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14 juillet : Que cache l'invitation faite à Trump ?

14 juillet : Que cache l'invitation faite à Trump ?

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Difficile d'imaginer deux hommes plus différents que les présidents français et américain. Pourtant, Macron se sert de Trump pour soigner son leadership sur la scène internationale. Et inversement.

« Vous avez remarqué : à Hambourg, il y aura un dirigeant opposé à l'accord de Paris sur le climat, et 19 pour… » soulignait-on malicieusement à l'Elysée avant le G20 de Hambourg (organisé les 7 et 8 juillet sous la présidence d'Angela Merkel). Beau schéma : l'homme seul, c'est Donald Trump, les autres chefs d'Etat et de gouvernement les plus puissants de la planète se regroupant sous la bannière d'Emmanuel Macron, porte-drapeau du combat contre le réchauffement climatique.

Ce dernier n'a plus qu'à ramasser les lauriers diplomatiques laissés par l'Américain : « Après la décision du président des Etats-Unis de se retirer de cet accord, un doute aurait pu s' immiscer… Vous l'avez constaté comme moi, il ne s'est pour ainsi dire rien passé. C'est même l'inverse qui s'est produit. L'accélération des ratifications a témoigné d'une prise de conscience profonde de certains gouvernements », s'est réjoui le président français devant un auditoire international réuni à la Sorbonne.

Face à Trump, Macron compte donc enfoncer le clou climatique. Ainsi, quand le milliardaire entend reprendre les négociations sur le traité de libre-échange transatlantiques, avec l'acquiescement d'Angela Merkel, l'Elysée fait savoir que, pour la France, la lutte contre le réchauffement climatique doit être intégrée dans le commerce international. Une condition qui jusqu'à présent ne figure pas dans le mandat de négociation de l'Union européenne. De même, la France portera à l'ONU le projet de pacte mondial pour l'environnement, charte contraignante permettant d'attaquer les Etats inactifs : le genre d'instrument juridique à vocation internationale que la droite américaine a en sainte horreur !

Mais Donald Trump n'est pas que l'affreux jojo climatique qu'on aime détester. Paradoxalement, il peut devenir un levier pour faire céder… les alliés européens. Face aux partenaires allemands, néerlandais, suédois ou polonais, souvent rétifs, le discours protectionniste de la Maison-Blanche donne à Emmanuel Macron l'occasion de soutenir son concept d'« Europe qui protège », assez proche du « protectionnisme intelligent » que portait Arnaud Montebourg, version 2011.

AUBAINE POUR L'ÉLYSÉE

Le 23 juin, le président français est revenu de Bruxelles, certes couronné de lauriers médiatiques, mais les mains vides sur ses propositions : pas de principe de réciprocité dans l'ouverture des marchés publics, pas d'avancée sur les travailleurs détachés, pas de dispositif européen de verrouillage des secteurs industriels stratégiques. Alors, quand, de l'autre côté de l'Atlantique, un Trump montre qu'on pourrait aussi utiliser de tels instruments en Europe, pas question d'ignorer l'occasion de faire valoir ses arguments ! Par ailleurs, la relation privilégiée entre Paris et Berlin permet aussi de se réfugier ponctuellement derrière le partenaire allemand.

Angela Merkel, qui présidait le G20 à Hambourg, a décidé d'assumer « les divergences » avec Donald Trump. Avant la rencontre, la chancelière avertissait : « Nous connaissons les positions du gouvernement américain et je ne m'attends pas qu'elles disparaissent à l'occasion d'un déplacement de deux jours à Hambourg. » Une aubaine pour l'Elysée : si « Angela » veut aller à la castagne, pas la peine qu'« Emmanuel » en rajoute… D'autant que, paradoxalement, Trump et Macron ont quelquefois intérêt à ne pas s'afficher en rivaux prêts à en découdre à tout moment.

C'est tout le sens de la présence du président américain au défilé du 14 Juillet, au prétexte du 100e anniversaire de l'entrée des Etats-Unis dans la Première Guerre mondiale. En acceptant l'invitation de son jeune et ambitieux cadet (formulée en réalité dès le 25 mai dernier mais restée lettre morte), le milliardaire cherche probablement à s'extraire - même temporairement - d'une mauvaise passe sur le plan intérieur et souligne aussi que son « America First ! » peut être interprétée de plusieurs manières : une Amérique prioritaire certes, mais qui reste la première sur la scène internationale.

A preuve : en dépit des prédictions alarmistes sur l'isolationnisme forcené de la nouvelle administration, depuis janvier dernier les interventions militaires américaines se révèlent plus nombreuses que du temps d'Obama… De son côté, en s'affichant aux côtés de son puissant allié, Emmanuel Macron endosse un peu plus le costume de dirigeant « majeur » et de possible recours en cas de vacance de leadership mondial.

GAGNANT-GAGNANT

Il en profitera également pour rappeler aux détracteurs bruyants (Jean-Luc Mélenchon entre autres), lui reprochant grosso modo d'inviter un protofasciste aux festivités nationales, que lui, et lui seul, décide de son agenda diplomatique et de ce qui est bon ou non pour la France. Or, en matière de lutte contre le terrorisme djihadiste, au moins dans les discours, le Jupiter français et l'ogre new-yorkais ont des points de vue plutôt concordants : si en Syrie le départ de Bachar al-Assad ne constitue pas à leurs yeux un préalable au règlement politique du conflit, l'éradication concrète de l'Etat islamique en est, à l'inverse, une quasi-condition sine qua non.

Prenant à contre-pied les options affichées par le Quai d'Orsay sous les mandatures successives de Laurent Fabius et Jean-Marc Ayrault, Macron assume sans complexes cette nouvelle Realpolitik, quitte à menacer de représailles le régime de Damas si d'aventure il utilisait, ou réutilisait, des armes chimiques contre les rebelles et les populations civiles. Doctrine assez proche de celle que professe Trump.

Ainsi va la relation entre deux atypiques ayant bousculé le jeu politique traditionnel dans leurs pays respectifs. Donald Trump aime les « winners » et surtout se mesurer à eux pour imposer sa force de frappe. Il a trouvé en Macron une sorte de partenaire idéal, moins affaibli que ne l'est désormais la Première ministre britannique et plus « accessible » qu'une Angela Merkel avec laquelle l'entente est manifestement compliquée. Le président français l'a compris ainsi et compte bien tirer profit d'une situation lui permettant d'installer fortement sa présidence sur la scène internationale. Pour l'heure, de part et d'autre, c'est plutôt gagnant-gagnant…

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne