Dans la FoodTech aussi, le client est roi. Produits bios, provenant de producteurs locaux ou encore achetés directement aux producteurs… Après des années de mondialisation effrénée durant lesquelles les fast-food ont cristallisé les envies des consommateurs, ces derniers développent désormais de toutes autres exigences, fondées sur le bien-être et la transparence. “Nous avons identifié quatre attentes cruciales pour les consommateurs, précise Thierry Clastres, président de Cultures Locales, une plateforme de vente de produits alimentaires en phase de lancement et membre du Club AgroAlia animé par la CCI Paris-Ile-de-France. D’abord le goût, c’est-à-dire la qualité du produit, sa fraîcheur; ensuite, la confiance, qui implique de pouvoir tracer le produit, que le consommateur puisse savoir qui l’a produit; puis le respect de l’environnement, c’est-à-dire que le produit provienne si possible de l’agriculture locale pour qu’il n’ait pas fait des milliers de kilomètres en avion ou en bateau; et enfin, le côté pratique, avec une livraison simple et efficace.” Selon une enquête du Credoc réalisée en 2015, 21% des Français privilégient en effet le fait que le produit soit fabriqué à proximité du lieu d’achat lors de leurs achats alimentaires, contre seulement 14% en 2009. Et 61% se disent prêts à payer plus cher pour des produits locaux, d’après une étude Opinion Way publiée en 2016.

Bien plus qu’une nouvelle lubie, cette tendance du “manger local” est en fait étroitement liée aux autres exigences des consommateurs évoquées par Thierry Clastres. Pour les consommateurs français, le local mais aussi l’achat en direct auprès des producteurs résonnent comme un gage de transparence sur la provenance des produits et garantissent leur qualité. Toujours selon l’enquête d’Opinion Way, un tiers des consommateurs considère ainsi que les produits locaux sont de meilleurs qualité. Et une autre étude, réalisée par l’Ipsos en 2014, montrait que 86% des Français estiment que les produits alimentaires locaux sont également plus respectueux de l’environnement. Consommer des denrées produites localement et achetées directement au producteur ou en circuits courts - c’est-à-dire faisant intervenir au maximum un seul intermédiaire entre le producteur et le consommateur, selon la définition du ministère de l’Agriculture - permet donc aux Français de satisfaire en même temps leur exigence de qualité et leurs revendications quant à la traçabilité du produit et son impact sur l’environnement. Un mode de consommation encore marginal : il ne représente que 8% de la consommation française totale, selon un rapport du Conseil économique, social et environnemental sur la question paru en 2016.

Nouvelles attentes, nouveaux services

Pour répondre au mieux à ces attentes, de nombreuses startups tentent de repenser la chaîne logistique de la production à la livraison des produits, en passant par leur système de distribution. Cultures Locales mise par exemple sur le modèle - éprouvé dans de nombreux autres secteurs - de la plateforme et ambitionne d’ouvrir prochainement “un marché alimentaire en ligne” commercialisant en région parisienne les produits de petits producteurs situés à moins de 200 kilomètres de la capitale et les livrant au domicile des clients. Un bon moyen de toucher une clientèle la plus large possible grâce à un parcours d’achat simplifié (aucun déplacement à prévoir, la commande peut se faire n’importe quand et n’importe où) tout en respectant ses exigences de qualité et de transparence.

De son côté, FreshRelay, autre startup membre du Club AgroAlia, veut devenir “le point-relais urbain du bien-manger”, selon Jérôme Viguier, son cofondateur. La startup a ainsi imaginé une double solution de distribution des produits qu’elle acquiert directement auprès des producteurs : un site Internet, dont les commandes peuvent être livrées à domicile ou retirées en boutique ainsi qu’un magasin qui présente une gamme plus restreinte de produits. “La livraison à domicile est un vrai frein à l’achat pour les consommateurs, d’abord en raison de son coût élevé mais aussi parce qu’elle nécessite que le client soit chez lui sur une plage de temps qui peut être assez large et qui ne l’arrange pas toujours”, précise Jérôme Viguier. D’où l’idée de développer le retrait en magasin, à l’image de ce qui se fait déjà dans la grande distribution depuis nombre d’années avec l’essor des drives, promettant une plus grande flexibilité au client et des contraintes minimes au commerçant par rapport à une livraison à domicile.

