Dire, ne pas dire

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Odeur, senteur, parfum, fragrance, arôme, fumet, effluve, etc.

Le 6 juin 2024

Nuancier des mots

De tous les noms liés à l’odorat, odeur est le terme le plus général ; il n’est en soi ni péjoratif, ni mélioratif. Ce point le distingue de senteur, qui désigne toujours, à moins de parler par antiphrase, une odeur agréable. Entre ces deux noms, Littré établissait une autre différence, qui ne semble plus perçue aujourd’hui. Il écrivait en effet : « L’odeur est dans les objets qui l’exhalent ; la senteur est ce qui est senti par le sujet, l’impression qu’il reçoit. » Ainsi l’odeur serait consubstantielle à ce qui la produit, tandis que la senteur dépendrait de qui la perçoit.

De plus, si senteur a toujours un sens propre, odeur, lui, peut s’employer au figuré, comme dans odeur de jeunesse, de mystère, odeur de vertu, odeur de crime, de débauche, de mensonge, odeur de mort, de sang, de trahison. Dans ces emplois, il est concurrencé par le nom parfum.

Le terme littéraire fragrance est emprunté du latin chrétien fragrantia, qui désigne une odeur suave et il a conservé ce sens. Ce mot est attesté depuis le xiiie siècle, mais il ne se rencontre vraiment que depuis le xixe siècle. Il était encore suffisamment rare dans les années 1870 pour que Littré le présente, dans son Dictionnaire, comme un latinisme. On le lit en particulier dans La Physiologie du goût, de Brillat-Savarin, où celui-ci fait de fragrance un synonyme d’arrière-goût : « Le goût n’est pas si richement doté que l’ouïe ; celle-ci peut entendre et comparer plusieurs sons à la fois : le goût, au contraire, est simple en activité, c’est-à-dire qu’il ne peut être impressionné par deux saveurs en même temps. Mais il peut être double, et même multiple par succession, c’est-à-dire que, dans le même acte de gutturation, on peut éprouver successivement une seconde et même une troisième sensation, qui vont en s’affaiblissant graduellement, et qu’on désigne par les mots arrière-goût, parfum ou fragrance ; de la même manière que, lorsqu’un son principal est frappé, une oreille exercée y distingue une ou plusieurs séries de consonances, dont le nombre n’est pas encore parfaitement connu. »

Ainsi la fragrance ne serait pas simplement l’odeur suave que nous connaissons mais aussi, et il faudrait alors préférablement employer ce terme au pluriel, les odeurs accessoires qui accompagnent une odeur principale. Ce texte de Brillat-Savarin nous montre, si besoin était, combien goût et odeur sont liés. Il est quelques autres mots qui en témoignent. L’arôme, l’odeur émanant de substances animales ou végétales, est d’un usage fréquent dans le domaine de la cuisine. Il peut être synonyme de fumet, un nom de même origine que parfum, pour parler des aliments solides, et de bouquet, qui est en quelque sorte le parfum du vin. Par extension, fumet s’emploie aussi, dans la langue de la chasse, pour désigner l’émanation qui se dégage du corps des animaux et des lieux fréquentés par eux. On donne aussi parfois ce nom, le plus souvent de façon ironique, à toute odeur corporelle forte.

Parfum est un déverbal de parfumer, un verbe emprunté de l’italien. S’il n’est pas employé de manière ironique, ce nom renvoie à une odeur agréable. À la différence d’odeur ou de senteur, parfum désigne aussi le produit extrait de certaines fleurs ou substances naturelles, ou obtenu par des procédés chimiques, et qu’on utilise, seul ou en mélange, pour sa senteur.

Tous ces termes sont, ordinairement, ceux d’odeurs agréables, mais il en existe d’autres désignant de mauvaises odeurs, comme miasme, qui s’emploie surtout au pluriel et désigne l’émanation malsaine provenant de matières organiques en décomposition. Ce nom, qui s’utilise parfois au sens figuré pour stigmatiser l’état des mœurs, est emprunté du grec miasma. En passant de cette langue au français, il s’est édulcoré puisque miasma désignait particulièrement la souillure provoquée par un meurtre. Ce nom est dérivé de miainein, qui signifie « teindre, imprégner », puis « souiller ». Nous retrouvons ce même champ sémantique dans le nom latin infectio, « action de teindre, teinture », puis « déshonneur », à l’origine de notre infection, nom qui, quand il ne désigne pas la pénétration et la multiplication de germes pathogènes dans un organisme ou l’état d’un organisme infecté, est celui d’une odeur repoussante et, par métonymie, de ce qui répand cette odeur.

