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EnquêteGrands projets inutiles

Paris promet des Jeux olympiques écolos. Vraiment ?

Alors que le Comité international olympique débute sa visite de Paris ce week-end, une poignée de citoyens proteste contre la candidature de la capitale à l’organisation des Jeux olympiques. Selon eux, il s’agit d’un grand projet inutile, quand le comité de candidature estime préparer les Jeux les plus verts de l’histoire. Qu’en est-il ? Enquête.

« 100 % de matériaux biosourcés » pour les constructions, « 100 % d’énergie verte » pour alimenter l’événement, « 100 % d’alimentation durable et certifiée » pour les repas des athlètes, 100 % des déplacements effectués en « transports propres » : le comité de candidature de la ville de Paris pour les JO 2024 se donne à « 100 % » pour convaincre que les jeux olympiques et paralympiques qu’il organisera seront durables. « On veut les Jeux les plus verts qui n’aient jamais été faits », résume Isabelle Autissier. L’ex-sportive, désormais présidente du WWF France, est aussi à la tête du comité d’« excellence environnementale » de Paris2024.

Seules deux villes sont encore candidates pour l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 : la capitale française, donc, et Los Angeles, aux États-Unis. Afin de départager les candidats, une délégation du Comité international olympique (CIO) effectue une dernière visite officielle. Cette semaine, elle était chez la concurrente américaine. À partir de ce samedi et jusqu’au 17 mai, elle vient tâter le terrain à Paris. Puis le CIO se prononcera le 13 septembre 2017. La victoire de Paris paraît probable, alors que la rumeur indique que le CIO pourrait finalement annoncer que les deux villes remportent la mise : l’une pour 2024, l’autre pour 2028.

Parmi les stratégies pour se démarquer, la ville de la tour Eiffel a notamment décidé de jouer la carte du développement durable. Mais elle ne convainc pas tout le monde. « Sauf à croire au père Noël, c’est impossible que des Jeux soient écologiquement responsables », estime Frédéric Viale, membre du collectif Non aux JO 2024 à Paris. Lancé par une page Facebook, ce collectif d’une cinquantaine de personnes rassemble quelques militants écolos ou du Parti de gauche, mais aussi des citoyens qui ne s’étaient jamais spécialement engagés. Après une pétition qui a recueilli plus de 19.000 signatures pour l’instant, ils ont décidé d’organiser un rassemblement ce samedi après-midi place du Châtelet, afin d’accueillir eux aussi à leur manière le CIO.

« Le groupe des élus écologistes s’était au départ plutôt positionné contre la candidature, reconnaît Celia Blauel, maire adjointe EELV de Paris, en charge du Développement durable. Mais à partir du moment où le conseil de Paris a voté en faveur de cette candidature, j’ai considéré qu’en tant que maire adjointe, il fallait que j’accepte de mettre les mains dans le cambouis. Les JO sont un moyen d’accélérer les projets de la ville de Paris, comme le fait de rendre la Seine baignable. » Du côté du WWF, l’argument est sensiblement le même. « Le comité de candidature est venu me voir, on était un peu surpris, mais on a accepté, car on s’est dit que les Jeux mobilisent beaucoup de gens, c’est l’occasion de faire passer un message », raconte Isabelle Autissier.

« Nous ne voulons pas construire d’éléphants blancs » 

C’est donc l’ONG qui, dans son rapport sur la candidature de Paris, a suggéré d’inclure l’objectif fixé par l’accord de Paris sur le climat : ne pas dépasser les 2 °C de réchauffement climatique. Les calculs ont abouti à un objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport aux JO de Londres de 2012.

Pour l’atteindre, Paris promet d’abord d’éviter les constructions somptuaires qui tombent en ruine une fois les Jeux terminés. Le contre-exemple cité est celui des jeux de Rio, où six mois après la fin de l’événement, les infrastructures sont déjà abandonnées et dégradées. Le comité de candidature affirme que le seul bâtiment construit spécifiquement pour les Jeux sera le centre aquatique, non loin du stade de France, à Saint-Denis (93). « Et il correspond à un vrai besoin du territoire, car beaucoup d’enfants ne savent pas nager en Seine-Saint-Denis », assure Jérôme Lachaze, responsable du développement durable au sein du comité de candidature. « Nous ne voulons pas construire d’éléphants blancs. » Le reste consiste en des aménagements temporaires, ou dans la rénovation de sites existants. Quant au village olympique, il sera transformé en appartements après les jeux. « 90 % des infrastructures sont déjà existantes », insiste Isabelle Autissier.

