POLITIQUE - Geert Wilders, l'allié néerlandais du Parti pour la liberté, l'a annoncé dès lundi soir. Il n'y aura pas de groupe parlementaire à Bruxelles sous l'égide du Front national.
Un mois après son triomphe aux élections européennes, le FN, qui n'a pas confirmé l'information, semble donc ne pas avoir atteint son second grand objectif qui était de constituer un groupe eurosceptique au Parlement européen.
Deux partis européens manquent à l'appel
"Nous n'avons malheureusement pas réussi à former une fraction au parlement européen avec six autres partis", a effectivement déclaré Geert Wilders, cité par l'agence de presse néerlandaise ANP. "Notre refus de nous allier avec des mouvements dont certains membres avaient affiché des positions incompatibles avec nos valeurs, n’a en effet pas rendu possible la formation d’un groupe politique au Parlement européen avant cette première échéance du 23 juin. Nous le regrettons à court-terme mais nous l’assumons comme choix moral et politique juste de long-terme.", se justifie de son côté le Front national.
Les partis avaient jusqu'à lundi pour s'enregistrer en tant que groupe parlementaire suite aux élections européennes de fin mai. Geert Wilders et Marine Le Pen avaient conclu un accord avant les élections en vue de "détruire de l'intérieur" l'Union européenne. Mais ils devaient faire face à la concurrence d'un autre groupe europhobe mené par les britanniques de Ukip de Nigel Farage.
Au moins 25 députés (sur un total de 751) issus de sept pays différents sont requis pour former un groupe parlementaire, ce qui permet de bénéficier d'une plus grande visibilité ainsi que de subventions. Or, si le nombre de députés n'est pas un problème, les partis eurosceptiques ont du mal à concilier des points de vue parfois antagonistes.
Il aura manqué deux pays à la présidente du Front national, dont le parti a terminé en tête des européennes en France, pour que le compte soit bon. Elle espérait convaincre d'autres partis de rejoindre le FN, le PVV de Geert Wilders, le Parti de la liberté autrichien (FPÖ), la Ligue du Nord italienne et le Vlaams Belang flamand (Belgique).
Geert Wilders, connu pour ses positions anti-islam, a indiqué que la collaboration entre ces cinq partis "sera poursuivie (...) avec pour but de pouvoir former une fraction avant la fin de l'année avec de nouveaux partenaires". Une association avec le parti polonais Congrès de la Nouvelle droite (KNP), dont les positions homophobes dérangent notamment Geert Wilders, avait été envisagée, mais finalement abandonnée. "Le PVV a vraiment envie de former une fraction, mais pas à n'importe que prix", a soutenu Wilders, selon lequel son parti devrait "construire un pont trop important" pour collaborer avec le KNP, qui souhaite également abolir le droit de vote pour les femmes.
"Pas une claque" pour Philippot
Lundi soir, le vice-président du FN Florian Philippot a confirmé cet échec à Europe 1: "nous étions plusieurs partis, mais il en faut de sept pays et cette fois là, ce n’est pas passé". "Pour l’heure, non, on n’a pas de groupe pour la première session du 1er juillet parce que nous avons fait le choix de la cohérence politique", a affirmé le député européen, qui a tenu à relativiser cette déception pour le parti frontiste.
"Non, ce n’est pas une claque. On aurait préféré en avoir un, mais on peut toujours le faire dans les cinq ans, il n’y a pas de date butoir. Le principal est que nous soyons là", a-t-il dit, tout en promettant de faire "le maximum pour peser" "afin de faire barrage aux transferts de souveraineté par exemple". "Que les 25% de Français qui ont voté pour nous aux élections européennes soient convaincus du fait que nous serons bientôt en mesure de leur proposer une alliance solide, puissante et crédible", ajoute le parti frontiste.
Président de lu Front national de la jeunesse, Julien Rochedy a lui aussi justifié la décision de son parti:
"Ça montre que l'extrême droite n'arrive pas à sortir d'une forme de marginalité, qu'elle ne rassemble pas", a estimé de son côté Pierre Moscovici. "En France, Marine Le Pen essaye de se dédiaboliser, mais en Europe, beaucoup de partis ont compris que le Front national était toujours un parti d'extrême droite, dont les valeurs étaient ambiguës, qui n'a pas fait le clair sur toute une série de choses, qui n'a pas condamné ou exclu Jean-Marie Le Pen" a ajouté le député et ex-ministre PS sur I-Télé.
