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Edito : Réchauffement climatique : peut-on aller contre l’Histoire ?

Même si elle était attendue, l’annonce par le Président Trump du retrait des États-Unis des accords de Paris conclus fin 2015 a provoqué une vague de consternation, d’indignation et de colère qui a déferlé sur toute la planète. 

Rappelons que cet accord, qui vient d’être dénoncé par le président américain, a été signé le 12 décembre 2015 au terme de 20 ans de négociations par 197 états et ratifiées par 147 d’entre eux. Il vise à tout mettre en œuvre pour limiter à 1,5° l'élévation moyenne de la température du globe par rapport à son niveau préindustriel. Bien que cet accord ne comprenne pas d’objectifs contraignants et ne prévoit pas de sanctions, il est fondamental car il traduit pour la première fois une volonté forte de la communauté internationale d’atteindre un objectif très ambitieux mais incontournable : parvenir à ramener l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre à un niveau proche de zéro au cours de la seconde moitié de ce siècle. Il s’agit, selon les termes mêmes de cet accord, de « parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques et les capacités naturelles d’absorption des sols, des forêts et des océans de notre planète ».

Dans le cadre de cet accord, véritablement adopté le 4 novembre 2016 et qui doit commencer à être appliqué en 2020, les États-Unis, deuxième émetteur de gaz à effet de serre après la Chine (15 % des émissions mondiales de CO2), s’étaient engagés à réduire d’au moins 26 % leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici 2025, par rapport à 2005.

Il est vrai qu’aujourd’hui, grâce notamment aux remarquables travaux du Giec, la réalité, l’ampleur et la rapidité du réchauffement climatique en cours n'acceptent plus le doute et sont devenus des phénomènes admis par la quasi-totalité de la communauté scientifique internationale. Et même si certains scientifiques débattent encore de la part exacte de la responsabilité humaine dans ce réchauffement climatique mondial, la très grande majorité des scientifiques qui travaillent à cette question ainsi que la plupart des responsables politiques de la planète s’accordent sur le lien de cause à effet très robuste entre l’explosion des émissions humaines de gaz à effet de serre - qui ont été multipliées par 10 en moins d’un siècle et atteignent à présent 50 milliards de tonnes d’équivalent CO2 par an - et le rythme inquiétant d’accélération du réchauffement climatique et de l’élévation général du niveau des mers observé depuis le début de ce siècle.

Le dernier rapport du Giec montre de manière incontestable que la température moyenne du globe a augmenté de 0,85 degrés centigrades entre 1880 et 2012. Les travaux du Giec montrent également que, depuis 1950, c’est bien l’explosion des émissions humaines de gaz à effet de serre - qui ont atteint leur plus haut niveau depuis 800 000 ans - qui est devenue le principal responsable de l’accélération de ce réchauffement climatique mondial. À cet égard, il est également démontré que ces trois dernières décennies représentent la période la plus chaude sur terre enregistrée depuis plus de 1400 ans. Il faut également souligner que plusieurs études convergentes ont montré que les fluctuations de l’activité solaire, si elles ont effectivement joué un rôle important dans les variations climatiques observées dans le passé, ne peuvent plus expliquer à présent plus de 10 % du réchauffement climatique.

Une étude publiée début 2016 par Robert Kopp, professeur adjoint au département des sciences de la Terre de l'Université Rutgers (USA), a montré de manière très fiable que le niveau général des mers était monté de 14 cm au cours du siècle dernier, c’est-à-dire plus qu’au cours des 3000 dernières années… Cette étude a également montré que, sans réduction drastique de notre consommation d’énergie fossile, ce niveau des mers risquerait de monter de 50 cm à 1,30 m d’ici la fin de ce siècle… 

2016, faut-il le rappeler, a été l’année la plus chaude jamais enregistrée depuis les premiers relevés de températures en 1880. Les conséquences de cette accélération du réchauffement climatique ne se sont pas fait attendre : la superficie de la banquise estivale du pôle Nord s’est réduite à 4,14 millions de kilomètres carrés, un niveau historiquement bas. L’Antarctique, pour sa part, a perdu 2 millions de kilomètres carrés par rapport à la moyenne d’évolution de sa superficie de 1985. Quant à la concentration atmosphérique de CO2, elle a dépassé pour la première fois la barre symbolique des 400 ppm (parties par million) soit une hausse de 40 % depuis la fin du XVIIIe siècle… 

Les affirmations du président américain et de son administration, selon lesquelles « le réchauffement climatique est un canular inventé par les Chinois » et les accords de Paris vont « pénaliser l’Amérique pour créer des emplois », ne résistent pas à une analyse sérieuse : le secteur des énergies renouvelables représente à présent au niveau mondial près de 10 millions d’emplois, en hausse de 40 % sur les cinq dernières années. Il est vrai que la barre symbolique des 2000 GW de puissance renouvelable a été franchie en 2016 et que depuis 2015, le monde ajoute chaque année davantage de capacité renouvelable qu’il n’ajoute de capacité dans les différentes ressources fossiles. Autre indicateur révélateur : au cours de ces cinq dernières années, la puissance éolienne mondiale installée a été multipliée par deux (487 gigawatts en 2016) et la puissance solaire installée par quatre (303 gigawatts en 2016).