Ces deux derniers noms unissent mauvaise odeur et maladie. Il en va de même avec pestilence, un nom lié à peste. C’est d’ailleurs avec ce sens que ce mot s’est rencontré avant de désigner une odeur nauséabonde, insupportable.

À cette liste, on aurait pu jadis ajouter effluve, qui fut d’abord un terme de médecine et, comme l’écrit Littré, le « nom de substances organiques altérées, tenues en suspension dans l’air, principalement aux endroits marécageux, et donnant particulièrement lieu à des fièvres … » Mais effluve s’est arraché de ces miasmes pour être aujourd’hui employé comme synonyme d’odeur délicieuse et subtile.

Relent et remugle sont assez proches. Ils désignent l’un et l’autre une odeur désagréable, mais l’un et l’autre s’emploient surtout au figuré. Relent, lié au latin lentus, « visqueux tenace », désigne une odeur désagréable et persistante. On dira ainsi : un relent d’égout, des relents de cuisine, mais aussi, figurément, Cette politique a des relents de colonialisme. Remugle, tiré de l’ancien scandinave mygla, « moisissure », s’est d’abord rencontré comme un adjectif signifiant « humide, qui sent le moisi », puis comme un nom désignant une odeur de renfermé, de moisi et, par extension, toute odeur désagréable et tenace. Comme relent, il s’emploie surtout au figuré et l’on pourra dire ainsi Les remugles de cette affaire empoisonnent le débat politique.

Un hyperonyme englobe tous ces termes, le mot puanteur.

À côté de tous ces noms existent quelques verbes : exhaler et embaumer ont des sens assez proches, mais il y a entre eux une nuance indiquée par leur préfixe : exhaler signifie « répandre au dehors, émettre, dégager », on dira donc : exhaler un parfum, un arôme, une odeur ; En automne, la terre exhale des odeurs d’humus ou Cette roseraie exhale son parfum, tandis qu’embaumer signifie « remplir d’une odeur suave, parfumer » et l’on dira que ce bouquet embaume toute la pièce ou que l’air est embaumé par l’odeur des arbres en fleurs. Notons aussi que ce dernier, contrairement à exhaler, peut s’employer absolument, comme dans cette rose embaume, un mets, un plat qui embaume.

Pestilence a pour pendant le verbe empester, qui a d’abord appartenu à la langue de la médecine et qui avait pour sens, dans la langue classique, « infecter de la peste ou d’autres maladies contagieuses, contaminer ». Figurément, ce verbe a pris ensuite le sens de « corrompre, pervertir » et, par affaiblissement, « imprégner d’odeurs désagréables, empuantir », mais aussi « dégager une odeur désagréable, fétide ».

Sentir est neutre, une chose sent bon ou sent mauvais. Mais alors que senteur renvoie à une odeur agréable, sentir quand il est employé seul, est un euphémisme pour dire puer, l’hyperonyme de tous ces verbes. On en a un exemple dans l’Évangile de saint Jean (11, 39), quand la sœur de Lazare dit à Jésus, qui vient ressusciter son frère mort depuis quatre jours : « il sent déjà ». Cet emploi spécialisé d’un verbe neutre pour signifier « puer » se trouvait déjà dans le texte grec êdê ozei, proprement « il a déjà une odeur ». Notons que le texte latin canonique est jam fetet, « il pue déjà », mais qu’il existe aussi une variante beaucoup plus neutre, jam olet, « il sent déjà ».

Concluons avec fleurer, un dérivé de l’ancien français fleur, non pas le nom féminin qui désigne la partie des plantes supérieures, ordinairement colorée et souvent odorante, mais un nom masculin signifiant « odeur », issu du latin populaire flator, altération de flatus, « souffle ». Ce verbe fleurer, d’emploi littéraire, signifie à la fois « répandre, exhaler une odeur, le plus souvent agréable » et « sentir, flairer ».

