“Le droit est un outil pour reconnaître une personnalité juridique à des écosystèmes”

En Nouvelle-Zélande et en Inde, le droit vole au secours de la nature. Le Gange et l’un de ses affluents ainsi qu'une rivière néo-zélandaise ont été reconnus comme des êtres vivants. Valérie Cabanes, juriste et militante, nous éclaire sur les enjeux de ces décisions à la portée internationale.

Par Propos recueillis par Weronika Zarachowicz

Publié le 23 mars 2017 à 18h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 03h58

A quelques jours d’intervalle, trois fleuves viennent d’être dotés d’une personnalité juridique. En Nouvelle-Zélande tout d’abord, où le Parlement vient d’accorder à la rivière Whanganui les mêmes droits qu’une personne. Et en Inde, où la Haute Cour de l'Etat himalayen de l'Uttarakhand a décrété que le Gange et l’un de ses affluents, la Yamuna, seraient désormais considérés comme des « entités vivantes ayant le statut de personne morale » et les droits afférents.

Quels sont les enjeux, et les conséquences, de ces décisions pour la protection de l’environnement ? Les juges sont-ils en train d’inventer un nouveau droit, pour sauver la planète et les hommes ? Décryptage de Valérie Cabanes, juriste, cofondatrice de l’ONG Notre affaire à tous qui milite pour la reconnaissance du crime d’écocide et auteure d’Un nouveau droit pour la Terre. Pour en finir avec l’écocide (Seuil 2016).

Avez-vous été surprise par le vote du Parlement néo-zélandais ?

L’accord qui avait été passé entre cette communauté maorie, l’iwi (tribu) Whanganui, et le gouvernement date du 30 août 2012, donc ce n’est pas nouveau. Mais c’est une étape de plus pour cette communauté, qui considère ce fleuve comme leur ancêtre et une entité vivante, et qui réclamait depuis 1870 un statut pour le protéger.

Le vote par le Parlement entérine l’accord dans la loi et donne un effet contraignant à cette reconnaissance des droits de la rivière. Les membres de la tribu ont été nommés dépositaires du fleuve et ont pour charge de le protéger. Ce vote permet aussi de leur octroyer 52,2 millions d’euros afin de réparer le préjudice subi par la Whanganui – pollutions, notamment dûes à des activités industrielles sur son cours ou à proximité.

Bain de buffles dans le Gange.

Bain de buffles dans le Gange. © Dominique BERBAIN/GAMMA-RAPHO

Parce qu’elle vient d’un pays considéré comme occidental et démontre donc que la reconnaissance des droits de la nature n’est pas une spécificité de l’Amérique latine. En 2008, l’Equateur a en effet ouvert la voie en reconnaissant les droits de la nature dans sa constitution. Puis, en 2009, la Bolivie a voté une loi sur les droits de la Terre-mère. Et la ville de Mexico vient à son tour de reconnaître les droits de la nature dans sa législation locale.

On a longtemps considéré que les droits de la nature étaient liés à la reconnaissance des droits des peuples autochtones qui défendent une philosophie de vie, le « Buen vivir ». Mais c’est en train de transpirer ailleurs. Pourquoi ? Parce que nous sommes confrontés aujourd’hui à une pollution planétaire et au dépassement de toutes les limites acceptables, en termes de bouleversement du climat, de la biodiversité, des océans, etc.

Sous la pression des sociétés civiles, des juges prennent leur courage à deux mains et décident qu’il est temps que chaque pays prenne ses responsabilités et trouve des parades face à la pollution, face aux activités industrielles dangereuses. Et le droit est un outil : reconnaître une personnalité juridique à des écosystèmes – des fleuves, mais ce pourrait être des forêts ou l’océan –, permettra de cadrer les activités industrielles que l’on n’arrive précisément pas à cadrer par le droit de l’environnement traditionnel.

