PS, Whigs américains, Liberals britanniques... les grands partis meurent aussi

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PS, Whigs américains, Liberals britanniques... les grands partis meurent aussi

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François Mitterrand et Pierre Mauroy à Lille en janvier 1973.
François Mitterrand et Pierre Mauroy à Lille en janvier 1973.
© AFP - Ho

PREVIOUSLY. Avec 33 élus au second tour des législatives, le PS rejoint au cimetière des éléphants 4 autres grands partis moribonds : les Whigs américains, les Liberals britanniques, les conservateurs canadiens et les démocrates-chrétiens italiens. A partir de 4 constantes, Charles Mack a modélisé ces morts.

Avec moins de quarante députés élus au second tour des législatives le 18 juin (33 selon les estimations à 21h15), le PS n'a créé aucune surprise sur le fil. La défaite qui s'annonçait au premier tour, une semaine plus tôt, s'est confirmée.

Le 11 juin, le Parti socialiste s'était classé cinquième au niveau national, moribond. A l’image de son Premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, éliminé dès le premier tour à Paris, tout comme le candidat socialiste à la présidentielle, Benoît Hamon. Le parti issu du congrès d’Epinay, en 1971, a vécu. Il n'a même jamais été aussi près de rejoindre quelques autres grands partis décimés par l'histoire.

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Son effondrement n'a rien de foudroyant : le bilan de santé n'est pas brillant depuis une décennie déjà. Dans un article publié dans la revue Esprit, en 2015, le politiste Frédéric Sawicki montrait par exemple ce que la formation de la rue de Solférino avait perdu ces dernières années :

  • en nombre d’élus
  • en argent (et cela, avant qu’on apprenne que les subsides de l’Etat, indexés sur les législatives, seraient divisés a minima par cinq)
  • en pouvoir d’influence vis à vis d’un Exécutif pourtant ironiquement dirigé par un ancien Premier secrétaire

A mi-mandat pour François Hollande, Frédéric Sawicki faisait cet état des lieux dans "PS : un parti en ordre de bataille mais sans bataillons" :

Depuis 2012, le parti a perdu plus du tiers de ses mairies (soit 162 communes de plus de 9 000 habitants), près de la moitié de ses conseils départementaux (de 61 à 34 présidences pour un total de 927 élus au lieu de 1 450), la majorité au Sénat, ainsi qu’au moins un tiers de ses adhérents [...] Dans le Nord par exemple, dont nous avons pu consulter les données, l’une des plus importantes fédérations du parti, particulièrement éprouvée par les défaites aux élections municipales et départementales, le PS comptait 7 376 cotisants au 1er janvier 2015, mais un tiers d’entre eux (2 537) n’ont toujours pas à ce jour réglé leur cotisation 2014 et devraient donc être normalement radiés au 1er janvier 2016.

L'histoire et la comparaison internationale en grille de lecture

Cette fois, l’avis de décès semble inéluctable avant même la proclamation des résultats du second tour des législatives, où si peu de candidats PS sont parvenus à se hisser. Dans le monde académique, un modèle théorique permet de penser cet effondrement du PS au regard de l’histoire politique. Il est signé d’un auteur américain peu connu en France où il n’est pas traduit, Charles Mack. Mack fait figure d’OVNI en France où les travaux académiques croisant perspective historique de long cours et comparaison à l’échelle du globe sont portion congrue. Ancien lobbyiste des Républicains aux Etats-Unis, il ne fait pas non plus partie du sérail outre-atlantique, puisqu’il a fait sa thèse, consacrée à la mort des grands partis, à 70 ans passés.

C’est Simon Labouret, alors en thèse auprès du politiste Pierre Martin, qui a signalé à son directeur de thèse ces travaux qui prendront en 2010 la forme d’un livre, When political parties die. Labouret le rencontre et puise dans les travaux de Mack pour sa thèse, soutenue en 2014 et consacrée au réalignement. C'est-à-dire, à ces moments de césure de la vie politique où l’on renverse la table pour basculer d’un ordre électoral à un autre, modifiant les rapports de force électoraux et le système partisan.

Quatre constantes avant l'acte de décès

Charles Mack a d'abord travaillé à partir des cas de trois partis hégémoniques ayant rejoint le cimetière des éléphants dans l’histoire. De ces partis que Pierre Martin qualifie de " grands partis de gouvernement" et dont nous montrions dans un article précédent qu'ils avaient émergé, en tant que tel, en 1962 et 1981 en France :

  • les Libéraux, en Grande-Bretagne, au début du XXème siècle
  • le Parti conservateur canadien, dans les années 1990
  • les Whigs aux Etats-Unis, qui s'effondrent au milieu du XIXème siècle

Plus tard, au moment de sortir le livre issu de sa thèse, Mack ajoutera un quatrième cas : la démocratie chrétienne italienne, dans les années 90. Mack a identifié des constantes à partir de l'analyse de ces quatre épisodes d'effondrement.