Aux États-Unis, les emplois liées à l’installation des systèmes solaires photovoltaïques ne cessent d’augmenter et atteignent à présent 245 000 salariés. Quant au secteur global des énergies renouvelables, il emploie à présent près de 800 000 personnes aux USA, contre seulement 160 000 pour l’ensemble de l’industrie du charbon… 

Fait révélateur : la Chine qui a bien compris toute l’importance de cet enjeu énergétique et climatique s’est engagée à réduire d’au moins 60 % d’ici 2030 son intensité carbone par unité de PIB et à monter à 20 % la part des énergies renouvelables dans son bouquet énergétique à la même échéance. La consommation de charbon du géant chinois a d’ailleurs continué à baisser cette année pour la quatrième année consécutive et les émissions de CO2 de la Chine pourraient commencer à décroître dès 2018.

Pendant ce temps, l’administration Trump, avant de sortir des accords de Paris, avait déjà aboli le « Clean Power Act » prévoyant une réduction de 32 % des émissions de gaz à effet de serre des centrales à charbon américaines d’ici 2030. De l’avis de la plupart des économistes mais également d’une très grande majorité des patrons américains, cette mesure est non seulement désastreuse sur le plan écologique mais elle est également incompréhensible sur le plan industriel et économique car elle n’est pas susceptible de créer des emplois supplémentaires aux États-Unis et risque même de dégrader sérieusement la compétitivité américaine sur le marché mondial en plein essor des technologies propres. 

A contre-courant de ce repli américain, les deux nouveaux géants économiques mondiaux, l’Inde et la Chine, s’engagent plus que jamais dans la transition énergétique et vers l’économie à basse intensité carbone. A l’occasion d’un sommet qui s’est tenu le 2 juin dernier à Bruxelles, la Chine et l’Union européenne ont réaffirmé leur volonté commune d’accélérer la diminution des émissions de gaz à effet de serre, de réduire l’utilisation des énergies fossiles et de développer les énergies renouvelables. Pour la Chine, il ne s’agit pas seulement de réduire les atteintes à son environnement et la pollution atmosphérique très forte observée dans les grandes mégapoles chinoises, mais également de créer massivement de nouveaux emplois : 3,5 millions de Chinois travaillent déjà dans secteur des énergies propres et le gouvernement chinois fera tout pour créer 13 millions d’emplois nouveaux dans ce domaine d’activité économique d’ici 2020. Les autorités chinoises ont confirmé par ailleurs leur intention d’investir 344 milliards d’euros d’ici 2020 pour accélérer la décarbonisation de leur production d’énergie et faire en sorte que plus de la moitié de la gigantesque production d’électricité en Chine soit issue d’énergies propres au cours de la prochaine décennie.

En outre, en développant des compétences technologiques industrielles de pointe dans ce secteur stratégique des énergies vertes, la Chine, comme toujours, vise le long terme et compte bien prendre toute sa part dans le gigantesque gâteau économique que représente la mutation énergétique planétaire en cours. 

L’autre géant asiatique, l’Inde, n’est pas en reste et s’est également engagé dans une réduction massive du recours aux énergies fossiles et dans le développement des énergies renouvelables, notamment solaire, qui devrait représenter 175 GW de puissance installée d’ici 2022. De passage à Paris le 3 juin dernier, le premier ministre de l’Inde, Narendo Modi, a d’ailleurs réaffirmé que son pays irait au-delà des objectifs fixés par les accords de Paris et produirait au moins 40 % de son électricité à partir de sources d’énergies propres d’ici 2030. Pour atteindre cet objectif ambitieux, l’Inde, qui dispose d’un potentiel solaire exploitable immense, veut multiplier par 25 sa production d’électricité solaire d’ici 2025… 

De manière inattendue, ce retrait des États-Unis des accords de Paris suscite également une forte réprobation de la part du secteur pétrolier, gazier et charbonnier américain. Celui-ci est en effet tout à fait conscient que la sortie des accords de Paris est très mauvaise pour les affaires et les perspectives de reconversion énergétique. Il y a deux mois, le Conseil économique des entreprises pour les énergies renouvelables des États-Unis a d’ailleurs demandé officiellement au gouvernement américain de ne pas sortir de ces accords de Paris. 

