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Le Maroc mise sur la diplomatie du phosphate pour étendre son influence en Afrique

Le groupe marocain OCP a ouvert d’un coup des filiales dans quatorze pays africains, pour mieux exporter ses engrais ou, comme au Nigeria, en produire localement.

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Publié le 20 décembre 2016 à 13h02, modifié le 28 décembre 2016 à 14h05

Temps de Lecture 7 min.

Exploitée par l’Office chérifien des phosphates, la mine de Boucraâ est située à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Laâyoune, dans le territoire contesté du Sahara occidental.

Tarik Choho a du vent dans les voiles. Le personnage, 51 ans, est porté à la fois par la plus grande richesse de la terre marocaine, le phosphate, et par l’ambition de son pays de se déployer sur tout le continent. « L’Afrique pourrait nourrir la terre entière mais ne se nourrit pas elle-même », lance-t-il au premier étage du bâtiment de verre et de béton qui sert de siège de l’Office chérifien des phosphates (OCP), à Casablanca.

Après avoir vendu des réacteurs nucléaires d’Areva dans le monde entier, ce manageur de calibre international, originaire du Rif, est rentré au pays pour intégrer la direction du groupe et lancer OCP Africa. Créée en février 2016, la société s’est implantée d’un coup, à en croire la publication en rafale d’annonces dans le journal officiel marocain de juillet 2016, dans quatorze pays africains « au fort potentiel agricole », dont le Nigeria ou la Côte d’Ivoire. Dans ce cadre, le phosphatier marocain a annoncé le 19 novembre la construction d’un gigantesque complexe de production d’engrais en Ethiopie. Avec 2,4 milliards de dollars injectés sur cinq ans, soit le plus gros investissement jamais réalisé en dehors du Maroc, l’OCP vise une production de 2,5 millions de tonnes d’engrais par an d’ici 2022. De quoi couvrir les besoins des agriculteurs en engrais dans ce pays de 100 millions d’habitants où l’agriculture est le pilier de l’économie.

Deuxième producteur mondial d’engrais

Plus récemment encore, un accord a été signé le 2 décembre à Abuja, la capitale du Nigeria, entre le Groupe OCP et le Groupe Dangote, du nom de l’homme le plus riche d’Afrique, en présence du roi du Maroc Mohammed VI et du président nigérian Muhammadu Buhari. Les deux groupes ont engagé 2,5 milliards de dollars pour produire des engrais à Lekki, dans la banlieue de Lagos, avec une capacité d’un million de tonnes d’ici 2018.

« L’agriculture en Afrique doit passer du monde de l’assistance vers le monde du business », Tarik Choho, président d’OCP Africa

Le Nigeria, pays le plus peuplé du continent, est un enjeu majeur pour le Maroc qui détient les plus grandes réserves de phosphate de la planète et en est le troisième producteur mondial avec 30 millions de tonnes par an, derrière la Chine et les Etats-Unis. Le groupe OCP représente 30 % des exportations globales de cette matière première et ses produits dérivés, notamment les engrais phosphatés, dont il est aussi le deuxième producteur dans le monde. Entre un pays qui vise la position de leader mondial avec un objectif de production de 12 millions de tonnes d’engrais par an d’ici 2017, et un continent qui a un besoin vital d’engrais pour assurer sa sécurité alimentaire, l’affaire est en train de se nouer et c’est Tarik Choho qui est à la manœuvre. D’où enthousiasme. « L’agriculture en Afrique doit passer du monde de l’assistance vers le monde du business », estime M. Choho.

Quand ? Comment ? C’est tout l’enjeu de la stratégie que l’OCP, géant industriel avec 21 000 employés et 4,9 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2015, est en train de mettre en place. L’entreprise, détenue à 95 % par l’Etat marocain, réalise pour l’instant 12 % de son chiffre d’affaires sur le continent. Elle sera désormais représentée par une structure de distribution locale dans certains des quatorze pays. Dans d’autres, un processus industriel léger, telles que les usines de mélange, aura lieu sur place. Des unités de production sont prévues dans une troisième catégorie de pays, ceux disposant de ressources naturelles. Ainsi, en Ethiopie, le groupe OCP va construire deux unités d’ammoniac et quatre unités de production d’engrais, approvisionnées avec du gaz et de la potasse éthiopiens. « Nous sommes en discussion avec quatre ou cinq pays qui ont du gaz naturel pour construire des usines sur place », confirme M. Choho. Le gaz, transformé en ammoniac et combiné à l’acide phosphorique importé du Maroc, permet de fabriquer des engrais phosphatés.