Le pacifiste français, ex-socialiste, Aristide Briand, et Lloyd George, Premier ministre britannique liberal, en 1921.
Le pacifiste français, ex-socialiste, Aristide Briand, et Lloyd George, Premier ministre britannique liberal, en 1921.
© AFP - Archives Snark / Photo12

1. Morts au pouvoir

A chaque fois, la mort d’un grand parti est ainsi intervenue alors que le parti sortait tout juste de l’exercice du pouvoir. Avec d’ailleurs des majorités historiques. Ce sera le cas, cette fois-ci, avec le PS qui était sorti conforté de 2012, notamment grâce à un mode de scrutin majoritaire à deux tours qui tend à favoriser le vainqueur.

Les Whigs américains, eux, avaient connu le déclin après un bref âge d'or qui avait donné quatre Présidents des Etats-Unis entre 1841 et 1853. La démocratie américaine n'en est alors qu'à ses balbutiements : le tout premier Président à porter les couleurs des Whigs à la Maison blanche est Harrisson, neuvième Président des Etats-Unis.

Tract pour un meeting des Whigs aux Etats-Unis
Tract pour un meeting des Whigs aux Etats-Unis
- Wikicommons

A REDECOUVRIR : Quand Mitterrand disait : "Celui qui n'accepte pas la rupture avec la société capitaliste n'est pas socialiste"

2. Faillite du leadership

A chacune de ces fins de règne, le sort du parti est également entaché d'erreurs de leadership importantes. Pour l'essayiste américain, le leadership de chacun de ces partis s’est révélé dans l’incapacité de prendre la mesure de clivages sociaux ou géographiques décisifs, qui ont coupé le parti de son assise électorale.

Lorsque les Libéraux s’étaient effondrés en Grande-Bretagne, l’électorat libéral s’était ainsi disloqué :

  • les classes moyennes et les plus aisées avaient rejoint l’électorat du parti conservateur Tories
  • les plus populaires s’étaient rangées derrière le Labour, qui s’est construit comme grand parti de gouvernement sur les cendres des Libéraux

Le parcours du leader travailliste historique à la Chambre des Communes outre-Manche est éclairant de ce point de vue : Hardie a d'abord soutenu les Liberals avant de fonder le Labour party après une série de réunions syndicales, entre 1900 et 1906. Cette année-là, le tout jeune parti travailliste en cours de construction propulsait deux candidats aux élections locales, dont Keir Hardie.

Campagne électorale pour Keir Hardie, premier député Labour au Parlement britannique.
Campagne électorale pour Keir Hardie, premier député Labour au Parlement britannique.
- Wikicommons

Par la suite, le bipartisme structurel outre-Manche a rendu plus sensible encore la chute des Liberals qui, se classant troisième force nationale à partir des années 1920, ont drastiquement perdu de l'importance. Depuis, les "LibDems" ont pris la suite du Liberal Party mais sans jamais parvenir à redevenir hégémoniques.

Le 14 septembre 2015, Culture monde s'interrogeait à partir de l'exemple britannique : " Existe-t-il toujours une gauche traditionnelle en Europe ?"

Simon Labouret analyse l’échec du PS à travers ce filtre :

Le PS a connu d’autres défaites historiques. 1993 en était une, par exemple. Mais le parti socialiste s’est alors aliéné ses électeurs périphériques. Le noyau sociologique et les bastions géographiques avaient tenu. Le PS s’était maintenu dans les grands centres urbains, dans des départements comme l’Arrière, le Nord, dans les régions du Nord-Pas-de-Calais ou du Limousin. Il n’avait pas perdu toutes les banlieues populaires, ne s’était pas coupé de l’électorat des fonctionnaires. Cette fois, on observe un transfert massif d’électeurs vers d’autres alternatives.

3. La concurrence d'un nouveau joueur

Troisième constante identifiée par Mack : la mort d’un grand parti coïncide avec l’apparition d’une offre nouvelle. C’est l’arrivée de nouveaux partis qui siphonne ce noyau électoral qui avait tenu aux défaites précédentes. Et qui fait la différence.

En 2017 en France, la nouvelle offre électorale s’est dédoublée à l’amorce de la campagne présidentielle. D’un côté, Emmanuel Macron avec “En marche” ; de l’autre, Jean-Luc Mélenchon avec la France Insoumise, un mouvement nouveau même si l'ancien sénateur PS Mélenchon, à titre personnel, n'incarne pas le renouvellement. Ces deux mouvements sont parvenus à drainer le PS jusqu’à son noyau, par exemple dans les grandes agglomérations, restées jusque-là acquises au parti socialiste malgré les revers électoraux.