Un avertissement extrêmement grave

Le 6 juin 2024

Emplois fautifs

Il y a peu, des Parisiens, et particulièrement ceux dont les habitations ou les bureaux sont riverains de la Seine, ont reçu des autorités, en prévision des Jeux olympiques, un avertissement extrêmement grave. Nul doute que le motif de cet avertissement était des plus sérieux, mais la formulation en est légèrement hasardeuse. L’avertissement étant l’appel à l’attention de quelqu’un pour le garder d’une chose fâcheuse, d’un danger, c’est cette chose fâcheuse ou ce danger qui peuvent être extrêmement graves. L’avertissement sera lui, éventuellement, extrêmement utile.

Cet avertissement pourrait être grave si l’on donnait à ce mot son sens de punition, que définissait joliment la huitième édition de notre Dictionnaire : « Réprimande pour faute de gestion ou insubordination adressée à un fonctionnaire ou à un élève », mais il est peu probable que ce soit là le sens d’avertissement auquel pensaient les rédacteurs de cet envoi officiel.

« Décrocher un mot » ou « Décocher un mot »

Le 6 juin 2024

Emplois fautifs

Ces deux expressions sont attestées dès le xixe siècle, mais elles n’ont pas exactement le même sens, ni la même construction. Décrocher un mot s’emploie en général à la forme négative et le nom mot n’est pas accompagné d’un adjectif. Cette expression n’est pas sans rapport avec décrocher la timbale, c’est-à-dire « réussir ». On dit familièrement d’une personne qu’elle n’a pas décroché un mot quand elle n’a pas pu ou pas voulu prendre la parole, comme si les mots, telle la timbale accrochée au mât des kermesses d’autrefois, étaient hors d’atteinte pour elle. Décocher un mot s’emploie ordinairement à la forme affirmative et le nom mot est souvent qualifié de cruel ou de méchant. L’image est celle du trait d’esprit, semblable au trait, c’est-à-dire la flèche décochée par un arc, et qui vise à blesser. Il lui a décoché un mot cruel signifie « il lui a dit une parole blessante ».

On retrouve ce verbe décocher, avec un sens assez proche, dans d’autres emplois plus concrets, comme dans décocher un coup de pied, un uppercut.

« Les jours ouverts » ou « Les jours ouvrés »

Le 6 juin 2024

Emplois fautifs

Les verbes ouvrir et ouvrer sont des paronymes, mais leur sens et leur fréquence diffèrent sensiblement. Ouvrir, très en usage, signifie « déplacer, enlever ce qui maintenait fermé » et donc « permettre l’accès, le passage ; donner entrée à », tandis que le verbe ouvrer, très vieilli, a pour sens « travailler » et « façonner, mettre en œuvre un matériau ». On ne rencontre plus guère ce dernier qu’au participe passé dans les expressions linge ouvré, c’est-à-dire orné de broderies, de motifs, de dentelles, etc., et jour ouvré, c’est-à-dire jour qui est consacré au travail, où l’on exerce effectivement une activité professionnelle.

On confond parfois ces deux mots parce que pendant les jours ouvrés (on dit plus fréquemment aujourd’hui les jours ouvrables, « jours qui ne sont pas fériés, qui ne sont pas légalement chômés »), les boutiques et les magasins sont ouverts.

Je n’ai pas su dealer avec ce qui m’arrive

Le 6 juin 2024

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Nous avons signalé, il y a quelques années déjà, qu’il était préférable d’utiliser les verbes trafiquer ou vendre plutôt que l’anglicisme dealer. Mais ce n’est pas le seul sens de l’anglais to deal, qui peut aussi signifier « faire avec, composer, accepter, s’y prendre ». On ne dira donc pas Je ne sais pas dealer avec ce qui m’arrive, mais Je ne sais pas quoi faire avec ce qui m’arrive ou Je ne sais pas comment réagir devant ce qui m’arrive.

Je relate avec ce que tu dis

Le 6 juin 2024

Anglicismes, Néologismes & Mots voyageurs

Le verbe anglais to relate est tiré du latin relatus, « rapport, récit », et il a les mêmes sens que le verbe français de même origine, relater, c’est-à-dire, « rapporter des faits, raconter ». Mais, à ces significations, le verbe anglais ajoute celles d’« établir un lien, une relation, se rapporter à », voire de « comprendre » ou, familièrement, d’« accrocher ». La distribution des sens d’une langue à l’autre a fait que ces derniers n’appartiennent pas au français ; aussi évitera-t-on de faire de relater un équivalent parfait de to relate, ce qu’il n’est pas, et on ne dira pas Je relate avec ce que tu dis, mais Je suis d’accord avec ce que tu dis.

