[Entretien] "Gravity devrait redonner de la croissance aux médias traditionnels" estime le consultant Jérôme Colin

Mouvements tous-azimuts chez les éditeurs, avec Gravity la co-entreprise réunissant plusieurs médias oula signature de l'accord entre Le Monde et le Figaro. 

Si ces rapprochements visent à réduire l'influence de Google et de Facebook, qu'en sera-til vraiment ? 

Directeur-associé chez Emerton où il est co-responsable de la branche Digital, Jérôme Colin nous livre son analyse. 

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[Entretien]
Avec le numérique, les éditeurs de presse créent de nouvelles alliances.

L’Usine Digitale : Plusieurs entreprises du secteur des médias ont annoncé récemment des alliances. Cela est-il de nature à peser sur les géants que sont Google et Facebook ? 

Jérôme Colin : Peser sur eux c’est difficile à dire. Vu depuis Google et Facebook, ce ne sera pas un changement radical du rapport de force. Mais cela ne veut pas dire que ces opérations n’ont pas d’intérêt. A eux deux, ils représentent les deux tiers de la publicité numérique et depuis plusieurs années, la quasi-intégralité de la croissance du marché publicitaire numérique allait directement dans la poche de ces plateformes numériques. Avec la création de Gravity, les médias traditionnels devraient reprendre une part de la croissance, ce qui va ralentir la montée en puissance des deux géants.

 

Gravity réunit des entreprises pour commercialiser des données. Quelle gouvernance faut-il pour cette nouvelle structure ?

Ce n’est pas le plus simple dans cette opération. Les médias réunis dans cette entreprise annoncent qu’ils vont mettre en commun leurs données pour les vendre aux annonceurs et aux agences médias. L’opération porte sur les données, pas sur les inventaires publicitaires. Le premier défi est de réussir à bien séparer les deux. Désormais, la data sera commune mais les régies restent séparées : l’intérêt commun pour que cela réussisse est très fort mais cela risque de créer des problèmes internes de concurrence entre les revenus des données et les revenus publicitaires. Ensuite, il faut que l’alliance soit ouverte, qu’elle puisse accueillir de nouveaux membres.

 

Ce qui est beaucoup moins évident c’est de savoir comment sera partagée la valeur. L’originalité de cette alliance est qu’elle mêle des médias et des entreprises comme Fnac Darty ou SoLocal qui possèdent des données sur les intentions ou les comportements d’achat. Ces données ont beaucoup de valeur, d’autant que peu d’entreprises possèdent ce genre d’informations. Comment va se faire la rémunération ex post des différentes parties prenantes de Gravity ? Peut-on rémunérer de la même façon la donnée qualitative d’un quotidien ou magazine et celle de SoLocal (le nom des anciennes Pages Jaunes, NDR) ? La réponse est négative pour moi, car toutes les données n’ont ni le même degré de rareté ni la même valeur : il faut imaginer un mécanisme qui rémunère non la quantité mais l’impact des données.

 

Dans Gravity, on note l’absence de TF1, du Monde, de Figaro… Que vaut une alliance sans les leaders ?

Il n’y pas  Le Monde ou Le Figaro, mais il y a les Echos qui sont aujourd’hui un groupe puissant, très avancé dans l’innovation numérique. Parmi les membres de Gravity, vous avez un très bel échantillon. Lagardère ce sont des magazines, avec Elle par exemple. M6 est très avancé aussi sur le digital… Au total, les entreprises réunies de cette façon recoupent pas moins de 40 % de la population française et ils annoncent vouloir arriver à 60 % prochainement. Ils ont la taille critique pour se mettre au niveau de Facebook et Google en France. D’autant que cette alliance est très diversifiée et promet donc de réunir des datas complémentaires entre du professionnel avec les Echos, du thématique avec les magazines de Lagardère ou du local avec les titres de la presse locale. Ils ont une capacité à suivre les parcours des utilisateurs. Il faut comprendre qu’une telle alliance a pour but d’aller chercher la valeur perdue et non de concurrencer frontalement Google et Facebook. Si on ne tient pas compte de cela, on rate l’essentiel.

 

La force des médias réunis est aussi qu’ils offrent aux annonceurs et aux marques un environnement premium, sécurisé. Ils assurent ce qu’on appelle de la brand safety. L’annonceur qui paie sait que son annonce sera insérée dans un environnement de qualité, ce que Google ou Facebook n’offrent pas toujours.

 

Pensez-vous que TF1 puisse faire bande à part ?

Ils peuvent créer un concurrent à Gravity avec d’autres médias. Ils sont d’ailleurs impliqués dans une alliance européenne. Leur première problématique est la valorisation de la publicité sur leurs différentes chaînes, sur la TV à la demande,…, ils n’ont donc pas tout à fait le même agenda que les médas issus de la presse.

 

Dans ce paysage, quelle place occupe l’alliance entre le Figaro et le Monde ?

Leur démarche est différente. Ils ne mettent pas en commun leurs données comme les créateurs de Gravity, qui se placent plutôt sur la publicité de transformation (qui crée du traffic, des ventes en ligne de façon très directe). L’accord entre les deux quotidiens porte plutôt sur la publicité de notoriété (l-branding). Ils proposent des formats simples au marché avec des inventaires de qualité, des inventaires premium.

 

Avec le numérique, la publicité est devenue un environnement très complexe, avec une multiplication des intermédiaires techniques. On considère que pour un euro dépensé par l’annonceur seulement, 40 centimes arrive chez l’éditeur.

 

Ce que promet l’alliance du Figaro et du Monde c’est plus d’impact pour les euros dépensés par les annonceurs et une meilleure lisibilité sur cet impact.   

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