Macron, mon copain d'avant
Vous le reconnaissez, là, au 2e rang ? La nouvelle star du gouvernement dont le projet de loi est débattu lundi est bien cet étudiant discret mais ambitieux. Ses camarades racontent...

Metteur en scène ? Universitaire et romancier ? Directeur de théâtre ou d'opéra ? Si ses camarades de classe avaient dû parier sur le destin d'Emmanuel Macron, nul n'aurait imaginé qu'il endosserait un jour les habits de ministre de l'Economie. « A la rigueur ministre de la Culture », avance Aurore Mennella, qui était en hypokhâgne avec lui. Pourtant, à bien y réfléchir, ses anciens amis ne sont pas surpris outre mesure de son ascension politique. « Il était apprécié des élèves et des professeurs. Il se montrait très à l'aise à l'oral », s'accordent-ils à dire.
Le futur ministre n'a pas tout à fait 18 ans quand il entre en prépa au lycée parisien Henri-IV, ce prestigieux établissement au cÅ?ur du Quartier latin, où ont étudié avant lui Alfred de Musset, Léon Blum, Jean-Paul Sartre ou, plus récemment, l'écrivain nobellisé Patrick Modiano, Esther Duflo, l'économiste conseillère d'Obama, ou le ministre des Finances, Michel Sapin. Pendant trois ans en khâgne B/L, une prépa littéraire et économique, Emmanuel Macron suit, dix heures par jour, cinq jours sur sept, des cours de français, philosophie, histoire, anglais, latin mais aussi sciences économiques et sociales et mathématiques. Objectif : réussir l'ultra-sélectif concours de l'Ecole normale supérieure, qui forme des chercheurs et des enseignants de haut vol, mais auquel il échouera. Partageant son quotidien studieux, les anciens khâgneux, parmi lesquels l'auteure de cet article, se souviennent d'un jeune homme à part.
Un beau gosse aux allures de poète
Septembre 1995, rentrée des classes. Il arrive en retard, pantalon, pull-over et manteau noirs, la crinière épaisse, indisciplinée, une sacoche à la main. S'excuse dans un sourire et va s'asseoir au deuxième rang. Le jeune Macron a des allures de poète et un certain panache. « Il avait de la prestance, un air de romantique allemand », se remémore Yannick Papaix. A 18 ans, Emmanuel a déjà pour lui cette voix chaude, qu'il sait bien moduler. Lorsqu'il lit, en classe, un extrait de Ruy Blas, une pièce de Victor Hugo, certaines lui prédisent une carrière de jeune premier. « Il était charmant, assez beau gosse », apprécie une ancienne condisciple. Un look qu'il assagira peu avant son entrée à la banque Rothschild, en 2008. Il achèvera sa mue en plaquant ses cheveux en arrière.
Déjà charmeur et caméléon
L'étudiant Macron est, de l'avis de tous, « sympathique ». Dans une classe où la pression est forte, où certains n'hésitent pas à faire l'étalage de leurs connaissances, Emmanuel apparaît comme un élément « brillant mais pas arrogant ». Sociable, il reste toutefois en retrait. Insaisissable. « Il cultivait une part de mystère, une vie parallèle dont on ne savait rien, poursuit Yannick Papaix. Il était beaucoup plus adulte que nous, sans doute parce qu'il était déjà en couple avec son ancienne professeur de français (une femme de vingt ans son aînée) ». Le jeune homme ne participe pas aux quelques fêtes organisées en cours d'année ni au voyage de classe à Rome. Personne ne lui connaît d'ami proche parmi ses 48 condisciples. « Il arrivait juste à l'heure et repartait aussitôt les cours terminés », se souvient Marc Labussière. Mais le futur politicien possède ce qui fait aujourd'hui sa force : un sens aigu des relations. « Il avait un côté caméléon très frappant, note Jean-Baptiste de Froment. Il savait adapter son discours à son interlocuteur et s'entendre avec des élèves aux origines et aux personnalités différentes. » Emmanuel Macron parle foot, économie, philosophie. Fait des mots d'esprit, cite des blagues des Inconnus. Et s'adresse avec aisance aux gens importants. « Il avait le flair pour dénicher les bons plans », s'amuse Marc. En discutant avec son kiosquier, il se retrouve à donner des cours particuliers au fils de l'historien Max Gallo.
Pas très doué pour les chiffres
Fâché avec les mathématiques â?? il suit le cours de soutien â??, moyen en latin, Emmanuel ne fait pas non plus d'étincelles en économie. Mais se distingue en littérature, déjà lauréat du concours général de français en 1994. « Certains d'entre nous étaient des graines de technocrates qui visaient l'ENA. Pas lui. Il avait un profil très littéraire et un intérêt sincère pour la poésie », analyse un ancien camarade. En témoigne son exposé enthousiaste sur René Char, poète et résistant. « Il en parlait avec précision et conviction. Il avait un charisme et une sensibilité artistique indéniables », souligne Guillaume Grammont. L'étudiant maîtrise la rhétorique et participe en classe. « Il n'était pas juste en train d'absorber un cours, il construisait sa pensée », remarque une autre élève. Pas tout à fait dans le moule, il prend les choses avec recul voire, selon certains, une forme de dilettantisme. « Il n'était pas une bête à concours, ne donnait pas l'impression de vouloir se pousser trop fort », observe l'un de ses camarades. « Ce n'était pas le plus sérieux », ajoute un autre, rappelant qu'il a échoué à Normale Sup. Quand tout le monde a les yeux rivés sur le classement, il y semble indifférent. « Je me souviens du jour où le professeur de philo rendait nos copies de concours blanc. Arrivé au milieu de la pile, il interpelle Emmanuel, qui devait avoir 7 ou 8/20 : â??Cette copie frise la nullité, c'est indigne de vousâ?. Emmanuel ne s'est pas démonté », raconte un ami. Son assurance lui vaut d'ailleurs l'attention de ses professeurs, comme elle séduira plus tard Michel Rocard, Jacques Attali ou François Hollande. « Il avait déjà cette capacité à jouer dans la cour des grands », pointe Emmanuelle Guthmann.
Des rêves de gloire
Pianiste émérite, l'étudiant apprécie la musique classique. Il aime aussi la poésie, évoque volontiers ses auteurs de cÅ?ur, René Char, Francis Ponge, Julien Gracq ou Philippe Jaccottet. Il est passionné de théâtre et suit, en parallèle, la classe libre du cours Florent. « Il me racontait qu'il passait des castings, qu'il n'avait pas été pris pour un film avec Jean-Pierre Marielle, se rappelle un camarade. Cela me paraissait un peu fou. »
Surtout, le jeune Macron caresse un projet secret : devenir un romancier « dont la critique parlerait ». « Il avait écrit un récit d'aventures, non publié, qui se passait dans l'Amérique précolombienne », précise Yannick Papaix. Sa culture nourrit sa sensibilité politique. S'il n'a pas d'engagement connu à l'époque, on lui prête une orientation de gauche modérée. « Nous discutions économie, conclut un proche. Il défendait les théories de Keynes contre l'ultra-libéralisme. »