"Ça démontre toute l'hétérogénéité de tous ces groupes extrêmes qu'on qualifie de populistes, a jugé l'eurodéputée et ex-ministre UMP Rachida Dati. D'ailleurs, il y a une grande différence entre le Front national et, par exemple, l'Ukip de Nigel Farrage en Angleterre. Ils n'ont pas du tout la même ligne politique et les mêmes valeurs", a-t-elle aussi dit sur France 2, ajoutant que l'échec du FN à constituer un groupe "limitera (ses) pouvoirs de nuisance au sein du Parlement européen".
Des millions en plus et une résonance dans l'hémicycle
L'enjeu était pourtant de taille. Pour le FN, réussir, la constitution d'un groupe (que Marine Le pen aurait pu présider) aurait constitué un réel succès électoral et aurait pu lui permettre de franchir une nouvelle étape dans sa conquête du pouvoir. Cet échec nourrit au contraire l'image d'un mouvement qui ne parvient pas totalement à se normaliser. Sa victoire du 25 mai ressemble désormais un peu à un coup d'épée dans l'eau; son poids dans les instances bruxelloises sera finalement à peine plus grand que lors de la précédente mandature, quand elle avait huit fois moins d'élus.
Car obtenir un groupe au Parlement européen, c'est avant tout l'assurance d'obtenir des moyens matériels et humains non négligeables. On parle ici d'un secrétariat avec bureaux et assistants dont le budget est pris en charge par les instances européennes. "Les groupes politiques disposent d'un secrétariat dans le cadre de l'organigramme du Secrétariat général, doté de facilités administratives et de crédits prévus au budget du Parlement", précise le règlement intérieur. Hors rémunération et avantages en nature dévolus à tous les eurodéputés, c'est une manne financière de 20 à 30 millions d'euros au cours de la mandature qui est en jeu.
Avant le scrutin, Marine Le Pen s'était donné deux objectifs: arriver en tête en France et créer ce groupe parlementaire. Si elle a brillamment rempli le premier, elle signe donc ici un premier échec marquant depuis sa prise de pouvoir en janvier 2011. Quand on lui faisait remarquer pendant la dernière campagne que les trois élus FN (Jean-Marie Le Pen, Bruno Gollnisch et elle-même) avaient été plus que discrets durant la précédente mandature, la présidente frontiste expliquait qu'elle ne pouvait pas faire de rapports ni proposer d'amendement car elle n'était pas membre d'un groupe. "Je suis une sous-députée", déplorait même l'ancienne candidate à la présidentielle. Ce qui ne changera donc pas.
Faire partie d'un groupe aurait été le moyen de faire entendre sa voix plus fréquemment dans l’hémicycle (avec des droits de réponse plus nombreux en séance plénière et un avis sur l'ordre du jour) à défaut de faire changer les choses, faute de majorité. Le FN restera donc, comme avant, un parti en marge des institutions.
Quand Marine Le Pen y croyait encore
Le 28 mai pourtant, tout allait pour le mieux pour Marine Le Pen. Trois jours après sa victoire hexagonale, elle partait triomphante à Bruxelles en quête de partenaires. "Je n'ai aucune inquiétude sur l'existence future d'un tel groupe", expliquait alors l'ancienne candidate à la présidentielle avec un grand sourire au cours d'une conférence de presse organisée au Parlement européen. Autour d'elle, se tenaient Gert Wilders, patron du PVV néerlandais ainsi que des responsables du FPÖ autrichien, de la Ligue du nord italienne et du Vlaams Belang belge. Bref, "une base extrêmement solide de 38 députés" issus de cinq pays, pour reprendre les mots du FN.
Problème, ce socle a eu toutes les peines du monde à s'élargir. Et si un élu polonais du KNP (le révisionniste Janusz Korwin-Mikke) semblait enclin à rejoindre le groupe, il manquait toujours un pays. Les regards se sont alors tournés vers le parti bulgare VMRO mais les récentes déclarations de Jean-Marie Le Pen sur Patrick Bruel n'ont visiblement pas facilités la quête de nouveaux alliés.
Privé de groupe européen : le FN y croyait très...par LeHuffPost