ÉDUCATION - Les universités françaises doivent-elles dispenser davantage de cours en anglais? Alors que l'Assemblée nationale doit débattre du projet de loi sur l'enseignement supérieur ce mercredi 22 mai, la polémique a redoublé d'intensité lors de l'examen du texte en commission mardi 14 mai.
L'objet du litige: cet article qui devrait étendre le dispositif permettant aux établissements de l'enseignement supérieur de proposer des cursus en anglais. D'un côté, le gouvernement et la ministre de l'Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, qui veulent empêcher que l'université française se retrouve seule, isolée, "à discuter de Proust autour d'une table." De l'autre, des membres de l'opposition mais aussi des députés PS et Front de Gauche qui dénonçaient mardi 14 mai une atteinte à la sacro-sainte francophonie.
Déçus par le projet de loi dans son ensemble, au point d'envisager de voter contre, les députés EELV ont en revanche apporté leur soutien à l'article 2.
Ouverture au monde ou menace pour la francophonie?
Depuis l'annonce du projet de loi en mars, intellectuels et associations de défense de la langue française sont vent debout contre le projet de loi. Anglicisation de la France, exception qui devient la règle, menace pour la culture française et son rayonnement, les arguments ne manquent pas pour tacler un projet de loi qui voudrait faire entrer l'enseignement supérieur français dans un système éducatif désormais mondialisé.
Les arguments des antis? La loi Toubon, de 1994, prévoit déjà ce type d'aménagements.
Pire, selon un amendement déposé par le député PS Pouria Amirshahi, les étudiants francophones et ceux "qui souhaitent apprendre notre langue", courent le risque de se voir marginaliser par la nouvelle loi.
La palme de la défense de la francophonie revient sans surprise à l'Académie française qui a dénoncé le 21 mars une "disposition de loi dont la valeur symbolique serait d'autant plus grande qu'elle serait plus vague," et les immortels d'alerter "sur les dangers d'une mesure qui se présente comme d'application technique, alors qu'en réalité elle favorise une marginalisation de notre langue."
Where is Brian?
Pourtant, nombre d' établissements de l'enseignement supérieur dispensent déjà de cours en anglais. C'est le cas de certaines écoles de commerce, mais aussi de nombreuses grandes écoles. Des dispositions qui menacent la francophonie? Le député Jean-Yves Le Déaut (PS) dénonce pour sa part une forme d'hypocrisie dans le discours: "On est un peu faux-cul: à science-po où j'enseigne on parle en anglais mais à l'université on n'a pas le droit de parler l'anglais, mais les élites oui," a-t-il déclaré mardi 14 mai.
L'enseignement supérieur en anglais crée la...par BFMTV
De fait, les étudiants français, et pas seulement ceux des grandes écoles, auraient besoin d'un petit coup de pouce en langues étrangères. En témoigne le classement de la France au TOEFL, cet examen qui vise à évaluer les compétences des candidats en anglais. Avec une moyenne de 88 points sur 120 en 2012, les Français font moins bien que les Polonais, les Bulgares et les Espagnols (89), mais peuvent se réjouir d'en avoir mis plein la vue aux Serbes (87) et aux Biélorusses (86).
Certes, l'échantillon ne saurait être représentatif de l'ensemble des étudiants français, mais d'autres classement enfoncent le clou. C'est notamment le cas de l'enquête européenne SurveyLang, qui compare les performances d'élèves européens dans les deux principales langues étrangères enseignées. Mauvaise surprise, la France fait partie du trio de queue dans l'enseignement de ces deux langues, aux côtés du Portugal et de la Pologne.
Si ce classement ne concerne pas les étudiants, il témoigne d'un problème éducatif structurel qui commence à l'école. En filigrane, c'est une triste histoire que cette donnée raconte, celle de dizaines de milliers de bacheliers qui accèdent chaque année à l'enseignement supérieur pénalisés par leur niveau en langues étrangères par rapport à leurs voisins européens. Une faille que le statu quo à l'université ne devrait pas permettre de corriger.