“Le Gange est l’un des fleuves les plus pollués au monde”

C’est aussi le sens de la décision qui vient d’être prise par des juges de la Haute Cour de l’Uttarakhand pour protéger le Gange et la rivière Yamuna ?

Effectivement, la Haute Cour a décidé de reconnaître comme entité vivante, et de donner un statut de personne morale, au Gange (et à son affluent) que les Indiens appellent d’ailleurs « Gangamama » – « la mère Gange », reconnue comme une déesse –, et qu’ils considèrent comme un fleuve sacré.

Les juges ont expliqué leur décision comme étant un moyen de dépolluer et de responsabiliser les Indiens envers la pollution. Car l’état des cours d’eau est devenu absolument dramatique à travers le pays, le Gange étant l’un des fleuves les plus pollués au monde. Des métaux lourds, des polluants chimiques, les eaux domestiques y sont déversés quotidiennement alors même que les population y font leurs ablutions, et y jettent les cendres de leurs morts.

Derrière ces deux annonces, on retrouve la même idée : mieux protéger en permettant de saisir la justice. En Nouvelle-Zélande, que l’on soit membre de cette communauté indigène ou du gouvernement, on peut désormais représenter les intérêts du fleuve en justice, comme on peut le faire pour ceux d’un enfant ou d’une personne morale, une entreprise. Et en Inde il s’agit de punir les pollueurs, particuliers ou entreprises qui seraient surpris en train de déverser des polluants toxiques dans ces rivières.

Pèlerinage de la Kumbha Mela, Allahabad, Inde.

Pèlerinage de la Kumbha Mela, Allahabad, Inde. © David DUCOIN/GAMMA-RAPHO

On pourrait aussi citer la décision de cette juge américaine qui a jugé recevable la plainte d’enfants contre le gouvernement, accusé de ne pas protéger leur environnement. On a le sentiment que les décisions s’accélèrent, et font boule de neige un peu partout dans le monde...

C’est le courage des juges ! Le temps du droit est un temps long, le droit national et le droit international ont du mal à évoluer rapidement. En revanche, la jurisprudence, elle, ose et contribue à créer cet effet boule de neige. Elle est posée, à chaque fois, par des juges courageux qui cherchent, comme dans les cas de justice climatique aux Pays-Bas, au Pakistan ou en Pennsylvanie, à reconnaître des droits qui n’existent pas dans le droit : le droit des générations futures, les droits de la nature…

Ces avancées se font aussi sous la pression des sociétés civiles, non ?

Effectivement, qu’elles soient indigènes ou pas. On le constate d’ailleurs dans la campagne présidentielle actuelle. Nous avons plusieurs candidats, dont deux encore en lice, qui se sont inspirés de la campagne que nous menons depuis des années pour la reconnaissance des droits de la nature et du crime d’écocide. Jean-Luc Mélenchon demande la reconnaissance du crime d’écocide. Et Benoît Hamon propose de constitutionnaliser les communs planétaires que sont l’air et l’eau.

Jamais je n’aurais imaginé que l’on fasse évoluer ce discours en moins de quatre ans ! En 2013, quand nous avons lancé notre initiative citoyenne européenne sur la reconnaissance de l’écocide, personne ne connaissait le terme en France. Aujourd’hui, on voit bien que c’est cette pression de la société civile qui a conduit les candidats à porter ces idées. Et c’est d’autant plus étonnant concernant cette notion d’écocide, qui remet tout de même en question notre système philosophique occidental, très anthropocentré, où l’homme domine totalement la nature…

Mais ces idées se démocratisent. Les décisions de la Nouvelle-Zélande et de l’Inde nous démontrent qu’il ne s’agit pas de projets romantiques, mais que, au contraire, ce sont des mesures concrètes qui peuvent être adoptées par tout un chacun. Il n’y a pas de raison pour qu’une entreprise ait droit à un statut juridique, alors même qu’il s’agit d’une entité virtuelle, et que d’autres formes de vie que les nôtres n’aient pas le droit à une personnalité juridique.

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