HOMOSEXUALITÉ - Dans une tribune du 29 juin 2012 publiée dans le Monde, un collectif de journalistes et d'activistes gay a apostrophé les personnalités médiatiques homosexuelles. Le titre est évocateur, et le propos clair : Sortons du placard les incite à s'afficher pour le bien de la communauté.
Pour un homosexuel, sortir du placard, en référence à l'anglais coming-out, c'est annoncer sa différence et l'assumer sur la place publique. L'expression peut, selon le contexte, tout aussi bien désigner le moment où il s'avoue à lui-même qu'il l'est, l'annonce à son entourage, ou bien, lorsqu'il s'agit de quelqu'un de connu, choisit de l'affirmer dans les médias.
Evidemment, la démarche est risquée : on ne compte plus, par exemple, les acteurs hollywoodiens dont le téléphone a cessé de sonner du jour au lendemain, puisqu'ils ne pouvaient plus incarner un fantasme hétérosexuel. Les chanteurs, les sportifs, les dirigeants et les hommes politiques n'ont globalement pas intérêt, dans un monde où l'image est porteuse de tant d'enjeux, à se coller les lettres G-A-Y sur le front.
Depuis sa fracassante révélation sur les écrans en 1997, le show d'Ellen Degeneres est suivi toutes les semaines par des millions d'homosexuels dans le monde, et son exemple illustre probablement quotidiennement la notion de coming-out. Qu'elles le veuillent ou non, les personnalités qui font ce choix deviennent de fait des icônes gays.
Car, si leur décision est personnelle, elle prend immédiatement un sens collectif, éminemment politique. En s'affichant, elles participent à donner plus de visibilité à l'homosexualité, à la dé-marginaliser, et forcément, à la dédramatiser. Le collectif de journalistes ne s'en est pas caché :
Chaque année, des jeunes se suicident parce qu'ils se sentent seuls au monde en découvrant leur homosexualité. Adolescent(e)s ou jeunes adultes, nous avons nous-mêmes désespérément cherché des "modèles" en qui nous projeter.
Aussi, Ellen Degeneres incarne un idéal d'intégration : sa carrière est loin d'avoir souffert de son coming-out, sa femme est la lesbienne la plus sexy qui soit (officiellement) connue aux Etats-Unis, et NBC diffuse ses vidéos de vacances à Bora-Bora.
Toutefois, pour beaucoup, le rôle majeur que les homosexuels à la tête de postes clés pourraient jouer dans la reconnaissance de l'homosexualité par la société ne leur confère non pas la possibilité, mais le devoir de s'afficher. Tout se passe comme si être gay faisait d'eux les membres d'une communauté solidaire, unie par les épreuves que tous ont dû (à divers degrés) traverser.
D'où la mise en valeur(très) régulière de ceux qui osent sortir du placard, et la critique de ceux qui s'y refusent.
Cependant, si des médias comme le journal Têtu se font les relais de ces coming-out, ou d'autres se contentent de les appeler de leurs vœux, d'autres sont plus virulents.
Ainsi, à la mort de Richard Descoings, Patrick Thévenin a-t-il été corrosif dans un article publié sur la revue Minorité contre l'ancien directeur de Sciences Po et son placard de verre. Ce glass closet désigne la situation dans laquelle certaines personnalités gay refusent de s'afficher tout en menant une vie homosexuelle : tout le monde (du moins, tout le monde gay) sait qu'ils le sont, mais aucun média ne relaie l'information pour la bonne et simple raison qu'ils n'en lâchent pas un mot. En somme, leur homosexualité est un secret de polichinelle, mais les apparences sont sauvegardées.
En effet, si Richard Descoings était homosexuel, les médias ne l'ont pas mentionné, que ce soit avant, ou après son décès. Pour Patrick Thévenin, il s'agit là d'une inégalité scandaleuse :
Les glass closets, tout comme l'outing forcé, font débat : le droit à la vie privée d'un individu vaut-il plus que l'intérêt de tous les homosexuels qui doivent lutter pour s'accepter et s'affirmer contre les discriminations? Mais dans quelle mesure ces personnalités ''emplacardées'' ne sont-elles-mêmes pas aux prises avec leurs luttes intérieures pour trouver un équilibre?
Jusqu'alors, les deux exemples les plus connus de glass closet étaient ceux de Jodie Foster et d'Anderson Cooper, un journaliste et présentateur TV américain. En 2008, le magazine Out en avait même fait sa couverture pour illustrer son article sur le sujet, et cette année encore, Anderson Cooper était cité dans sa Power List des homosexuels les plus influents. Jodie Foster avait lâché le morceau dès 2007, mais c'était loin d'être le cas d'Anderson Cooper.
Or, ce lundi 2 juillet, il est (enfin) sorti du placard, dans une lettre au cours de laquelle il explique les raisons qui ont pendant des années motivé son refus de s'afficher, et celles qui l'ont poussé à finalement le faire (que Têtu a très bien résumé).
Alors que les personnalités qui affirment leur homosexualité se multiplient, doit-on y voir un présage positif? Comme l'a rappelé le collectif de journalistes du 29 juin, en France, seuls trois parlementaires sur plus de 900 affichaient publiquement leur homosexualité, mais quatre dès le lendemain.