RMC
Travail

Il propose 5.500 CDI qui ne trouvent pas preneurs: "les aides sociales découragent certains à travailler"

-

- - Philippe Huguen - AFP

L'entreprise O2, leader français des services à la personne, n'arrive pas à recruter malgré plus de 5.000 offres d'emplois en CDI à travers toute la France. S'il reconnaît que son entreprise est exigeante dans le choix des postulants, son fondateur et PDG, Guillaume Richard, explique à RMC.fr que son secteur est surtout victime du travail au noir et du système d'aides sociales, qu'il juge "archaïque".

Guillaume Richard, fondateur et PDG d’O2, leader français des services à la personne. Il propose 5.500 postes en France en CDI pour des emplois de garde d'enfants, d'aides à la personne, de ménage ou de jardinage... Mais il ne parvient pas à les pourvoir.

"On a des grosses difficultés pour embaucher, surtout en région parisienne et dans le sud-est. Mais cela ne nous étonne pas. La première des raisons, c'est qu'on a un niveau d'exigence élevé, parce que les clients nous confient ce qu'ils ont de plus précieux: accepteriez-vous de confier à n'importe qui la clé de votre maison, la garde de vos enfants, l'accompagnement de vos parents âgés…? Il nous faut quelqu'un de fiable, avec un savoir-être et un savoir-faire irréprochable. Nous avons également un gros problème de mobilité des demandeurs d'emplois. Notre métier exige, quand on n'habite pas une grande ville, d'avoir une voiture puisque nous faisons du service à domicile.

"Le travail au noir, un concurrent redoutable"

Mais nous avons surtout un concurrent redoutable dans notre secteur: le travail au noir. Le 'black' fixe à la fois le niveau de rémunération de nos intervenants – au Smic - mais aussi le niveau d'acceptation pour nos clients. Nos clients sont prêts à payer légèrement plus chers pour avoir une prestation déclarée plutôt que de passer par le travail au noir, mais pas beaucoup plus. On peut justifier 20% d'écart entre une rémunération au noir, mais si cela devait atteindre 50% d'écart, nous ne serions plus compétitifs. C'est pourquoi nous ne pouvons pas proposer de meilleurs salaires à l'embauche.

Il faut absolument que les pouvoirs publics luttent contre le travail au noir. Et pour cela, ils doivent impérativement faire en sorte que les revenus du travail soient supérieurs aux revenus de la solidarité. Aujourd'hui, dans de trop nombreux cas, nous avons des collaborateurs qui nous disent: 'je ne peux pas travailler plus d'un certain nombre d'heures déclarées parce que sinon je perds des aides'. Dans le sud-est, nous avons ainsi beaucoup de salariés qui arrêtent l'été pour travailler au noir sur des plages privées, et qui reviennent travailler pour nous en octobre.

"Ne pas gagner plus de 8.657 euros par an"

De très nombreuses personnes ont intérêt à ne pas avoir trop d'heures déclarées. Il leur faut être en capacité de percevoir à la fois un salaire et la CMU-C (la complémentaire santé de la Couverture Maladie Universelle). Si vous gagnez moins de 8.657 euros par an et que vous êtes célibataire, vous êtes allocataires de la CMU-C et à ce moment-là vous maximisez toutes les allocations existantes (allocations logement, exonérations de la redevance télé et de la taxe d'habitation, tarif social de l'eau et de l'électricité, gratuité des transports en commun…). Donc vous n'avez aucun intérêt à dépasser ce seuil, sinon vous perdez une partie de ces aides. A 8.658 euros, vous perdez 300 euros d'allocations nets par mois: c'est considérable et c'est un frein majeur à la reprise d'emploi.

"L'optimum? Travailler 20h déclarées et 15h au noir"

L'optimum pour ces gens consiste donc à travailler 20 heures déclarées par semaine et 15 heures au noir: vous gagnez au Smic 650 euros nets et pouvez ainsi bénéficier de 400 à 600 euros nets d'allocations par mois, et pour vos 15 heures au noir à 10 euros nets de l'heure vous gagnez 650 euros complémentaires. Résultat, vous avez des revenus nets mensuels compris entre 1.700 et 1.900 euros, plus que si vous travailliez 35h au Smic (1.153 euros nets). Vous voyez bien que le système est très mal fait, car il incite un certain nombre de personnes à ne déclarer une partie de leurs heures. Il n'est pas sain que quelqu'un qui travaille au Smic et déclare tous ses revenus ait, au final, des ressources financières moindres que celui qui optimise le système. Ce n'est pas normal, et du coup, nous, nous retrouvons avec des difficultés à recruter.

La solidarité est indispensable en France, mais il faut organiser le système pour qu'il ne soit pas décourageant pour toute une partie de la population. On a aujourd'hui un système archaïque qui décourage un certain nombre de personnes à travailler ou à travailler de façon déclaré. Il faut que les politiques agissent sur ce sujet."
Propos recueillis par Philippe Gril