Plus récemment, les principales entreprises américaines ont signé le manifeste « pour une économie américaine à faible empreinte carbone », en soulignant le fait que les accords de Paris allaient générer au moins 15 000 milliards d’euros d’investissements d’ici 2030, ce qui représente une formidable opportunité de business que les États-Unis doivent évidemment saisir ! C’est d’ailleurs pour les mêmes raisons d’opportunité économique et de développement de nouveaux marchés que même le géant du pétrole Exxon Mobil vient de voter à 62 % de ses actionnaires, le 31 mai dernier, une résolution reconnaissant la nécessité d’inscrire sa stratégie de développement industriel dans la perspective de la limitation à 2° du réchauffement climatique préconisée par la communauté scientifique internationale. Il est intéressant de souligner que ce pourcentage de 62 % est le même que la proportion d’Américains qui souhaitent que leur pays reste dans les Accords de Paris…

De manière très positive, cette décision de sortie des accords de Paris annoncée par le Président Trump n’a également fait que renforcer la détermination de la vingtaine d’États américains ayant déjà adopté des programmes de réduction locale de gaz à effet de serre, à accroître encore leurs efforts de lutte contre le réchauffement climatique. En pointe dans ce combat, on trouve notamment les puissants états de Californie et de New York qui visent une baisse de 40 % de leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à son niveau de 1990).

Mais les grandes mégapoles américaines ne sont pas non plus en reste dans cette lutte contre le changement climatique : Atlanta vise par exemple une réduction de 20 % de ses émissions de CO2 d’ici 2020, Washington de 50 % d’ici 2032 et Boston de 80 % d’ici 2050. Toutes ces initiatives locales, publiques et privées, se sont solennellement fédérées le 1er juin, dans une « Alliance pour le climat » qui regroupe, outre les états américains les plus peuplés, plus de 200 métropoles et une multitude d'entreprises, dont Amazon, Apple et Google. Le 5 juin dernier, cette Alliance a adressé une lettre ouverte aux Nations Unies, intitulée « Nous sommes toujours dans les Accords de Paris », dans laquelle elle réaffirme sa volonté et ses engagements en faveur d’une baisse drastique des émissions de CO2 d’ici 2030.

Comme une large partie des milieux d’affaires et la majorité des grandes entreprise américaines, déjà engagées dans la transition énergétique, l’ensemble de ces états et mégapoles – qui représentent plus du tiers de la population américaine et plus de la moitié des émissions américaines de gaz à effet de serre – a pris clairement le contrepied de la politique climatique et environnementale annoncée par le Président Trump et mise en œuvre au niveau fédéral. La portée réelle et finale de cette décision attendue du Président américain doit donc être relativisée. Il n'en reste pas moins vrai que cette sortie des accords de Paris va évidemment rendre plus compliquée et plus difficile l’atteinte des nouveaux objectifs internationaux en matière de réduction globale des émissions de gaz à effet de serre et de lutte contre le réchauffement climatique.

Unanimement condamnée sur le plan international mais également très fortement contestée sur le plan intérieur par l’Opinion publique américaine, les entreprises et les états les plus puissants du pays, la décision du Président Trump de sortir des accords de Paris risque donc de placer les Etats-Unis dans une position d’isolement politique et diplomatique et de combat d’arrière-garde, intenable à terme.

En outre, en refusant de voir la réalité du réchauffement climatique en face et d’anticiper la transition énergétique mondiale inévitable, les Etats-Unis ne se mettent pas dans la situation la plus favorable pour devenir les leaders technologiques et industriels sur le fabuleux marché mondial que va représenter d’ici 2050 la mutation énergétique et les « green techs ».

Enfin, plus qu’une dramatique erreur d’appréciation politique, économique et technologique, cette décision du Président Trump est une faute morale majeure car elle revient pour les Etats-Unis à nier leur responsabilité et leur rôle de grande nation dans cet enjeu décisif que représentent pour notre génération et les suivantes la maîtrise du changement climatique planétaire en cours et la transition énergétique qui en découle. De la même manière qu’un dirigeant éclairé ne peut pas durablement gouverner contre son Opinion publique, il ne peut pas non plus aller contre le sens de l’Histoire, surtout lorsqu’il s’agit de l’intérêt supérieur de la planète et de l’avenir de toute l’Humanité.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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