NOKIA - À la fin de l'année 2007, Nokia est encore l'une des plus belles valeurs technologiques mondiales. Pesant plus de 100 milliards d'euros en Bourse, le fabricant finlandais produit un million de téléphones portables par jour et représente quatre ventes sur dix dans le monde. C'est l'hégémonie d'une société fondée en 1966, résultant de la fusion de trois industries du XIXème siècle (papeterie, caoutchouc et câbles).
Spécialisé dans la téléphonie mobile depuis 1992, le groupe est alors à la pointe de l'innovation, considéré comme l'un des fleurons mondiaux. Un modèle est même utilisé dans le film Matrix en 1999. Et là, Nokia, c'est le futur... Mais un peu plus de 10 ans plus tard, l'empire est en miettes, contraint d'être racheté par Microsoft pour 4 milliards d'euros. Une paille.
Entre 2007 et 2009, Nokia a raté le coche des smartphones et la machine bien huilée s'est grippée. Le Finlandais a cédé sa place de meilleur vendeur de téléphones en avril 2012, au profit de Samsung. Sur l'année passée, sa part de marché s'est élevée à 19,1% (divisée par 2 en 6 ans), contre 22% pour le Sud Coréen.
Symptomatique de ces grandes entreprises trop sûres d'elles, le géant s'est endormi sur ses lauriers et s'est révélé incapable d'innover à son hégémonie. Sur le premier trimestre 2013, Nokia a vu son chiffre d'affaires reculer de 24% pour s'établir à 5,6 milliards d'euros. Le fabricant a par ailleurs enregistré une perte nette de 227 millions d'euros. Plus grave, les ventes de smartphones ont décroché de 25%, confirmant la mauvaise pente sur laquelle se trouve le groupe.
"Nous traversons une période de grande transition pour le groupe dans un environnement industriel qui continue d'évoluer et de changer rapidement", commentait son patron Stephen Elop, lors de la perte de la place de leader en 2012. Arrivé à la fin 2010 en provenance de Microsoft, ce dernier va maintenant faire le chemin inverse.
Stephen Elop contrôlera bientôt le département "matériel et studios" de Microsoft, en liaison directe avec Steve Ballmer, qui a annoncé son départ d'ici les 12 prochains mois. En tant que PDG de Nokia, il dispose d’une solide expérience dans le marché des terminaux mobiles, le talon d’Achille de Microsoft. En rachetant Nokia, Microsoft s'offre aussi un nouveau patron.
Le siège social, à Espoo, en Finlande.
Les succès de Nokia, stars des années 2000
Le succès de Nokia a coïncidé avec la démocratisation de la téléphonie mobile. Pionnière en matière d'investissements sur ce secteur, la firme basée à Espoo, deuxième ville finlandaise derrière Helsinki, a eu le nez creux.
Le groupe a fait le pari que le téléphone mobile pourrait toucher des centaines de millions de personnes à travers le monde, pour peu que son prix baisse suffisamment. À l'époque, la plupart des industriels des télécommunications avaient estimé que la technologie mobile, déjà connue et développée dans les années 1980, ne pouvait bénéficier qu'à une clientèle limitée.
Dès 1994, pour pallier l'étroitesse du marché financier finlandais, Nokia s'est fait coter sur le Nasdaq. L'action a vu son prix multiplié par 600 entre 1992 et 2000, période pendant laquelle le groupe a multiplié son chiffre d'affaires par 8 et son bénéfice par 12.
La consécration est venue en 2000, quand à la sortie du mythique 3310, petit téléphone apprécié pour sa robustesse et sa résistance aux chocs. Avec 126 millions d'exemplaires écoulés dans le monde, c'est le modèle le plus célèbre de la marque. Précurseur de l'iPhone grâce à sa simplicité, il compilait les atouts développés depuis plusieurs années par Nokia. Pas d'antenne, un bouton central concentrant la plupart des commandes, des SMS plus longs et... beaucoup de jeux, dont le mythique "snake".
» Découvrez en images les téléphones produits entre 1982 et 2006
À l'époque les concurrents les plus sérieux s'appellent Motorola, Siemens, Sony et Ericsson. Les cadors d'aujourd'hui que sont Samsung et Apple ne sont pas encore entrés ans la danse.
Le train manqué du smartphone
C'est la principale erreur de gestion du groupe finlandais. Laissant l'iPhone d'Apple et le Blackberry de RIM s'implanter, Nokia a pris un sévère coup de vieux en 2007. Malgré cela, le groupe a continué de profiter de bonnes ventes en proposant des modèles d'entrée de gamme compétitifs... En bref, le Finlandais s'est voilé la face.
Mais en plus de rater le train du smartphone, Nokia a préféré se concentrer sur Symbian, son propre système d'exploitation (OS). Il est ainsi passé ainsi à côté du phénomène Android, la solution développée par Google qui équipe aujourd’hui une grande partie des smartphones (Sony, Motorola, Samsung…), grâce à laquelle ses rivaux ont pu combler leur retard.
Google a bien essayé de convaincre le Finlandais de rejoindre sa plate-forme, sans succès. Pour Nokia, opter pour Android serait revenu à choisir une solution à trop court terme et aurait renforcé le pouvoir de concurrents directs. Et pour bien faire comprendre la dédain de Nokia pour Android, le vice-président Anssi Vanjoki avait expliqué en 2010 au Financial Times que cela ressemblerait aux petits garçons finlandais qui "urinent dans leur pantalon" pour avoir chaud l'hiver...
2011: les fiançailles avec Microsoft. 2013: le mariage
Nokia a préféré s'allier avec Microsoft, faisant du rachat final un secret de polichinelle. La gamme Lumia, dont le modèle 1020 sort début octobre, scelle le partenariat stratégique de ces anciens géants qui n'ont pas attrapé le bon train.
Vraie réussite technologique, les ventes de Nokia Lumia n'ont pourtant pas été au rendez-vous, avec seulement 7,4 millions d'appareils écoulés au deuxième trimestre. En France et en Grande-Bretagne, la mayonnaise commence toutefois à prendre, avec la meilleure croissance du secteur. Capitalisant sur ce frémissement, Microsoft tentera d'amorcer une meilleure intégration de son logiciel dans les téléphones Nokia, à l'instar d'Apple.
Mais que deviendra la marque Nokia? La division téléphonie continuera d'exister à moyen-terme, mais sous l'égide de Microsoft. La division qui ne fait pas partie du rachat va désormais se concentrer sur les activités de services pour opérateurs de réseaux, une décision qualifiée de "meilleur chemin pour aller de l'avant, à la fois pour Nokia et pour ses actionnaires", selon un communiqué du groupe. Nokia a finalisé en août le rachat des 50% de Nokia Siemens Networks, sa coentreprise avec Siemens, spécialisée dans les réseaux haut-débit. La fin d'un mythe.