Baptiser, rebaptiser est une activité dont, depuis longtemps, Frêche raffole. A Montpellier (Hérault), les écoles primaires, l'hôtel de région, les salles de réunion, aujourd'hui les lycées: partout, sa passion est de donner de nouveaux noms puisés dans un vaste panthéon où se côtoient Charles Martel, Rosa Luxemburg, Jean Jaurès, Mère Teresa, Garibaldi, Mendès France, etc. Mais la Septimanie, c'est le gros coup. Avant Frêche, personne n'avait osé. Son argument? Effacer «la césure entre Languedoc et Roussillon». Sa méthode? Une opération de communication de grande ampleur. Il ressuscite en fanfare l'histoire de l'ancien royaume wisigoth. La Septimanie devient aussi une marque commerciale destinée à doper la promotion des productions locales. Se déploie en pages publicitaires dans la presse régionale. S'affiche le long des routes, sur les TER, sur les façades des lycées. Elle s'accompagne de toute une bimbeloterie - casquettes, stylos, sacoches, tee-shirts frappés des sept soleils stylisés représentant les sept villes du royaume wisigoth.

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La presse locale «punie»

La Septimanie passe le cap de la notoriété, mais criblée de sarcasmes. Dans les lettres publiées dans la presse régionale, on parle de «lubie», on juge le nouveau nom «froid et sans âme», on évoque la «décision arbitraire d'un Roi-Soleil». Dans les Pyrénées-Orientales, la colère enfle. Ce département baigne dans la catalanité. La ville de Perpignan se proclame «Perpinya la Catalana». L'Usap, le prestigieux club de rugby, a choisi pour hymne L'Estaca, de Lluis Llach, chanson culte des nationalistes catalans. Un universitaire de la ville, Robert Marty, dénonce «un acte de pouvoir absolu»: «D'un coup, d'un seul, on efface huit siècles d'histoire.»

Un électron libre, Christian Blanc, maire de la station touristique des Angles, appelle, narquois, à une campagne de «vaccination contre la septimaniole». Les trois groupes catalanistes se déchaînent: «Septimania: no!» L'un d'eux, le Bloc Catala, invente le «Burro masqué», hybride de Zorro et du burro (l'âne), animal totémique des Catalans, «têtu, intelligent, travailleur».

Christian Blanc et les «collectifs citoyens» programment une manifestation de protestation le 8 octobre à Perpignan. La perspective d'un défilé conspuant son nom est insupportable à Georges Frêche. Depuis toujours, il se targue d'être en phase avec le peuple. Et voici que, dans son fief, le peuple gronde contre lui. Il se répand en déclarations destinées à désamorcer la mobilisation. Il pointe un doigt accusateur sur la droite catalane. Mais l'argument ne fait pas mouche.

Alors, en arrière, toute! Un communiqué officialise le renoncement. Seule est sauvée la «marque ombrelle» Septimanie, cette «griffe du soleil» qui signe la commercialisation d'huîtres, de tomates et de pêches. A Perpignan, les opposants triomphent, mais ne déposent pas les armes. Leur manifestation sera celle de la victoire. Ce samedi-là, ils sont 6 000 à défiler sous les oriflammes rouge et or. Parmi eux, Jacques Blanc, le vieil adversaire de Georges Frêche, ces élus UMP et UDF que le monarque renvoie inlassablement à leur «nullité», mais aussi des maires et des conseillers généraux communistes, des Verts, des membres de la LCR. Pas un seul élu socialiste: le risque est trop grand de se voir, pour trahison, cloué au pilori par Georges Frêche.

Le président de la région drape son recul d'habileté politique: «Reconnaître ses erreurs, c'est faire preuve d'intelligence. Je crois que je n'en manque pas...» Pour avoir relayé et «amplifié» le rejet de la Septimanie, Midi libre et L'Indépendant sont devenus ses boucs émissaires. Les deux quotidiens seront, annonce-t-il, privés pendant un an de «subventions», c'est-à-dire de la publicité et des annonces légales de la région. Une manne de quelque 2 millions d'euros. Pour Frêche, gouverner, c'est aussi punir.


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