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Libération
Reportage

Expulsion d'un squat écolo-féministe dans un ancien commissariat

Des militants pour le droit au logement occupaient depuis quatre jours un ancien commissariat du XVIIIe arrondissement parisien, renommé «Haut commissariat du bonheur».
par Léa Lejeune
publié le 12 novembre 2013 à 11h39

Au rez-de-chaussée, les bouteilles de bière et de jus de fruits sont ouvertes pour recevoir les «soutiens» amicaux et politiques. A 18 heures, l’ambiance est festive. Neuf étudiants et trentenaires précaires occupent cet ancien commissariat de la rue Raymond Queneau, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, depuis quatre jours. Ses habitants ont donné un surnom au lieu : le «Haut commissariat du bonheur».

«Le but était d'abord de nous donner un toit, mais je voudrais transformer les lieux en un squat militant féministe, écolo et artistique», explique Fatima, l'une des instigatrices, engagée au sein du collectif de droit au logement Jeudi noir et pour l'association féministe Les Effronté-e-s. Elle a déjà prévu tout un programme pour le bâtiment. «Ce sera l'un des premiers squats féministes ouvert à Paris depuis des années, il succède à celui occupé par les Femen en banlieue. Nous voulons organiser des réunions féministes pour interpeller les candidats aux municipales sur l'aspect égalité hommes-femmes de leurs programmes, mais aussi ouvrir une permanence pour les femmes victimes de violences et les anciennes prostituées», poursuit-elle. Sur les murs, des pancartes annoncent la couleur : «liquidation, petits prix sur les droits des femmes», «crèches, centres d'IVG, salaires», «on liquide tout ! Retraites des femmes à prix imbattables».

 Chambres de fortune

Pour l'aspect écologiste, Fatima s'est entourée de bénévoles de l'association HSBC (Hyper social bio club) qui distribue des paniers bios et ambitionne d'«apporter la culture écolo dans les quartiers populaires». Danielle Simonnet, candidate du Parti de gauche à la mairie de Paris, est passée pour soutenir le projet alternatif. «Je milite pour que les réquisitions citoyennes soient reconnues dans la capitale. Mais j'apprécie aussi la volonté d'éducation populaire. Les associations sont aussi victimes de la spéculation immobilière, elles ont du mal à trouver des locaux à prix abordable», commente-t-elle.

Gaëlle, militante de Jeudi noir, s'amuse devant les salles de garde à vue savamment décorées d'affiches militantes, de comptes-rendus d'infraction et d'une poupée qui tranche avec le décor. «Ça rappelle des souvenirs», glisse-t-elle en référence à l'évacuation forcée d'un squat, situé avenue Matignon, en février 2011.

Au premier étage, neuf pièces d'une trentaine de mètres carrés ont été aménagées en chambres de fortune. Quelques matelas sommaires, des sacs de fringues, un dessin et quelques photos ont été disposés. Léa, 23 ans, descend une bière avec le sourire. Elle vient pourtant d'enchaîner huit mois de stage dans une association rémunérés 436 euros par mois, pas assez pour payer un loyer parisien. «J'ai vécu chez des amis, dormi sur le canapé de ma sœur, avant d'entendre parler de ce projet par un membre de Jeudi noir», explique-t-elle, fière d'avoir enfin un toit. Féministe et écolo, elle est emballée par l'objectif militant du lieu. Dans le couloir, Alice, étudiante à l'EHESS, fait la visite à un groupe d'amis. Elle raconte une histoire de mal logée similaire. «J'ai vécu à Berlin pendant un an, les loyers coûtaient trois fois moins cher qu'à Paris, c'était super. Mais en revenant, j'ai d'abord vécu avec mon père dans un 30m2, puis dans une chambre louée pour 500 euros à une marchande de sommeil qui héberge des latinos sans papiers, enfin dans un logement avec dégât des eaux légalement non louable. Sans caution parentale, impossible de trouver un meilleur plan.» Ce lundi soir, elle est occupante sans droit ni titre du 18 rue Queneau.

