La présidente du Front national Marine Le Pen le 19 juin 2017 à Hénin-Beaumont

La présidente du Front national Marine Le Pen le 19 juin 2017 à Hénin-Beaumont

afp.com/DENIS CHARLET

La journée de mardi s'annonce longue pour Marine Le Pen. Après des semaines à reculer l'expression des critiques internes qui émergent depuis son échec à la présidentielle, elle sait que le bureau politique du FN, convoqué mardi à Nanterre, sera l'occasion de régler quelques vieux comptes entre "patriotes". Signe de la nervosité ambiante, la présidente du parti a indiqué ce lundi, lors d'une conférence de presse, qu'elle "exigerait" de la part de ses troupes "courtoisie" et "camaraderie".

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Marine Le Pen avait promis au soir du second tour de la présidentielle une "refondation" de son parti après les législatives: "Ce débat, je vais l'organiser, je veux que nous puissions -et j'espère le faire d'ailleurs à la fin du mois de juillet- je souhaite qu'il y ait une forme de séminaire, avec des réunions de réflexion sur toute une série de sujets", a-t-elle dit lundi. "Nous devons nous poser la question de ce qui a bien marché, de ce qui a moins bien marché, de ce qui a créé des dynamiques et de ce qui a freiné des dynamiques, c'est notre obligation de le faire", a insisté la patronne du FN qui s'est dit "agacée" par les "petites prises de bec" qui ont émaillé la campagne des législatives.

Echange téléphonique musclé entre Marine Le Pen et Gilbert Collard

Une référence aux critiques émises ici ou contre son vice-président Florian Philippot mais aussi à la stratégie de celui-ci de lancer son propre mouvement, Les Patriotes, perçu en interne par certains comme une aventure personnelle. Gilbert Collard n'a pas attendu. Dès dimanche soir, il a indiqué publiquement se poser "des questions". "Et je vais les poser, croyez-moi", a-t-il insisté. Un avertissement qui, selon nos informations, lui a valu un échange téléphonique musclé avec Marine Le Pen plus tard dans la soirée.

Sur une ligne proche, Pascal Gannat, membre du bureau politique, entend mettre les pieds dans le plat. "J'aimerais qu'on m'explique comment on est passé d'une perspective de victoire au marasme, à l'échec qui nous est arrivé hier [dimanche] soir", se demande le président du groupe FN au conseil régional des Pays de la Loire. "C'est la ligne de Florian Philippot qui est une absurdité", clame auprès de L'Express ce cadre qui est l'un des seuls qui accepte d'en parler "on". Ce partisan de l'union des droites remet en cause la ligne "ni droite ni gauche" suivie par la direction du parti. "Il a manqué un débat qui n'a jamais eu lieu", regrette-t-il.

"Florian Philippot devrait remettre sa démission"

Selon lui, "Florian Philippot devrait remettre sa démission, à moins qu'il ne considère qu'il est un fonctionnaire inamovible". Pour lui, il est urgent de trancher le débat sur le positionnement du parti. "Si on ne se libère pas de cette hypothèque, on va perdre beaucoup d'adhérents", met en garde celui qui appelle aussi "à un fonctionnement plus horizontal et moins vertical". Mais l'élu ne va pas jusqu'à remettre en cause le leadership de Marine Le Pen elle-même. Si le débat d'entre-deux-tours a été raté, selon lui, c'est "parce qu'elle s'est retrouvée coincée dans une équation impossible" à expliquer des positions fluctuantes sur la sortie de l'euro.

"Économiquement, on a raison. Politiquement, on a tort, abonde l'eurodéputé Bernard Monot, spécialiste des questions économiques au FN. Il y a un rejet massif de deux Français sur trois au sujet de la sortie de l'euro et du Frexit." Ce membre du bureau politique préconise désormais un "nouvel axe stratégique" qui est de reprendre le contrôle par la France de son système bancaire via des accords intergouvernementaux sans pour autant sortir de l'euro. A rebours de ce qu'il défendait lors de la campagne, il estime désormais que dans un premier temps, la simple adaptation de certaines directives européennes "permet même d'agir tout en restant dans la politique monétaire commune".

