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OGM : France / Europe – Le troisième arrêté français d’interdiction du maïs MON810 adopté, attaqué… et critiqué par l’AESA

Par Christophe NOISETTE, Pauline VERRIERE

Publié le 19/08/2014

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Le ministère de l’Agriculture a publié au Journal Officiel, le 15 mars 2014, un nouvel arrêté « interdisant la commercialisation, l’utilisation et la culture des variétés de semences de maïs génétiquement modifié (Zea mays L. lignée MON 810) » [1]. C’est le troisième arrêté d’interdiction d’une plante génétiquement modifiée (PGM) pris par les différents gouvernements depuis 2008. Il a immédiatement été attaqué devant le Conseil d’État par l’Association générale des producteurs de maïs (AGPM) et n’a pas empêché une poignée d’agriculteurs de semer des variétés transgéniques, détruites depuis par les Faucheurs volontaires, puis par les autorités françaises. Le Conseil d’État n’a pas jugé bon de suspendre l’arrêté d’interdiction en urgence [2]. Il ne s’est pas encore prononcé sur le fond. Mais l’avis rendu le 1er août 2014 par l’Autorité européenne de Sécurité des Aliments (AESA), qui considère les arguments français comme non pertinents, risque de peser dans la balance.

Depuis 2008, la France interdit sur son territoire les cultures de maïs MON810, la seule plante génétiquement modifiée actuellement autorisée à la culture dans l’Union européenne (UE). Les deux précédents arrêtés ont été cassés par le Conseil d’État, mais toujours après la période des semis. Le 15 mars 2014, le gouvernement a publié un troisième arrêté [3]. Le 28 mars, l’AGPM a déposé au Conseil d’État un recours pour demander son annulation ainsi qu’un référé, pour obtenir dans l’urgence sa suspension en attendant que le fond de l’affaire soit examiné, l’objectif étant de pouvoir reprendre la campagne de semis (qui s’achève en principe dans le courant du mois de mai pour le maïs). Deux exploitants agricoles se sont joints à l’AGPM en justifiant de leur intérêt à agir par les semis de maïs GM effectués sur leurs parcelles le 10 mars, donc avant la date de l’arrêté. Dans le camp d’en face, plusieurs associations de protection de l’environnement, des syndicats agricoles et apicoles [4] se sont joints à l’affaire en soutien au ministère de l’Agriculture.

Nouveauté par rapport aux deux précédentes interdictions, la version de 2014 s’appuie sur deux bases réglementaires européennes, contre une seule dans les versions antérieures : l’article 34 du règlement 1829/2003 (mesure d’urgence) et l’article 18 de la directive 2002/53 (dite « directive semences »). Ce dernier article permet d’interdire « dans tout ou partie de son territoire », une variété inscrite au catalogue commun des variétés « s’il est constaté que [s]a culture (…) pourrait, dans un État membre, nuire sur le plan phytosanitaire à la culture d’autres variétés ou espèces, présenter un risque pour l’environnement ou pour la santé humaine ». Rappelons que la Pologne avait déjà invoquée et obtenue une interdiction nationale sur la base de cette directive semences, dans la mesure où les variétés de MON810 avaient été jugées impropres à la culture « en raison de leur classe de maturité trop élevée » [5]. Mais, les conditions pédoclimatiques étant différentes, il n’est pas sûr que le même argument puisse être utilisé… en France.

Concernant la mesure d’urgence, le ministère a pris soin d’ajouter quelques études à son argumentaire. Mais ces apports permettront-ils au Conseil d’État de conclure que la culture du maïs MON810 en France entraînerait un risque avéré pour l’environnement ? Rien n’est moins sûr… Adopté le 15 mars, cet arrêté a été notifié à la Commission européenne le jour même par le ministère de l’Agriculture, ainsi que le prévoit la réglementation européenne en la matière.

Mai 2014 – Le Conseil d’État ne suspend pas en référé

Lundi 5 mai, le Conseil d’État apporte une première réponse lors de la procédure en urgence en référé. Suite à l’audience du 30 avril dernier, le Conseil d’État décide ainsi de ne pas suspendre l’arrêté interdisant la culture du maïs GM MON810.

Cela signifie que, jusqu’à la décision du Conseil d’État sur le fond, qui devrait intervenir rapidement d’ici quelques mois, selon les dires du juge des référés [6], les cultures restent illégales et à ce titre « la non-suspension implique seulement qu’elle [l’exploitation agricole] mette fin dans les meilleurs délais à la culture du maïs MON810 » [7].

Le Conseil d’État estime que la condition d’urgence à suspendre l’arrêté n’est pas remplie, notamment parce que la culture de maïs GM ne représente qu’une part très réduite de l’activité des deux exploitations parties à l’affaire. Enfin, même si l’arrêté dans sa version 2014 « a un objet comparable à celui des deux arrêtés » précédents, il concerne une période différente et des circonstances nouvelles (il se base notamment sur de nouvelles études scientifiques).

Cette décision intervient alors que plusieurs exploitants, dont deux parties à l’affaire devant le Conseil d’État, ont déclaré auprès des services de l’État avoir semé plusieurs hectares d’OGM. Dans un communiqué de presse du 2 mai, les ministères de l’Agriculture et de l’Environnement déclaraient conjointement : « S’il s’avère que ces semis sont bien OGM, la réglementation prévoit leur destruction afin d’éviter tout risque de dissémination. Ségolène ROYAL et Stéphane LE FOLL tiennent à rappeler leur position de fermeté constante sur la question de l’interdiction des OGM » [8].