 Six voitures de CRS

A 19h30, trois policiers en uniforme s'installent devant le «Haut commissariat du bonheur» et demandent à s'entretenir avec les occupants. Jean-Charles leur apporte les cartes d'identité des neuf précaires et réexplique la situation. «Ils ont du mal à croire qu'on est déjà là depuis plusieurs jours. Mais ils sont compréhensifs sur notre situation. L'un d'entre eux a un fils de mon âge qui a, lui aussi, des difficultés d'appart.»

Les squatteurs ne sont pas inquiets, ils pensent avoir respecté toutes les règles pour ne pas être hors-la-loi. «On a remarqué que le bâtiment était vide en janvier dernier, fait plusieurs passages. On a vérifié qu'aucun projet de réaménagement n'avait eu lieu depuis deux ans. Puis on a attendu qu'une fenêtre soit ouverte pour éviter de casser et d'entrer par effraction. Enfin, les mal logés vivent dans les lieux pendant plusieurs jours avant que le squat ne soit ouvert au public. L'idée c'est d'éviter d'être délogés par la force», raconte Ophélie, membre de Jeudi noir. Avec des sympathisantes d'Osez le féminisme, elle avait déjà travaillé sur des projets de squats engagés dans le but de dénoncer la précarité financière vécue par les femmes. D'après le Conseil économique, social et environnemental, 70% des travailleurs pauvres sont des femmes, donc plus exposées aux difficultés de logement.

Jean-Christophe, occupant et militant aux Effronté-e-s, reçoit un appel inquiétant : six voitures de CRS seraient stationnées à quelques mètres de là, rue de la Chapelle. Il reste optimiste : «Il est déjà 20h30, les expulsions sont interdites entre 21 heures et 6 heures du matin. Il suffit de tenir encore quelques minutes.» Le ministère du Logement serait de leur côté. Contactée par les militants, Cécile Duflot aurait œuvré pour retarder l'expulsion. Pourtant, plus les minutes passent, plus elle semble inévitable.

«C’est maintenant qu’ils se réveillent !»

Pascal Julien, adjoint au maire du XVIIIe, apprend alors qu'il existe le projet d'établir une Brigade d'assistance aux personnes sans abris (Bapsa) dans ces locaux en janvier prochain. L'élu peste : «C'est maintenant qu'ils se réveillent ! Il y a des années, j'ai proposé au maire d'y mettre une unité de police de quartier, un service de proximité dont nous avons besoin dans un quartier comme La Chapelle. Rien n'a été fait.»

A 21h15, une trentaine de CRS débarque en file indienne rue Queneau pour expulser les squatteurs du 18. Dans le stress, les trente occupants tentent de bloquer la porte en verre avec des barres de fer et des meubles de bureaux oubliés. Sans succès. Il faudra moins de dix minutes aux forces de l’ordre pour pénétrer dans le bâtiment. Entre palpations et prises d’identité, des CRS prennent le portable d’une jeune fille qui tente de filmer. Lorsqu’elle s’énerve, l’un d’entre eux la traîne sur le sol. La tension monte alors que les personnes présentes sont évacuées une à une. Léa se fait prendre à la gorge par l’un des CRS. Les réticents sont portés à l’extérieur. Ce seront les seules démonstrations de violence.

Six des occupants sont embarqués au commissariat de la Goutte d'Or pour être entendus. Seule la jeune Alice qui refuse de donner son smartphone, est gardée à vue. Il contiendrait des images compromettantes, d'après l'un des occupants. «Ce qui s'est passé cette nuit est injuste. Pour nous, cette expulsion après 21 heures est illégale», se désole Jean-Charles. La préfecture de police l'a quand même ordonnée. «L'occupation a été vécue comme une provocation, il ne fallait pas s'en prendre à un commissariat !», glisse un CRS.

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