Lors des élections présidentielles de vendredi, les Iraniens vont devoir choisir entre la tendance ultra conservatrice de Raïssi et la modération de Rohani.
Vendredi 19 mai, les Iraniens vont choisir leur nouveau président, si ce n’est réélire le même. Sur les 16 000 candidatures initialement déposées, une demi-douzaine ont été avalisées par le Conseil des Gardiens de la Révolution. Deux figures phares se dégagent de la campagne : le dirigeant sortant Hassan Rohani et le religieux Ebrahim Raïssi, un ultraconservateur. Pour Djamchid Assadi, le professeur-chercheur à la Burgundy School of Business et spécialiste de l’économie de rente en Iran :
“C’est un combat entre une tendance pragmatique, qui cherche l’entente avec la communauté internationale, et une ligne plus agressive, “révisionnaire”, qui pourrait provoquer certaines tensions avec l’occident en cherchant à défendre ses valeurs.”
Depuis le retrait du maire de Téhéran, qui s’est rangé derrière Raïssi lundi 15 mai, la compétition se joue entre les deux têtes d’affiche. Si tous les présidents ont effectué deux mandats depuis la création de la -jeune- République Islamique d’Iran, Hassan Rohani n’est pas certain d’être réélu dès vendredi, mais quasiment sûr de l’emporter en cas de second tour.
Boycott et divisions
Le mode de scrutin n’est pas la garantie d’un processus démocratique: tous les candidats en lice ont été validés par les instances du pouvoir : pas de femme, de dissident, ni même Ahmadinejad, dont le dossier a été refusé. Dans la capitale, les jeunes sont divisés sur la position à adopter. Aidin, architecte à Téhéran, résume la situation :
“Beaucoup pensent que le président actuel n’a pas accompli assez, par rapport à ce qu’il avait promis il y a quatre ans. D’autres estiment qu’il a fait de bonnes choses et qu’on devrait lui donner quatre années supplémentaires pour terminer sa mission. »
Des hooligans conservateurs défilent dans les rues à moto et lancent de grands coups de klaxon. “Ils veulent nous impressionner”, minimise Aidin. “Ces élections sont une bataille pour l’avenir du pays. Il faut choisir la bonne personne, pour que la stabilité continue et que la société continue à s’ouvrir.”
Désabusés, certains appellent à boycotter le scrutin. “J’ai abordé le sujet avec les jeunes du Nord de Téhéran, raconte Samuel, étudiant franco-iranien vivant à Paris. Alors qu’ils sont plutôt occidentalisés, ils ne savent pas s’ils vont aller voter.” Lui-même hésite à se rendre à l’ambassade de la rue d’Iéna pour glisser un bulletin dans l’urne.
“Lors des élections de 2009, avec le mouvement vert, l’espoir s’est cristallisé. Il y avait un changement possible. Désormais, il y a beaucoup de lassitude. Les gens pensent que rien ne changera, que le régime est indémontable.”
Un bilan en demi-teinte
Loin d’entraîner l’adhésion, le bilan du chef de l’état divise. “ Il y a eu des améliorations, souligne Aidin. Les sanctions économiques ont été allégées, l’Iran vend plus de barils de pétrole qu’auparavant et le pays a pu acheter de nouveaux avions.” L’accord sur le nucléaire iranien a permis la levée d’une partie des sanctions économiques et l’arrivée d’entreprises occidentales sur le marché.
Djamchid Assadi se montre plus critique à l’égard du régime:
« Les contacts avec les Américains pour résoudre le problème du nucléaire avaient déjà été pris sous Ahmadinejad. Et si l’on vend plus de barils de pétrole aujourd’hui, leur prix a largement baissé”.
Le chômage atteint les 12% et l’inflation grimpe. Les milliards de dollars d’investissements attendus par l’ouverture à l’occident tardent à arriver.
Le poids des conservateurs
Malgré un Parlement acquis au président, celui-ci n’a pas une grande marge de manœuvre. Récemment, le Conseil des Guides a annulé la participation du pays au programme d’éducation UNESCO 2030, un document donnant des directives en matière de droit des femmes, d’égalité et d’enseignement. “Les conservateurs préfèrent que la société demeure fermée”, se désole Aidin.
“Le pouvoir est entre les mains des Gardiens de la Révolution, admet Djamchid Assadi. Ceux-ci sont conservateurs par conviction ou intérêt : il faut savoir que certains se sont enrichis grâce aux sanctions.” L’Ayatollah Ali Khamenei restreint également les initiatives de l’exécutif. “Certaines choses n’ont pas changé sous Rohani, il y a toujours des journalistes en prison. Il n’a pas entamé la transition démocratique”.
En 2013, les médias occidentaux voyaient dans l’élection du diplomate le retour des modérés et réformateurs au pouvoir. “Contrairement à ce que l’on dit de lui dans la presse française, Rohani n’est ni un réformateur ni un démocrate”, souligne le spécialiste de l’économie iranienne. “Il n’est pas le Gorbatchev de la République Islamique”, prêt à faire tomber le système de l’intérieur. « Le pays a perdu ses ambitions, se désole celui qui ne donnera sa voix à personne. Il ne faut pas se contenter du choix entre les deux candidats en tête. L’Iran mérite mieux que Rohani.«