La "ligne Philippot", "élément de langage de Jean-Marie Le Pen"

"Parce qu'une position n'est pas majoritaire dans l'opinion, on l'abandonne? Ça, je le dirai mardi" au bureau politique, confiait en campagne Florian Philippot à L'Express la semaine dernière. Parmi ses proches, on conteste l'existence d'une "ligne Philippot" autonome. "C'est un élément de langage de Jean-Marie Le Pen et d'une partie de l'extrême droite, la ligne dite Philippot, c'est la ligne de Marine", défend le secrétaire départemental de la Somme, Eric Richermoz. "Là où on a le plus d'élus à l'Assemblée, c'est là où le Front est resté sur sa ligne", défend-il. Sur six députés élus dimanche soir et appartenant au Front national, cinq le sont en effet dans le Nord-Pas-de-Calais. "C'est dans le bassin ouvrier que notre contre-performance est moindre", se réjouit ce proche de Florian Philippot.

Un verre que d'aucuns voient à moitié vide. "La stratégie nord-nordiste est opérante dans le Nord mais pas dans le reste du territoire", observe un proche de Marion Maréchal-Le Pen. Les bons résultats dans le Pas-de-Calais serait, selon lui, le "résultat d'un travail d'implantation de 10 ans". Mais "la stratégie de la présidentielle a laissé des traces dans l'électorat de droite". "Dans le Sud, une grande partie de nos électeurs sont allés à la pêche." Avec trois députés, dont un seul -Louis Aliot- a sa carte au FN, le parti réalise une contre-performance dans un territoire électoralement porteur.

"Entre la parlote dans les médias et la réalité..."

"La bonne gestion municipale à Hénin-Beaumont explique les élus dans le bassin minier, ajoute un membre du bureau politique. Dans cette région, les gens se foutent de la question de l'euro, dans un sens comme dans un autre. Mais ailleurs, c'est un frein." En perdant dans des circonscriptions pourtant favorables en Picardie et en Lorraine, les frères Philippot seraient, selon leurs contempteurs, les "premières victimes" de leur propre stratégie.

"Quand une équipe perd, il faut en changer", attaque un membre du bureau politique, sous couvert d'anonymat. "Rachline, les Philippot, Philippe Olivier [beau-frère de Marine Le Pen et conseiller de celle-ci]: la question de leur place à des postes exécutifs se pose", fulmine ce cadre. Le dira-t-il frontalement mardi? "Pas forcément", reconnaît-il. Car, c'est aussi une constante au FN, les cadres ont tendance à s'écraser face à la cheffe. "Entre la parlote dans les médias et la réalité...", relativise d'ailleurs Florian Philippot.

Jean-Marie Le Pen au menu

"Le bureau politique va être un grand monologue d'auto-satisfaction où Marine Le Pen va expliquer qu'avoir huit députés, c'est mieux que d'avoir les 45 que l'on espérait", anticipe un tenant de la ligne sudiste. "Elle va se réjouir que les députés aient gagné en duels et non pas en triangulaires. Deux ou trois vont lever la tête et elle va leur répondre qu'ils gâchent la fête."

Le seul dont on soit sûr qu'il ne se taira pas, c'est Jean-Marie Le Pen, qui s'invitera également. Celui qui a été rétabli comme président d'honneur du parti par une décision de justice à l'automne compte bien faire valoir ses droits à assister aux instances du parti. Pour le jour de son 89e anniversaire, il viendra donc avec huissier et avocat, même si sa fille a d'ores et déjà dit qu'elle ne le laisserait pas entrer quitte à payer des amendes. A défaut de pouvoir s'exprimer devant le bureau politique, Jean-Marie Le Pen s'exprimera devant les caméras. Oui, la journée de mardi s'annonce longue pour Marine Le Pen.

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