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Longtemps considérée comme un tiroir-caisse servant à colmater les brèches financières du royaume, l’OCP a été assaini et transformé en fleuron de l’économie marocaine par l’arrivée en 2006 d’un nouveau PDG, Mostafa Terrab. Lequel a également accéléré la stratégie de diversification. Fin mai, le géant marocain a implanté sa propre entité de trading à Genève, afin de maîtriser l’intégralité de sa chaîne d’approvisionnement. Le groupe s’est également lancé dans de grands projets industriels y compris en Afrique à travers sa filiale Jesa, née d’une joint-venture avec la société américaine Jacobs Engineering Group. En 2016, la société a décroché un contrat de maîtrise d’ouvrage pour la construction d’un complexe résidentiel à Dakar, un des plus gros projets immobiliers jamais entrepris au Sénégal.

Au Gabon, un projet en suspens

Par ailleurs, un partenariat signé avec le Gabon en 2014 est aujourd’hui « en suspens », d’après M. Choho. Dans ce pays riche en gaz, qui ne fait pourtant pas partie de la liste des quatorze filiales, le projet était plus ambitieux : trois unités de production sur place pour répondre à 30 % des besoins en engrais du continent.

Selon l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 64 % des terres disponibles pour l’agriculture se trouvent en Afrique, où la population va doubler d’ici 2050. « Mais les rendements agricoles sont encore très faibles, explique Lamourdia Thiombiano, coordinateur de la FAO pour l’Afrique du Nord. Pour l’instant, ils sont estimés à 1 à 2 tonnes par hectare alors qu’ils pourraient atteindre 5 à 15 pour certaines cultures ». Des rendements qui s’expliquent par des facteurs climatiques, mais aussi par le fait que les petits exploitants, majoritaires dans le secteur agricole africain, recourent peu aux engrais. En moyenne, 17,5 kg d’engrais par an sont utilisés par hectare de terre cultivée en Afrique subsaharienne, quand la quantité recommandée par la FAO est de 50 à 100 kg par hectare, selon les cultures.

Des engins industriels sont utilisés dans la mine de phosphate de Boucraa, exploitée par l’Office chérifien des phosphates, près de Laâyoune, le 18 février 2016.

Même lorsqu’ils sont disponibles, les engrais restent très coûteux et n’arrivent pas toujours au bon moment. « En Angola, le fermier paye l’engrais dix fois plus cher qu’aux Etats-Unis, où le fermier est beaucoup plus riche », explique Tarik Choho. Les exploitants africains sont pénalisés par les marges importantes réalisées par les intermédiaires et par les coûts de transport des engrais.

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Les responsables du groupe marocain n’hésitent pas à parler de « révolution verte » pour leurs projets en Afrique. « L’exportation ne suffit plus. Nous travaillons au plus près du terrain avec des acteurs locaux pour trouver des solutions globales au profit des agriculteurs africains, incluant des solutions de financement et de formation », affirme M. Choho. OCP Africa, qui entend couvrir l’ensemble de la chaîne de valeur agricole des quatorze pays, s’est notamment lancé dans les cartes de fertilité des sols pour concevoir des engrais adaptés. Une démarche déjà entreprise par le Maroc dans le cadre du « Plan Maroc Vert » (PMV), un programme sur douze ans pour doper sa propre production agricole.

« Un modèle agricole pour l’Afrique »

« La stratégie mise en place dans le secteur agricole a placé le royaume comme un modèle pour le développement agricole de l’Afrique », estime Yacine Fal, représentante de la Banque africaine de développement (BAD) au Maroc. La banque panafricaine, qui a investi 132 millions de dollars dans le PMV, a été sollicitée par l’OCP pour accompagner sa stratégie au sud du Sahara. Lors d’un déplacement au Maroc en juillet, le président nigérian de la BAD, Akinwumi Adesina, s’est en effet « engagé » à soutenir la stratégie de l’OCP. Déjà, en 2012, la BAD avait prêté 250 millions de dollars au phosphatier marocain qui a servi entre autres à la construction de l’African Fertilizer Center, une usine de production d’engrais destinée à l’Afrique d’une capacité d’un million de tonnes par an, inaugurée en février 2016 sur la gigantesque plateforme industrielle de l’OCP à Jorf Lasfar, près de Casablanca.

Les experts soulignent néanmoins que les engrais chimiques ne sont pas la seule solution pour améliorer la productivité des sols africains. « Il y a aussi des engrais naturels à base de compost ou de fumure organique, souligne Lamourdia Thiombiano, de la FAO. On peut également utiliser les plantes légumineuses, qui produisent de l’azote, pour remplacer les engrais, comme dans l’agroforesterie. Il y a enfin l’agriculture de conservation, qui consiste à couvrir le sol pour éviter l’érosion. » L’agronome estime que ces techniques sont tout aussi efficaces et souligne que les engrais chimiques peuvent présenter des dangers pour l’environnement s’ils sont mal dosés.

De fait, au-delà du discours de « développement de l’Afrique » et de « nourrir la planète », OCP Africa a aussi pour objectif de multiplier par cinq les ventes de la maison mère en Afrique d’ici 2025. « Mais je pense que ça viendra avant, sourit Tarik Choho. Nous pensons pouvoir écouler plus qu’un million de tonnes, mais il faut créer cette demande latente qui n’attend qu’à s’exprimer ».

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