Chez nos voisins justement, les cursus en anglais sont peu à peu en train de s'imposer davantage comme la règle que comme l'exception. En Autriche par exemple, seule une minorité de cursus proposent des cours en allemand uniquement. C'est aussi le pays qui a eu le deuxième meilleur score au TOEFL (99) en 2012, derrière les Pays-Bas (100), où l'enseignement en anglais est largement répandu. Quant au Danemark, il propose pas moins de 500 cursus en anglais pour ses 5,75 millions d'habitants. La France en compte elle 795, pour une population 11 fois plus nombreuse.
Les enseignants ont-ils le niveau?
Mais les opposants au projet de loi Fioraso ont quelques arguments imparables à faire valoir. En témoigne ce billet de Gérard Monnier, professeur émérite à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. "Sur le fond, écrit-il, on peut regretter que ce projet néglige la capacité d'intervention en langue étrangère de la plupart des enseignants en fonction aujourd'hui dans l'enseignement supérieur." En d'autres termes, les professeurs seraient trop mauvais en anglais pour s'acquitter de cette tâche.
La preuve par l'exemple intervient quelques lignes en-dessous: "J'ai fait une fois l'expérience d'un exposé magistral en anglais; cuisante leçon: mon anglais limité m'a conduit à appauvrir le contenu de mon intervention dans des proportions inacceptables." La solution: remettre ces cours aux soins d'un personnel compétent. Inacceptable selon Gérard Monnier pour qui "confier l'enseignement en langue étrangère à un petit nombre d'enseignants qui maîtrisent l'outil à un haut niveau, conduirait à opérer une discrimination supplémentaire." Et l'universitaire de poser la question: "les universités en France ont-elles besoin d'une élite en plus?"
Pour valoriser l'enseignement (prodigué en français), il faudrait donc continuer à l'appauvrir (en anglais). Dans le monde anglo-saxon, on appelle ça une situation à la Catch-22, du titre de ce roman dont le personnage principal se retrouve piégé au sein d'une contradiction à laquelle il n'y a aucune issue favorable. En France, on dirait que c'est le serpent qui se mord la queue.
Peut mieux faire
L'impasse proposée par les opposants au projet de loi ne résout pas la question de l'attractivité des universités française. À l'exception des grandes écoles, celles-ci accueillent peu d'étudiants étrangers et parmi ceux-ci surtout des étudiants motivés par l'apprentissage du français. La ministre de l'Enseignement supérieur n'a pas manqué de le faire remarquer: "L'Inde compte un milliard d'habitants, mais nous n'accueillons que 3000 étudiants indiens en France." Un chiffre qu'elle qualifie de "ridicule."
Pour la ministre de la Culture Aurélie Filippetti, c'est bien parce qu'il permettra d'attirer davantage d'étudiants étrangers que l'enseignement en anglais permettra de promouvoir la France et la francophonie. Ces jeunes qui "vont apprendre le français", en espérant qu'ils le fassent, découvriront également "notre vision du monde."
Proposer des cours en anglais sera-t-il suffisant pour attirer davantage d'étudiants étrangers? Directeur de la rédaction de L'Étudiant et blogueur au HuffPost, Emmanuel Davidenkoff estime que non. "Faire mine de croire que quelques cours en anglais menacent les universités françaises, écrit-il, est à peu près aussi irrationnel qu'imaginer que ces même cours suffiront à accroître l'attractivité internationale de la France. Ils pourraient en revanche améliorer le niveau de nos étudiants, ce qui ne serait pas inutile."
Une chose est sûre cependant, les responsables politiques montrent peu l'exemple. La maîtrise de l'anglais par Nicolas Sarkozy était loin d'égaler son volontarisme. Quant à François Hollande, on retiendra surtout cette bourde. Un "friendly", lâché en lieu et place d'un "amicalement", dans une lettre adressée à Barack Obama, ce qui ne s'est jamais vu dans une correspondance en langue anglaise. La palme revient à l'ancien Jean-Pierre Raffarin pour sa défense du Traité européen.
Les futurs étudiants se verront-ils offrir la possibilité d'avoir un meilleur niveau que l'ex-Premier ministre? Le texte sera débattu à l'Assemblée nationale le 22 mai. Un appel à la grève a déjà été lancé par plusieurs syndicats de l'enseignement contre ce projet de loi qui introduit également une spécialisation progressive en licence.
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