« Alaise » et « Aléser »

Le 6 juin 2024

Expressions, Bonheurs & surprises

La dérivation est un extraordinaire outil qui a permis de forger de nombreux mots nouveaux. Ainsi, en français, un grand nombre de verbes, particulièrement du 1er groupe, sont dérivés de noms. C’est, entre mille autres exemples, le cas d’acter, batailler, cascader, divorcer ou écluser, qui viennent des noms acte, bataille, cascade, divorce et écluse. Mais le phénomène inverse existe aussi lorsque de verbes, du 1er groupe le plus souvent, sont tirés des noms, que l’on appelle alors déverbaux. Ce sont, par exemple, adresse, balade, couche, débauche ou échange, tirés respectivement des verbes adresser, balader, coucher, débaucher et échanger. Dans tous ces cas, le nom et le verbe relèvent de la même notion, et le passage de l’un à l’autre est transparent. Mais il est aussi quelques cas où l’on peut s’interroger sur la parenté existant entre deux mots de formes voisines mais dont les sens semblent bien éloignés. Parmi ces derniers, le couple formé du nom alaise, qui se rencontre sous les variantes alèze et alèse, et du verbe aléser. Alaise, qui désigne une pièce de tissu souvent imperméable que l’on place sous le drap de lit pour protéger le matelas, doit sa forme à une méprise qui a provoqué une mécoupure dans le groupe formé par l’article et le nom. On a écrit en effet l’alaise quand la forme ancienne était la laise. Ce n’est d’ailleurs pas le seul cas où l’article finit par se souder au nom qu’il détermine pour donner une nouvelle forme. Les noms lierre et loriot sont le résultat de la contraction de l’ierre, issu du latin hedera, de même sens, et de l’oriol, issu du latin auroleus, « qui a la couleur de l’or ». Quant à nombril, il est issu de un omblil, dans lequel on a cru que le n de l’article était la première lettre du nom. Signalons, dans le cas d’alaise, que cette mécoupure a été favorisée par un rapprochement avec la locution adjectivale et adverbiale à l’aise, parce que l’on pensait que cette toile donnait un surcroît de confort et de tranquillité à qui y reposait. Et, aussi étonnant que cela puisse paraître, notre forme alaise n’est pas sans rapport avec aléser, comme le montre l’histoire de ces deux mots.

Laise, qui désignait en ancien français une toile dont on garnissait un lit pour qu’il ne soit pas taché ou à l’aide de laquelle on déplaçait un malade, est issu du nom latin latia, « étendue », un dérivé de latus, « large ». En passant du latin au français, on est donc passé d’une idée d’étendue à une idée de protection. Or, cette notion d’étendue se retrouve encore un peu dans le verbe aléser, issu lui aussi de latus, mais par des voies un peu détournées : aléser, c’est-à-dire calibrer exactement, en l’élargissant, un trou préalablement ébauché dans une pièce de métal, vient en effet du latin populaire allatiare, « agrandir », un autre dérivé de latus. Le latin latia est aussi à l’origine, sans mécoupure cette fois, de laize, qui désigne à la fois la largeur d’une étoffe entre les deux lisières (on dit aussi ), la largeur d’une bobine de papier, et, dans la langue de la marine, chacune des bandes de toile qui forment une voile. Quant à l’adjectif latus, il a donné l’ancien français led, puis lé. On a vu qu’il était parfois synonyme de laize, mais il peut désigner aussi chacun des panneaux de tissu dont l’assemblage donne plus ou moins d’ampleur à une jupe, à une robe et enfin un chemin de halage.

On retrouve encore latus dans des noms plus savants, comme latifundium, latitude ou laticlave, ou plus récemment dans l’adjectif latirostre qui, en zoologie, qualifie différents animaux ayant un large bec ou une large gueule, parmi lesquels on trouve plusieurs variétés d’oiseaux, un phasme, un caïman et un gecko.