nos hésitations actuelles.

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Ces remarques doivent inciter les africains à réfléchir sur le développement du numérique dans notre continent

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Sophie Dubois - BY SENSORY

Consultante Formatrice Coach SoftSkills

6y

Allez donc voir au cine THE CIRCLE...

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Ces remarques doivent nous mettre en réflexion pour réussir la révolution numérique avec moins de dégâts collatéraux que les autres révolution type" industriel"

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