Mais dans le détail, l’affaire est plus compliquée. C’est « silence radio sur une nouvelle Arena de 8.000 places qu’il va falloir construire dans le parc de Bercy, jouxtant celle existante alors qu’elle peine déjà à faire le plein », averti le collectif Non aux JO 2024. La candidature compte également sur l’agrandissement de Roland-Garros, qui a déjà entraîné la destruction d’une partie des serres et des arbres du Jardin botanique d’Auteuil. « La candidature aux JO sert aussi d’accélérateur des projets du Grand Paris, sans réflexion approfondie et sans consultation », regrette Frédéric Viale, du collectif. « Par exemple, le rapport Auzannet de 2012, remis à Cécile Duflot quand elle était ministre, préconisait de réaliser les lignes de transport du Grand Paris Express plutôt à l’horizon 2030. Mais juste avant l’annonce de la candidature aux JO, il a été annoncé que les lignes seraient terminées d’ici 2024. » Or, une partie de ces lignes ne seraient pas forcément profitables aux Franciliens, estime le collectif, mais plutôt aux grandes infrastructures comme Europacity. Ce projet de centre commercial et de loisirs consommera 80 hectares de terres agricoles au nord de Paris. Il doit être desservi par des gares du Grand Paris Express : qu’elles soient terminées plus tôt que prévu devrait arranger le promoteur.

Sur tous ces sujets, la défense du comité de candidature est la même : JO ou pas, ces projets se feront. « Europacity est un grand projet inutile, estime Celia Blauel. Mais le lobby était là avant la candidature. »

Le comité de candidature a aussi prévu une gestion écologique de l’événement lui-même. Les spectateurs se déplaceront uniquement en transports en commun et vélos, tous les sites proposeront une collecte et un tri des déchets minutieux, tout ce qui sera proposé sur les sites olympiques sera réalisé en matériaux recyclables ou compostables afin d’atteindre le zéro déchet. « On veut sortir de l’écologie punitive pour une écologie positive, inciter les spectateurs à s’engager dans une expérience durable », complète Jérôme Lachaze. Que fait-il des spectateurs qui viendront en avion ? « Moins d’un quart des spectateurs viendront de cette manière. Paris est à moins de 4 heures de train de nombreuses grandes villes d’Europe. Et puis, c’est déjà la première destination touristique mondiale. Le trafic aérien ne va pas forcément augmenter. » Le comité de candidature se félicite par ailleurs d’avoir prévu un budget dédié à la compensation carbone des jeux. « On ne dit pas qu’il n’y aura pas d’impact négatif, admet Jérôme Lachaze. Mais on va faire en sorte que le projet soit le plus climato-compatible possible. »

« On forcera Coca-Cola à changer un peu son modèle »

« Trois millions de personnes vont venir à Paris, qui compte 2 millions d’habitants, pendant 15 jours. Ce n’est pas possible que l’impact écologique soit neutre, conteste Frédéric Viale. Par ailleurs, pour tous les jeux le CIO demande la même chose : une loi spéciale qui permette de déroger aux lois sociales et environnementales du pays le temps des jeux. Pour ne pas avoir à payer si, par exemple, il y a des problèmes de pollution », dénonce-t-il. Parmi les partisans de la candidature, l’affirmation étonne. Il y aura bien une loi olympique, « mais on n’est pas dans un logique de dérogation environnementale », assure Jérôme Lachaze. En tout cas, il semble bien qu’il soit déjà prévu que cette loi exonère les JO de taxes et d’impôts, mis à part la TVA.

Autre question sensible, celle des sponsors. Parmi les partenaires de la candidature, on trouve Air France, Aéroports de Paris, Bouygues construction, BNP Paribas ou Suez. « Il y avait des entreprises blacklistées, notamment celles travaillant dans le pétrole ou l’énergie nucléaire, indique Jérôme Lachaze. Mais c’est vrai qu’on n’avait que deux ans pour préparer la candidature. On s’est appuyés sur des entreprises qui pouvaient nous apporter leur expertise et financer une partie du coût de la candidature. » « Suez, Bouygues, on a l’habitude de travailler avec eux à la ville, ils connaissent nos objectifs et on discute d’égal à égal », rassure Célia Blauel.

Elle est plus inquiète concernant les sponsors qui pourraient arriver pendant les Jeux, si Paris remporte la mise : « Par exemple, Coca-Cola, on va leur expliquer que nous mettrons des fontaines Eau de Paris, qu’ils le souhaitent ou pas. » « On les forcera à changer un peu leur modèle, parce que justement, c’est les JO », espère Jérôme Lachaze, du comité de candidature.

Reste que pour les opposants, tous les ingrédients d’un grand projet inutile sont là : construction d’infrastructures importantes, coûts qui seront difficilement maîtrisés (le collectif Non aux JO a calculé un dépassement de 5 milliards d’euros, car les dépenses de sécurité et celles dues à l’accélération des travaux n’ont pas été incluses dans le budget), manque de consultation de la population (la maire de Paris, Anne Hidalgo, avant les élections, disait ne pas vouloir des JO).

« Dans ce cas, vous faites quoi avec l’ensemble des projets sportifs et artistiques ? On arrête les festivals et les grandes manifestations sportives ? Une des fonctions du sport et de la culture est de réunir les gens dans un même lieu. Autant le faire intelligemment », répond Isabelle Autissier.

Pour trancher, le collectif Non aux JO 2024 à Paris demande un référendum local sur la candidature.

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