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Glyphosate : discorde à l’Agence de protection de l’environnement américaine

Le caractère cancérogène du glyphosate, le pesticide le plus utilisé au monde, divise profondément les experts fédéraux américains. L’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) doit rendre son avis mercredi.

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Publié le 14 mars 2017 à 11h16, modifié le 15 mars 2017 à 08h05

Temps de Lecture 4 min.

Du Rounup, pesticide contenant du glyphosate, dans un magasin de jardinage près de Lille.

« Probablement cancérogène » pour les uns, « improbablement cancérogène » pour les autres. Depuis deux ans, la controverse sur la dangerosité du glyphosate oppose entre elles différentes agences d’expertise – la prochaine à se prononcer est l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), qui devrait rendre son opinion mercredi 15 mars, dans le cadre de la réautorisation du produit en Europe. Mais la réévaluation de cette substance – constitutive du célèbre Roundup et pesticide le plus utilisé au monde – ouvre également des fractures au sein même de certaines institutions.

C’est ce que montre un document confidentiel de l’Agence de protection de l’environnement (EPA) américaine obtenu par Le Monde. Selon ce mémo interne, le département de recherche et développement (ORD, Office of Research and Development) de l’EPA est en clair désaccord avec l’avis préliminaire d’un autre département de l’EPA, chargé pour sa part de l’évaluation des pesticides (OPP, Office of Pesticide Programs).

Cet avis préliminaire de l’OPP, publié par erreur fin avril 2016 sur le site de l’agence, estimait le glyphosate « improbablement cancérogène ». Il rejoignait ainsi l’opinion de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), s’opposant du même coup au Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Car, en mars 2015, le CIRC – l’agence de l’Organisation mondiale de la santé chargée d’inventorier les causes de cancer – a classé le glyphosate dans la catégorie « cancérogène probable » pour l’homme.

Gradations

La note interne de l’EPA consultée par Le Monde révèle que les membres du département scientifique de l’agence fédérale américaine – l’ORD – sont sur une ligne proche de celle du CIRC, contre leurs collègues du département des pesticides – l’OPP. A mots à peine couverts, les scientifiques de l’ORD reprochent à ceux de l’OPP de ne pas respecter les conventions internationales dans l’analyse de la cancérogénicité du glyphosate.

« Les cadres de travail pour l’analyse des données et la détermination de la causalité [entre exposition à une substance et cancer] qui sont actuellement en vigueur à l’EPA et dans la communauté de l’évaluation du risque incluent des gradations », écrit l’ORD dans son mémo. Or, ajoute ce dernier, « l’avis préliminaire de l’OPP apparaît ne pas suivre cette approche ». A lire le document, l’OPP se serait affranchi des règles de l’évaluation des dangers d’une substance pour « utiliser une approche oui/non qui ne pourrait conduire qu’à ne décrire les substances que comme “cancérogène” ou “improbablement cancérogène” pour les humains ».

Très technique, la critique n’en est pas moins cruciale. La classification de l’EPA inclut en effet, en théorie, cinq grades différents :

  • cancérogène ;
  • probablement cancérogène ;
  • présentant des signes suggestifs de cancerogénicité ;
  • insuffisamment documenté pour l’analyse de cancérogénicité ;
  • et enfin improbablement cancérogène.

Autant de nuances qui, selon le mémo de l’ORD, disparaissent de l’analyse préliminaire conduite par l’OPP.

Etudes sur des rats

Sur le volet épidémiologique, l’ORD se dit en accord avec le CIRC pour juger « limitées » les preuves d’une association entre exposition au glyphosate et apparition d’un cancer sur les humains. Mais sur le volet des études conduites sur les animaux de laboratoire, l’ORD rappelle que « le glyphosate a été testé dans plusieurs études de deux ans sur des rats ou des souris ». « Une large gamme de tumeurs ont été observées dans ces études, ajoute le mémo. Des tumeurs ont été observées dans la thyroïde, le foie, la peau, le pancréas, la lymphe, le testicule, la glande mammaire, les reins et le poumon. »

Cependant, l’ORD ajoute que, selon les méthodes statistiques utilisées, l’incidence de ces tumeurs peut être considérée comme significative ou non. C’est le principal point de discorde. Selon la « moulinette » statistique qui traite les résultats de ces études sur l’animal, les conclusions peuvent être différentes : soit les cancers qui surviennent peuvent être le fait du hasard, soit ils ne peuvent être expliqués que par l’exposition à la substance testée.

Là encore, les scientifiques de l’ORD formulent une critique forte sur le travail de leurs collègues de l’OPP : ces derniers prétendent ne pas trouver d’effets significatifs après utilisation de certains tests statistiques, mais « sans préciser quels tests ils ont utilisés ».

Au final, l’ORD ne se prononce pas sur une classification du glyphosate, mais précise que « la catégorie “improbablement cancérogène” pour les humains peut sans doute être écartée ». « On peut discuter pour savoir si le niveau de preuve est suffisamment élevé pour la catégorie “cancérogène probable”, ajoute le mémo. Mais cette classification ne peut être rejetée. »

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Restent plusieurs questions : comment le mémo de l’ORD, daté du 14 décembre 2015, sera-t-il pris en compte dans l’avis définitif de l’EPA ? Pourquoi l’avis préliminaire de l’OPP a-t-il été publié sur le site de l’agence, avant d’en être retiré quelques heures plus tard ? L’EPA assure qu’un document de discussion conjointement rédigé par les deux départements a été transmis en septembre 2016 à un troisième groupe d’experts fédéral, dont l’opinion devrait être publiée le 16 mars. Cette nouvelle opinion sera à son tour révisée avant publication de l’avis officiel final de l’EPA.

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Cet article a été édité pour intégrer la réaction de l’EPA.

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