De l'approvisionnement à la livraison, un casse-tête coûteux

Si le “manger local” et l’achat en circuits courts font le bonheur des partisans du “mieux-manger” et des défenseurs d’une agriculture raisonnable et raisonnée, en amont de nos assiettes, les nouveaux acteurs de cette consommation responsable doivent composer entre les problématiques très concrètes que posent ces exigences pour leur chaîne logistique et la satisfaction du client qui reste évidemment le meilleur moteur de croissance. “Acheter directement auprès des producteurs, ça implique un nombre de flux aussi important que le nombre de producteurs chez lesquels on s’approvisionne”, explique Jérôme Viguier. Un casse-tête pour les distributeurs qui doivent organiser la collecte des produits… tout en réduisant leurs coûts au maximum pour ne pas avoir à les répercuter sur le prix des produits et donc à les imputer au client final.

Car à l’autre bout de la chaîne, la livraison est, elle, le point noir de la supply chain de ces nouveaux commerces de bouche. En plus d’être une énigme logistique constamment renouvelée, elle s’avère être un véritable gouffre financier. “Une livraison, ça coûte cher : environ 10 euros, même si le coût diminue à mesure que les volumes à livrer deviennent plus importants, révèle Thierry Clastres. Cela constitue une vraie barrière à l’entrée pour de nombreux acteurs de la FoodTech, qui doivent rivaliser avec la grande distribution d’un côté et Amazon de l’autre avec des moyens financiers autrement moins conséquents.” Pour Jérôme Viguier, cette impossible équation est aussi le fait des consommateurs eux-mêmes, “trop longtemps habitués à la livraison gratuite à domicile et qui ne se rendent pas compte de ce que ça coûte véritablement”. Pour l’entrepreneur, la logistique du dernier kilomètre a “toujours constitué un problème financier pour les distributeurs” et il est aujourd’hui temps de “proposer d’autres modes de distribution”.

De nouvelles organisations à trouver

Du premier au dernier kilomètre, les startups organisent leur petite révolution et imaginent différentes solutions pour optimiser les flux tout en maintenant une qualité de service optimale vis-à-vis du consommateur. Des jeunes pousses se sont même spécialisées sur le créneau de la supply chain, à l’image d’Imaleo. L’entreprise a développé une solution modulaire pour “aider l’ensemble des acteurs de la filière agro-alimentaire à communiquer avec intelligence”, explique son cofondateur, Florent Hayoun. Des producteurs aux e-commerçants, en passant par les distributeurs et les logisticiens, la solution d’Imaleo s’adresse à tous les acteurs de la supply chain pour que chacun puisse optimiser son maillon logistique. Ce qui manque aujourd’hui, ce sont des fédérations de producteurs qui organiseraient un approvisionnement collectif en amont du distributeur”, estime Jérôme Viguier. À l’image des coopératives viticoles, les producteurs pourraient ainsi se rassembler, ce qui diminuerait le nombre de flux à gérer pour les distributeurs.

Pour effectuer le dernier kilomètre, les jeunes pousses ont déjà mis en place un certain nombre de solutions. Le magasin FreshRelay fait ainsi office de “hub logistique urbain pour des partenaires”, précise Jérôme Viguier, c’est-à-dire que des startups de livraison de box de repas sains peuvent l’utiliser comme point de départ pour leurs tournées. Cette solidarité entre startups FoodTech permet à celles-ci de miser sur des modes de transport écologiques pour effectuer leurs tournées (vélos, scooters électriques…) tout en diminuant leur coût de 40%. “Livrer en camion, ça revient de 14 à 16 euros par livraison, contre 9,5 à 10 euros en transports écologiques via le hub”, calcule Jérôme Viguier.

Une mutualisation des lieux d’approvisionnement mais aussi des moyens de livraison qu’a également en tête Thierry Clastres. L’ouverture en région de “mini-hubs logistiques, à l’image de ce qu’est le marché de Rungis en région francilienne”, permettrait d’optimiser les livraisons tout en structurant la distribution en circuits courts. L’entrepreneur espère également que la livraison à domicile pourra se développer hors des villes, alors que les systèmes actuels de livraison sont bien souvent réfléchis à partir de l’atteinte d’une taille critique de clients qui excluent de fait les campagnes à la densité de consommateurs trop faible. “On pourrait mutualiser les livraisons alimentaires avec les tournées des postiers, par exemple”, imagine Thierry Clastres. Si les startups n’ont pas encore trouvé toutes les clés de cette problématique complexe qu’est la logistique du réseau de distribution alimentaire, elles sont en tout cas plus mobilisées que jamais sur la question.

Maddyness, partenaire média du Club Agroalia.