[CAMBODGE 4/5] Enquêter sur la déforestation au péril de sa vie

Les premiers visés par les pressions sont les journalistes qui traitent de la déforestation et de la destruction des ressources. Les groupes qui gèrent l’exploitation forestière du pays n’hésitent pas à brutaliser les reporters… voire à les assassiner.


Taing Try a été abattu d’une balle en octobre 2014. Avec cinq autres journalistes, le reporter cambodgien enquêtait sur un trafic de bois dans la province de Kratie, dans le Sud du pays, rapporte Reporters sans frontières. Le journaliste, qui travaillait pour différents journaux locaux, faisait partie de l’Association des journalistes khmers pour la démocratie. Deux ans avant sa mort, Hang Serei Oudom, un journaliste environnementaliste, avait déjà payé de sa vie son enquête sur l’abattage illégal de bois provenant de zones protégées.

« J’ai reçu beaucoup de menaces, (…) on a déjà pointé une arme sur moi quand j’enquêtais dans la jungle », raconte May Titthara, reporter indépendant basé à Phnom Penh, la capitale cambodgienne. « On m’a forcé à arrêter mon travail de journaliste », poursuit-il. May Titthara s’attache depuis plusieurs années à dénoncer le commerce illégal de bois de rose dans la forêt protégée des Cardamomes et a souvent fait l’objet de pressions.

Au Cambodge, les apparences sont trompeuses… (Tom Ferrero)

Tués parce qu’ils en savaient trop

« Le domaine le plus sensible pour la sécurité des journalistes se rapporte aux questions environnementales », assure Lauren Crothers, journaliste et photoreporter qui travaille au Cambodge depuis 2010 pour le Cambodia Daily. Pots-de-vin, menaces et violences, les pressions sont nombreuses. L’enjeu est avant tout politique. « Les premiers responsables de la déforestation sont les politiciens au pouvoir », assure Ou Ritthy, un jeune blogueur politique. « Les journalistes qui meurent sont ceux qui savent qui est derrière tout ça, ils ont été tués parce qu’ils en savaient trop. »

Les dirigeants des grands groupes responsables des trafics illégaux sont aussi les politiciens à la tête du pays. Ces trafiquants cambodgiens de haut rang bénéficient d’une certaine immunité. « Les personnes qui travaillent dans l’exploitation du bois sont puissants, ils ont beaucoup d’argent et sont prêts à tout pour éviter qu’un journaliste enquête sur leurs affaires », explique May Titthara. « Ils donnent des pots-de-vin aux journalistes pour les empêcher d’écrire un article. Beaucoup acceptent, mais j’ai toujours refusé de prendre l’argent de ces hommes d’affaires », poursuit le journaliste.

1,5 million d’hectares de forêts détruits

Les questions environnementales sont primordiales dans ce pays où la déforestation est la plus rapide au monde, devant le Sierra Leone et Madagascar. Sur 9 millions d’hectares de forêts, 1,5 million y ont été détruits entre 2001 et 2013. Le Cambodge est une plaque tournante du trafic de bois, mais également du trafic d’animaux, à destination de ses pays voisins, le Vietnam et la Chine, les réseaux criminels transfrontaliers en Asie du Sud-Est se développant très vite.

La population commence pourtant à peine à prendre conscience de ces enjeux : « C’est un problème récent ici, c’est tout nouveau pour les Cambodgiens », note Ou Ritthy, blogueur politique. « Ce sont uniquement les journalistes anglophones qui écrivent sur le sujet », affirme-t-il. Selon lui, les journalistes locaux n’évoquent jamais les questions environnementales, qui n’éveillent pas encore suffisamment l’intérêt de leurs lecteurs et qui représentent un sujet trop sensible.

INFOGRAPHIE - Cambodge la déforestation la plus rapide du monde
Infographie : Lauriane Sandrini

Emilie Unternehr

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