Un bref coup d'oeil à la carte des résultats de premier tour, le 11 juin au soir, à Paris, est ainsi saisissante : "La République en marche" et "La France insoumise" parviennent à se hisser au second tour dans des bastions historiques des grands partis traditionnels, par exemple dans le XVIème (tenu par le LR Goasguen) ou dans le XIXème (où le Premier secrétaire socialiste Cambadélis ne s'est pas qualifié pour le second tour).

Affiche de campagne pour le Labour Party, en 1935
Affiche de campagne pour le Labour Party, en 1935
© AFP

Au Canada, l’électorat du parti conservateur progressiste s’était fractionné entre le Bloc Québécois d’un côté, et le Reform party, dans le reste du Canada, anglophone.

Le Bloc Québécois était alors une toute nouvelle offre politique, puisque sa création remonte seulement à 1991. Au Québec, c'était alors le seul parti représentant les indépendantistes sur la scène politique fédérale. Le Reform party, de son côté, émerge en 1987 dans la partie occidentale (et anglophone du Canada), et fait sa place sur le flanc droit de l'échiquier politique canadien. Il a ensuite fusionné avec le parti conservateur, dans un mouvement de renouvellement profond, souligne Simon Labouret :

On a vu apparaître une nouvelle élite, avec de nouveaux visages. Et un changement de paradigme. Par exemple, la conquête du Québec, un acte stratégique majeur des années 80, est passée au second plan.

Redécouvrez par ici une émission consacrée à l'histoire du Québec, tirée des archives de "Concordance des temps", diffusée le 24 novembre 2012 sur France Culture :

En Italie, Forza Italia s’est construit sur les décombres de la démocratie chrétienne, vérolée par la corruption et détruite électoralement après la disparition de son ennemi historique, le Parti communiste.

4. Divisions internes

A chaque fois, Mack identifie également un parti tiraillé entre des lignes irréconciliables. Un symptôme flagrant le soir du premier tour de la primaire à gauche, avec Manuel Valls et Benoît Hamon en lice pour représenter le même parti.

Manuel Valls et Benoît Hamon entourent Jean-Christophe Cambadélis, à l'issue de la primaire de la gauche le 29 janvier 2017.
Manuel Valls et Benoît Hamon entourent Jean-Christophe Cambadélis, à l'issue de la primaire de la gauche le 29 janvier 2017.
© AFP - Eric Feferberg

A l'été 2005, Agnès Chauveau, sur France Culture, avait pris le prétexte des cent ans du Congrès de Tours pour revenir durant deux heures sur l'histoire du socialisme :

Cent ans de socialisme, 2ème partie, 1/2, "Radio libre" le 14 août 2005 sur France Culture

1h 03

Cent ans de socialisme, 2ème partie, 2/2, le 14 août 2005 sur France Culture

57 min

Là encore, le sort du PS n’est pas atypique si on se souvient des divisions programmatiques fortes au sein des libéraux britanniques, au sortir de la Première guerre mondiale. Simon Labouret identifie là encore des erreurs de leadership :

Au Canada, les conservateurs progressistes se sont révélés incapable de faire tenir ensemble le parti qui s’est ancré très fortement dans le Québec, quitte à s’aliéner toute une partie du pays, en l’occurrence son flanc Ouest.

En France, le PS est depuis longtemps divisé en plusieurs familles. Il y avait une aile gauche, avec le Ceres de Jean-Pierre Chevènement ou, plus récemment, Benoît Hamon et Arnaud Montebourg ; une aile droite, avec Dominique Strauss-Kahn ou Manuel Valls ; et un centre, dont on remarque qu’il a toujours gouverné. Le centre a réussi à rester au pouvoir au prix d’une distorsion du discours : le courant centriste, auquel appartenait historiquement François Hollande, s’est toujours allié aux congrès du PS avec l’aile gauche du parti, pour mener une politique beaucoup plus acquise à l’aile droite une fois au pouvoir. C’est flagrant si vous regardez la réforme des retraites menée par la droite (combattue très âprement dans les mots par François Hollande, qui n’est pourtant jamais revenu dessus) ou le décalage entre le discours de Hollande au Bourget et le fait de nommer Pierre Moscovici et Jérôme Cahuzac à Bercy quelques semaines plus tard. C’est l’exercice du pouvoir qui révèle ces contradictions alors qu’il est plus facile de rassembler dans l’opposition.

Le 6 février 2016, "Concordance des temps" revenait sur l'histoire des frondeurs dans le giron socialiste... bien avant que Manuel Valls ne viralise "les deux gauches irréconciliables" :