La mise en place de contrôles accrus

Interrogés par Inf’OGM, les services du ministère en charge des contrôles et de la biovigilance pour l’Aquitaine et pour Midi-Pyrénées ont précisé qu’ils avaient reçu une instruction au printemps 2014 du ministère pour mettre en place un plan de surveillance. Ce sont une trentaine, pour le premier, et une cinquantaine, pour le second, de prélèvements qui seront réalisés par les agents des services régionaux de la protection des végétaux (SRPV) sur l’ensemble de ces deux régions très étendues. L’Aquitaine nous précise que ces prélèvements seront faits de façon aléatoire, alors qu’en Midi-Pyrénées, il ne s’agira pas d’un « tirage au sort » : « On utilise des critères pour essayer d’identifier les exploitations les plus à risques. Ce sont donc des contrôles orientés ». A Toulouse, on nous précise aussi que les agents seront attentifs à tout signalement… Par exemple si un agriculteur bio ou un apiculteur entendent des exploitants se vanter de cultiver de telles variétés, le SRPV engagera une procédure de contrôle.


France - Sud-ouest : les semis de maïs sont imminents
Copyleft : Jacques Dandelot

Juin 2014 – Les parcelles sont finalement détruites

L’État, conformément à ce qu’il avait annoncé, a ordonné aux deux agriculteurs concernés de détruire les parcelles incriminées. Si l’un d’entre eux a, sans difficulté, détruit lui-même ses parcelles cultivées en Haute-Garonne le mercredi 4 juin, l’autre ne l’entendait pas de cette oreille. Il a signalé aux représentants du ministère de l’Agriculture qu’il refusait de détruire trois parcelles (couvrant au total 11 hectares) de maïs MON810 situées sur la commune d’Auvillar entre le Tarn-et-Garonne et le Gers. L’État a donc commandé à une entreprise de procéder à la destruction, le jeudi 5 juin. Les gendarmes ont aussi été mobilisés pour permettre à l’entreprise de réaliser cette tâche. En effet, l’agriculteur avait organisé une manifestation de soutien et une quarantaine de militants de la FDSEA82 (branche départementale de la FNSEA, syndicat majoritaire) avait répondu à l’appel et entendaient bien défendre les maïs transgéniques. Comme le rapporte France3, « il y a eu quelques échauffourées mais le champ a été détruit ». La FDSEA s’indigne aussi, dans un communiqué de presse, que le préfet n’ait pas attendu quelques heures que la justice statue sur un référé introduit par l’agriculteur contre sa mise en demeure. Le rendu était attendu pour le jour même à 14 heures.

Une nouvelle manifestation est prévue par la FRSEA (branche régionale) Midi-Pyrénées, le vendredi 6 juin, pour dénoncer l’absence de gendarmes lors de l’action des faucheurs volontaires. La FDSEA82 est connue pour ses actions coup de poings et son sectarisme. En décembre 2012, elle a saccagé les bureaux de la Safer, à Montauban, pour protester, notamment contre l’ouverture de la Safer aux autres syndicats agricoles, comme la Coordination rurale ou la Confédération paysanne (ouverture pratiquée pratiquement dans toutes les autres Safer). Une plainte a été déposée au commissariat. Deux responsables de la FDSEA82, Jean-Paul Rivière et Alain Iches, ont été convoqués mais la plainte n’a pas été déférée devant la Justice vient de nous apprendre l’ancienne directrice de la Safer. Cette épisode permet de replacer dans son contexte le « légalisme de façade » qu’a brandit l’actuel président de la FDSEA82 et la légitimité tout à fait relative qu’il accorde à la violence.

Août 2014 – La mesure française n’est pas justifiée selon l’AESA

L’AESA dans son avis [9], a considéré les arguments scientifiques présentés par la France pour justifier sa mesure d’urgence. Selon l’AESA, ni l’étude de Campagne et al. (2013) sur l’apparition de résistance sur les insectes cibles, ni celles sur les impacts sur les invertébrés non cibles (Mezzomo et al., 2013 ; Zhou et al., 2014), évoquées par la France, n’apportent de nouvelles informations de nature à remettre en cause les précédentes évaluations des risques.

Suite à cet avis, c’est maintenant la Commission européenne qui a les cartes en main. Elle peut désormais proposer en procédure de comitologie [10] que la France annule sa mesure d’urgence. Il semble toutefois peu probable que cette procédure soit effectivement engagée. L’avenir de la mesure d’urgence française est actuellement en suspend devant le Conseil d’État qui après s’être prononcé en urgence sur cette affaire, doit désormais se prononcer sur le fond. À ce jour, le Conseil d’État n’a pas fixé de date pour le rendu de sa décision, mais elle devrait intervenir dans les prochains mois.

[4Amis de la Terre, Confédération Paysanne, Fédération française des apiculteurs professionnels, Fédération nationale d’agriculture biologique, France Nature Environnement, Générations Futures, Greenpeace France, Nature & Progrès, Réseau Semences Paysannes

[9Statement on a request from the European Commission related to an emergency measure notified by France under Article 34 of Regulation (EC) 1829/2003 to prohibit the cultivation of genetically modified maize MON 810, EFSA Journal 2014 ;12(8):3809 [18 pp.]. doi:10.2903/j.efsa.2014.3809, http://www.efsa.europa.eu/fr/efsajournal/pub/3809.htm

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